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Pourquoi la politique anti-drogue est une question féministe

A l’instar du féminisme, la réduction des méfaits est une philosophie qui nous encourage à supprimer les fausses distinctions entre “bonnes” et “mauvaises” femmes.


Les personnes qui consomment de la drogue sont confrontées à une stigmatisation et une criminalisation généralisées.

C’est bien connu. Mais les discussions sur la politique anti-drogue se concentrent souvent sur les hommes. Les expériences vécues par les femmes, cisgenre et trans ainsi que les personnes non conformes d’un point de vue du genre qui consomment de la drogue sont ignorées et passées sous silence, alors que ces dernières font face à des difficultés particulières en ce qui concerne l’accès aux soins et qu’iels sont exposées à la stigmatisation liée à leur genre, perçu-e-s alors comme des parents inaptes et comme des personnes déchues.

Rassemblement pour mettre fin à la guerre contre les drogues, Los Angeles, 2011.

Au mois de mai, j’ai participé à une rencontre que l’AWID (Association pour les droits des femmes dans le développement) avait co-organisée à Berlin avec des féministes et des femmes consommatrices de drogues venant d’Europe de l’Est et d’Asie Centrale. Nos expériences et nos antécédents différaient considérablement mais nous avions un objectif commun : celui d’apprendre les un-e-s des autres et d’établir des liens entre la politique anti-drogue et le féminisme dans la région.

Les participant-e-s ont partagé leur expérience de la consommation de drogues, y compris l’humiliation et la violence perpétrées par les médecins, et la violence sexuelle, la criminalisation et la stigmatisation dont elles sont victimes au sein de leurs communautés. Nous avons examiné la façon dont le féminisme pourrait aider à faire pression de manière à leur apporter des réponses centrées sur leurs expériences uniques. Trois jours et de nombreuses conversations plus tard, j’étais convaincue que la politique anti-drogue était une question féministe.

Le féminisme nous invite à considérer les expériences spécifiques de toutes les femmes, y compris celles qui consomment des drogues. Les femmes sont confrontées à des difficultés particulières qui résultent des structures oppressives dans lesquelles nous vivons. Pour les femmes qui se droguent, leur identité de femme et celle de personne consommatrice de drogues sont intimement liées.

Il me serait « impossible de distinguer ce qu’il y a de plus important pour moi -m’accepter en tant que personne qui aime les substances psychoactives, ou en tant que femme dont la transformation est effrayante aux yeux des autres, mais qui représente pour moi un processus joyeux », a déclaré l’une des participantes à la rencontre berlinoise.

Elle nous a mises au défi de comprendre que, consommées en sécurité, les drogues peuvent contribuer de façon positive à la vie des gens.

La réduction des méfaits, plutôt qu’une répression ou une punition, est une réponse qui nous permet de mettre les valeurs féministes en pratique. Elle atténue la stigmatisation de la consommation de drogues tout en limitant les effets néfastes. C’est une philosophie qui englobe toute une gamme de pratiques, y compris le fait de changer de seringues afin de réduire la transmission de maladies et celui de proposer des environnements sécuritaires où consommer de la drogue tout en évitant la violence et d’autres formes de stress.  

A l’instar du féminisme, la réduction des méfaits nous encourage à supprimer les fausses distinctions entre “bonnes” et “mauvaises” femmes : celles qui méritent d’être soutenues et celles qui ne le méritent pas. Elle rejette les solutions pour lesquelles les personnes sont jetables et exploitables, et nous aide à comprendre comment les réponses en milieu carcéral ne fonctionnent pas.

Ces réponses ne mettent pas un terme à la consommation de drogues, mais elles pénalisent les personnes les plus marginalisées de la société et les rendent encore plus vulnérables. Elles ont un impact disproportionné sur les populations autochtones noires et brunes, les personnes trans, les travailleurs-euses du sexe, les communautés pauvres et d’autres groupes historiquement opprimés, qui sont déjà plus exposés à la violence et à la criminalisation.

L’industrie de stupéfiants, complice de niveaux extrêmes de violence à l’encontre des femmes, doit elle aussi être combattue. Mais des réponses militarisées, telles que cette guerre menée par les Etats-Unis appelée “War on Drugs” (Guerre contre les drogues), ne font que placer les personnes d’ores et déjà victimes de l’oppression en raison de leur genre, statut migratoire, classe, race et autres facteurs, dans la ligne de mire d’une violence encore plus importante. Les réponses féministes doivent tenir compte de cela.

Panneau d'interdiction, Montréal, 2016

Les femmes qui consomment de la drogue sont aussi plus exposées à la violence domestique et sexuelle mais rencontrent davantage d’obstacles à l’heure d’obtenir du soutien. Elles peuvent être confrontées à l’humiliation et à la discrimination dans l’accès aux soins, notamment au cours de la grossesse et de l’accouchement. Trop souvent, elle ne sont pas traitées comme des personnes dotées d’autonomie ni de dignité.  

Elles peuvent se trouver exclues des foyers pour victimes de violences domestiques ou risquer de perdre leurs enfants si elles demandent de l'aide. Les féministes ont créé ces refuges pour soutenir toutes les femmes confrontées à la violence. Mais beaucoup d’entre eux ne sont pas conçus pour répondre aux besoins spécifiques des femmes consommant de la drogue. Lorsque les femmes ne peuvent pas accéder au soutien proposé dans les foyers, elles peuvent alors se retrouver dans des situations violentes et abusives. Nous pouvons et nous devons faire mieux. 

Alexandra* est l’une des femmes que j’ai rencontrées à Berlin. Elle a pris de la drogue, dont de l’héroïne et du cannabis, par intermittence, pendant la majeure partie de sa vie d’adulte. Elle dit que c’est une part importante de son identité qui lui permet de “vivre en harmonie” avec elle-même. Mais elle ne peut pas en parler à ses proches ni à ses ami-e-s par peur de leur réaction.

« Certaines personnes nous traitent avec pitié, et la grande majorité avec mépris et dégoût. Parfois, on se dit que la meilleure solution serait de mourir d’une overdose, » dit Alexandra, décrivant l’humiliation et le jugement omniprésents qui sont les conséquences naturelles d’une politique anti-drogue qui stigmatise et punit les personnes consommant de la drogue. 

Dans le pays d’Asie Centrale où vit Alexandra, les femmes qui se font arrêter pour possession de drogue font face à un choix impossible : soudoyer quelqu’un (quand elles ont accès à des fonds), accorder des faveurs sexuelles à des officiers de police, ou aller en prison.

Les réponses sont similaires dans la plupart des pays de la région et au-delà : les personnes qui se droguent font face à la violence, à la punition, à des peines de prison, voire même à la mort. Or cela ne fait que perpétuer les cycles d’inégalité et de violence.

Alexandra est une mère aimante et membre zélée de sa communauté qui appréhende les conséquences qu’auraient à endurer ses enfants si les autorités venaient à découvrir qu’elle se drogue.  
En tant que féministes, nous devons écouter les femmes qui prennent de la drogue et défendre des solutions telles que la réduction des méfaits qui combattent les systèmes d’oppression. Toute personne a droit à des réponses axées sur le soin, la compassion et l’autonomie individuelle.



* Le nom a été changé par mesure de confidentialité. 

 


Fenya Fischler est Coordinatrice du programme « Co-création de réalités féministes » . Elles est basée à Londres où elle s'implique également dans les mouvements féministes, anti-militaristes et de soutien aux personnes migrantes.

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