Pour les féministes et les activistes des droits des femmes, une telle occasion ne se présente qu’une fois par an
Depuis 1947, des responsables de gouvernements, des représentant-e-s des ONG et des activistes se rendent chaque année au siège des Nations Unies à New York pour participer à la Commission de la condition de la femme (CSW), un espace multilatéral consacré à la promotion de l'égalité de genre et aux droits des femmes. Parmi les participant-e-s, certain-e-s brandissent des recommandations politiques et d'autres une liste de griefs qui concernent les violations commises contre les droits des femmes dans leur pays. Toutes et tous sont là avec l'espoir d’avoir un impact sur les politiques internationales en matière de droits des femmes et pour exiger que leurs gouvernements soient tenus responsables des engagements pris pour promouvoir et consacrer les droits des femmes.
Pourtant, la 61ème session a été marquée par le spectre des interdictions de voyager
Les restrictions ont même incité certaines d'organisations de droits humains à questionner la légitimité des États-Unis comme lieu pour accueillir des événements tels que la CSW.
Des organisations comme la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (WILPF) ont refusé de participer aux sessions de cette année déclarant que «... l'absence des femmes des pays touchés par le récent décret anti-immigration des États-Unis mine la prémisse de base de la CSW qui est d’être un processus inclusif et participatif. Ce décret menace sa légitimité».
D'autres institutions féministes et de droits humains ont invoqué la responsabilité du pays d'accueil de la CSW. Lors de l’événement, une coalition d'organisations telles MADRE, Just Associates, Outright Action International, le Women Migration Network (réseau femmes en migration), le Centre for women’s global leadership (centre pour le leadership mondial des femmes) et l'Association pour les droits des femmes dans le développement (AWID), a lancé une campagne « No Borders on gender justice » (pas de frontières pour la justice de genre) appelant à « mettre fin aux politiques autoritaristes et xénophobes ». Lors des événements programmés par ces organisations, celles-ci ont mis en évidence l'absence d’activistes de droits des femmes qui font l’objet de menaces de la part de ces gouvernements, en plaçant symboliquement un siège vide à la table avec une pancarte indiquant : « Why is this chair empty » (« Pourquoi cette chaise est-elle vide ? »).
Ce ne sont pas seulement les activistes de pays figurant dans le décret anti-immigration de l'administration Trump qui n’ont pas pu se rendre à la CSW
Kate Lappin, coordinatrice régionale du Forum Asie-Pacifique sur les femmes, le droit et le développement (APWLD) a indiqué que cinq activistes du Bangladesh et du Népal enregistré-e-s comme membres de sa délégation à la CSW se sont vu refuser leur visa malgré les invitations officielles de l'ONU Femmes et la garantie offerte par l’APWLD de couvrir leurs frais de déplacement. L'organisation a fait appel du refus d’octroyer ces visas mais sans succès. Cerefus a été en soi était inhabituel car, précédemment, l’APWLD avait toujours réussi à faire valoir ses demandes en appel. C’est la première fois que l'organisation a été incapable de faciliter l’accès des membres de leur délégation pour assister à un événement pour lequel des invitations officielles avaient été envoyées par l'ONU. En lieu et place, l’organisation a été informée par l'ambassade des États-Unis qu’ils « émettront généralement moins de visas pour le Bangladesh et le Népal à l’avenir ».
Comment les interdictions de voyage affectent les activistes et les défenseur-e-s des droits des femmes
Comme l'a souligné Kate Lappin, les interdictions de voyage «ciblent et affectent les femmes qui sont déjà les moins influentes de leur pays.»
Les personnes qui font partie de l’élite ou qui ont des contacts au sein des gouvernements, des ressources importantes ou qui disposaient déjà de visas ont, elles, put se rendre à la CSW. Celles et ceux qui n’ont pas pu assister à la CSW sont des activistes de la base.
En ce qui concerne les cinq membres de la délégation de l’APLWD, ce sont des leaders dans le secteur informel, là où le travail est le plus marginalisé et dont la présence était sans doute la plus nécessaire pour contribuer au thème de la 61ème session de la CSW, à savoir « L'autonomisation économique des femmes dans un monde du travail en pleine évolution ».
Le décret anti-immigration des États-Unis place carrément le pays dans le sillage d’autres pays comme le Bahreïn, le Soudan, la Turquie et l'Egypte, qui ont émis des interdictions de voyager à l’encontre d’activistes des droits des femmes et de défenseur-e-s des droits humains.
À la CSW de cette année, l’organisation Nazra for Feminist Studies, une importante organisation de droits humains égyptienne a co-organisé un événement parallèle par contumace sur « Le rôle des femmes défenseuses des droits humains au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, en lien avec les objectifs de développement durable (ODD) ». Mozn Hassan, la directrice exécutive primée de l’organisation Nazra est interdite de voyage par l'Etat égyptien et n'a pas pu se rendre à la CSW. Elle a participé à l'événement par vidéo interposée.
Maryam al-Khawaja, défenseuse bahreïnie des droits des femmes s’est elle aussi exprimée lors de cet événement : elle a déclaré que les activistes faisaient maintenant l’objet de stratégies pernicieuses par les États du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Elle a expliqué que les nouvelles menaces auxquelles sont confronté-e-s les activistes dans la région sont de plus en plus dirigées vers les personnes elles-mêmes. Les intimidations et les menaces dont il est question ne sont généralement pas classées par les organismes internationaux comme étant clairement des actions de type répressif. Parmi les exemples cités, il y a le gel des avoirs personnels et le déni de droits fondamentaux comme ne pas délivrer un certificat de naissance à l'enfant d'un-e activiste.
Lors d'une session organisée par l’organisation MADRE en marge de la CSW, une série d’activistes, parmi lesquelles Kavitas Ramdas, Hakima Abbas, Cynthia Rothchild, Yifat Susskind et Charo Rojas, se sont inquiétées de la montée de la droite radicale partout dans le monde et, par conséquent, des répercussions négatives sur les droits des femmes.
Les interdictions de voyager ont été identifiées comme une stratégie utilisée délibérément pour empêcher les activistes de se réunir, de travailler ensemble et d'être présent-e-s lors d’événement tels que la CSW. Le but est de tenir leurs gouvernements responsables de leurs engagements en faveur des droits des femmes.
Il est d’autant plus ironique de constater que le décret de l’administration Trump invoque la prévention de la violence basée sur le genre et les droits des femmes pour justifier l'interdiction de voyager, interdiction largement considérée par les activistes comme une mesure raciste, xénophobe et contraire à l'esprit des droits humains.