Suite au rétablissement de la règle du bâillon mondial (Global Gag Rule, en anglais), nous avons demandé à des organisations partenaires du monde entier de réfléchir avec nous sur les plus grands défis de leur travail avec les femmes en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs, et comment la règle du bâillon mondial et la création par les Pays-Bas d’un fonds pour contrer cette mesure affecteront les femmes dans leurs régions.
Moins de 48 heures après que des millions de personnes dans le monde aient défilé pour la justice de genre, raciale, sociale, économique et climatique, le président américain Donald Trump a rétabli la « politique de Mexico », également connue sous le nom de règle du bâillon mondial (Global Gag Rule). Cette règle est une politique américaine qui interdit aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères qui reçoivent des fonds américains pour la planification familiale, de défendre le droit à l'avortement ou de proposer l’avortement comme méthode de planification familiale.
La dernière version de cette règle élargit la politique à l'ensemble du financement des Etats-Unis en matière de santé et ne concerne donc plus seulement le financement de la planification familiale du pays mais l’aide extérieure des États-Unis. Cela ajoutera plusieurs obstacles au financement dans un contexte déjà complexe et qui aura incidence particulière sur les organisations travaillant sur la santé et les droits sexuels et reproductifs (SDSR) ou sur le VIH et le SIDA, y compris les organisations féministes et de défense des droits des femmes dans le monde entier.
En réponse à cette mesure, le gouvernement néerlandais a annoncé qu'il créerait un fonds international pour financer l'accès à la contraception et à l'avortement dans les pays en développement, et combler ainsi le déficit financier de 600 millions de dollars annuels. Ce gouvernement a également contacté d’autres gouvernements, des entreprises et des organisations de la société civile pour les inviter à contribuer à ce fonds.
Pour utiles que soient ces contre-mesures, cette situation soulève des questions sur la dynamique du financement international, qui rend les pays du Sud vulnérables aux caprices de la politique intérieure des pays donateurs.
Bien que les temps soient difficiles, le mouvement féministe est plus vivant que jamais. Voici quelques réflexions qui nous sont parvenues à ce propos:
Recul des avancées en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs en Afrique de l'Ouest
- Diakhoumba Gassama de RESURJ, au SénégalRESURJ est une alliance mondiale de féministes de moins de 40 ans qui œuvrent dans le monde entier en faveur de la justice sexuelle et reproductive par le biais de stratégies de plaidoyer et le renforcement de mouvements de la société civile au niveau national, régional et international.
En 2012, les défenseur-e-s de la santé et des droits sexuels et reproductifs au Sénégal et dans la région ont célébré l'inauguration de la toute première clinique de santé reproductive pour les jeunes à Dakar. Dans un pays où les besoins en matière d'éducation sexuelle et de planification familiale des jeunes sont en grande partie non satisfaits et réservés exclusivement aux couples mariés, cette initiative appuyée par l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) s'est révélée primordiale pour permettre aux jeunes femmes et hommes d'avoir accès aux services de conseil en matière de planification familiale, de traitement des IST (Infections sexuellement transmissibles), d’information et de formation en matière de santé sexuelle et reproductive. Cette initiative a même été présentée sur le site web officiel de l'USAID comme une « success story » à développer et reproduire.
La règle du bâillon risque de sonner le glas de cet accès, pourtant tellement nécessaire, à l'éducation sexuelle et à la santé et aux droits sexuels et reproductifs. Le seul espoir est que si l'USAID retire son financement, d'autres acteurs interviendront, non seulement pour assurer la pérennité du projet actuel, mais aussi pour le reproduire dans le reste du Sénégal et d'autres pays de la région. Le nouveau fonds international néerlandais pour financer l'accès à la contraception et à l'avortement pourrait se révéler être source d’espoir, mais avec les prochaines élections en Hollande, nous pourrions être déçu-e-s si nous restons dépendant-e-s de donateurs extérieurs.
C'est peut-être une occasion pour notre gouvernement de prendre ses responsabilités et de financer, avec nos propres ressources, des programmes complets en matière d'éducation sexuelle ainsi que l'accès des jeunes femmes et hommes à la planification familiale et aux services et aux soins de santé sexuelle et reproductifs.
Rompre le lien entre la prévention du VIH et les droits des femmes
- Chloe Cooney, de la Planned Parenthood Federation of America (la Fédération américaine pour la planification familiale), États-UnisBasée aux États-Unis, la Planned Parenthood est une organisation vieille de plus d’un siècle qui fournit des soins en matière de santé reproductive, des programmes d’éducation sexuelle et des informations vitales pour des millions de femmes, d'hommes et de jeunes dans le monde entier.
Compte tenu de la portée de la règle du bâillon, nous prévoyons un retour en arrière en termes d'accès à la planification familiale, aux services de santé maternelle, à la prévention, au traitement du VIH, etc. Et nous craignons les conséquences de ce retour en arrière.
Cette mesure témoigne d'une indifférence à l'égard de la santé au niveau mondial. Nous suivrons la trace des décisions en matière de financement des programmes de santé au niveau mondial et mesurerons leur impact sur la prévention du VIH chez les adolescentes.
Au cours des dernières années, le Plan d'Urgence Américaine pour la Lutte Contre le VIH/SIDA (PEPFAR) a investi dans des programmes destinés aux jeunes femmes, mais ce travail exige un partenariat avec des organisations qui s’occupent des filles et des jeunes femmes. La règle du bâillon va mettre un terme à la plupart de ces partenariats, entravant la capacité du PEPFAR de toucher ce segment essentiel de la population.
Même si de nombreuses femmes dans le monde ne se laisseront pas réduire au silence, cette mesure amoindrira la capacité des organisations à œuvrer pour les droits des femmes et pourrait diviser les mouvements pour les droits des femmes et autre dirigeant-e-s du secteur de la santé et du développement communautaire.
Enfin, nous craignons que les communautés déjà marginalisées (comme les jeunes, les travailleur-se-s du sexe et les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans) le deviennent encore plus lorsque certains prestataires de soins, parmi ceux les plus progressistes et sans préjugés, perdront leur accès aux ressources.
Perte potentielle des voix en faveur du droit à l'avortement au niveau mondial
- Patty Skuster de IPAS, États-UnisFondée en 1973, l’Ipas est une ONG internationale qui, par le biais de partenariats locaux, nationaux et mondiaux, vise à mettre un terme aux incapacités et aux décès provoqués par des avortements non sécurisés qui pourraient être évités.
Nous nous attendons à ce qu’un couvercle soit mis sur la question de l'avortement par une série de professionnel-le-s de la santé qui sont financé-e-s par les fonds américains pour la santé. Les femmes qui demanderont un avortement pourraient ne plus être en mesure d'obtenir de la guidance en matière d'avortement, lorsqu'elles rechercheront des tests ou des traitements contre le VIH, ou auront été victime d’actes de violence basée sur le genre, par exemple. Nous devrons travailler plus dur pour que les femmes aient accès à de l’information en matière d'avortement.
En raison d'une perte d’accès à la contraception, nous nous attendons également à ce qu’un besoin accru de services d'avortement sans risque se fasse sentir, comme cela s'est produit lorsque Georges W. Bush a rétabli la règle du bâillon, que les organisations de première ligne en matière services de contraception ont perdu leur financement et que les taux d'avortement ont grimpé.
Nous sommes particulièrement préoccupé-e-s vis-à-vis des partenaires locaux qui devront peut-être se soumettre à la règle du bâillon en raison de leur dépendance au financement du gouvernement américain et qui ont moins d'opportunités d’accès à d'autres ressources. La perte de partenaires dans le domaine du plaidoyer pourrait signifier moins de voix qui s’élèvent en faveur du droit à l'avortement et de changements de politiques en la matière- au niveau national et dans le cadre de processus en faveur des droits humains au sein de l'ONU. La stigmatisation de l'avortement augmentera à mesure que les partenaires régionaux qui bénéficient de l’aide de l'USAID ne pourront plus en parler.
La règle du bâillon renforce les mesures patriarcales et limite l’accès à la santé et aux droits sexuels et reproductifs dans la région Asie-Pacifique
- Azra du Centre de recherche et de recherche Asie-Pacifique pour les femmes (ARROW), MalaisieDepuis 1993, ARROW travaille avec des partenaires de la région Asie-Pacifique et des pays du Sud pour promouvoir la santé et les droits des femmes, autonomiser les femmes par la diffusion d'informations et de connaissances, en surveillant les engagements internationaux, la mobilisation et le plaidoyer dans ce domaine.
La mortalité et la morbidité maternelle continuent d'être parmi les principales causes de décès chez les femmes (y compris les jeunes femmes) qui n'ont pas accès à la santé et aux droits sexuels et reproductifs dans la région Asie-Pacifique. L'absence d'avortements sans risques opérés en toute légalité ne fera que contribuer à faire grimper ces chiffres.
La règle du bâillon affectera la situation en termes d’accès à la santé et aux droits sexuels et reproductifs au niveau régional et mondial et aggravera la situation mentionnée ci-dessus. Elle permettra également aux bailleurs de fonds et aux gouvernements de justifier la diminution des ressources mises à disposition, pourtant absolument nécessaires et indispensables, tant au niveau financier que technique. Des lois et des politiques restrictives placent les ONG qui ont besoin de financement dans une position difficile, les obligeant, en l'absence de sources de financement alternatives, de devoir décider de cesser de proposer leurs services en matière d'avortement, d'orientation ou de plaidoyer.
En outre, elle normalise et institutionnalise une lecture étroite des notions de religion, de patriarcat et de conservatisme, notions auxquelles elle attribue une suprématie par rapport aux droits des femmes, à leur intégrité corporelle et à leur pouvoir.
Nous sommes enthousiastes vis-à-vis de à l'engagement des Pays-Bas et d'autres pays à contrer ces mesures rétrogrades en offrant des ressources qui devraient être acheminées vers des organisations et des mouvements pour les droits dirigés par des femmes, y compris ceux qui travaillent à la base et préconisent l'accès à l'avortement sans risque.
En dépit de ces efforts pour contrer ces mesures, nous ne devons pas oublier les causes conservatrices, religieuses, extrémistes et patriarcales qui en sont à l’origine. En tant que militantes féministes, nous devons démanteler ces systèmes. Nous devons intensifier nos efforts de plaidoyer et travailler avec les États et la société civile pro-choix pour nous assurer que l’accès à la santé et aux droits sexuels et reproductifs soit maintenu et suffisamment financé.
L'opposé de la coopération internationale
- Meghan, de la Sexual Rights InitiativeLa Sexual Rights Initiative (initiative pour les droits sexuels) est une coalition d'organisations de toutes les régions du monde qui prône la promotion des droits humains en relation avec la sexualité et le genre.
La règle du bâillon sapera les organisations qui proposent des services en matière de santé sexuelle et reproductive. Tant que les pays dépendent de l'aide étrangère pour fournir des services de haute qualité dans ce secteur et tant qu'ils n'ont pas la maîtrise de ces services ou l'investissement nécessaire à leur existence, les femmes resteront vulnérables aux changements politiques survenant à l'étranger. C’est la face cachée de la coopération internationale, sans parler du colonialisme (dans le pire des cas).
De plus, la règle du bâillon ne stipule pas que les Etats-Unis réduiront leur financement en faveur de la santé reproductive et à quels autres organismes ces fonds seront destinés : Aux organisations religieuses et autres organisations fondamentalistes qui favorisent l'abstinence, les politiques anti-LGBT, etc.?
Les choses pourraient changer si les pays du Sud continuaient à se mobiliser en faveur de l’accès à la santé et aux droits sexuels et reproductifs et s'opposaient à l'aide liée, au non-alignement avec les priorités nationales et à l'hégémonie des États-Unis. Nous sommes heureuses que le fonds néerlandais se concrétise et prenne de l’ampleur et espérons que les pays du Sud seront solidaires de cette initiative.
De plus, les fonds et les initiatives disposant de larges budgets et qui soutiennent la planification familiale, comme la Fondation Bill Gates, le Family Planning (FP2020) et la Reproductive Health Supplies Coalition (RHSC), doivent se rendre compte qu'ils ont joué un rôle dans cette crise en refusant d'inclure l'avortement dans leurs programmes. Cette obstination à ignorer l'avortement porte préjudice aux femmes et à l'environnement politique. L'avortement devrait être mentionné, garanti en tant que droit et financé dans le cadre des services prévus en matière de santé sexuelle et reproductive.
Ne pas abandonner la lutte
- Oriana López Uribe, Balance / Fondo MARIA, MexiqueBalance is a Mexican progressive feminist organization that advocates for sexual and reproductive justice at the national, regional, and international levels. /The MARIA Abortion Fund for Social Justice supports women in Mexico to access safe and legal abortion.
La nouvelle version de la règle du bâillon a élargi la politique antérieure en matière des mesures à appliquer à toutes les fondations axées sur la santé en général, la rendant quinze fois plus atroce.
Cette décision limiterait les choix et l'autonomie de milliers de femmes, y compris leur accès à d'autres services de santé, ainsi que les services et l'information liés à l'avortement sans risque.
Les organisations qui luttent pour réduire le risque de paludisme et la diffusion du virus Zika, celles qui mettent en œuvre des programmes pour améliorer la santé pendant la grossesse, qui offrent des moyens contraceptifs, une attention médicale aux personnes vivant avec le VIH, qui développent des stratégies avec leur gouvernement afin d’offrir une vaste gamme d'initiatives pour réduire la mortalité et la morbidité maternelle, celles qui luttent pour l'amélioration de la santé sexuelle des jeunes et des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et trans*, devront décider entre recevoir des fonds de l'USAID ou continuer à offrir des soins complets basés sur les besoins de leur population.
Réduire les ressources pour l'avortement ne fait que pousser les femmes à pratiquer des avortements dangereux qui mettent leur santé et leur vie en danger. L'avortement est une option qui a existé tout au long de l'histoire et que les femmes choisissent tous les jours, quel que soit le contexte.
Nous résisterons. Nous ne cesserons pas de soutenir les femmes qui ont besoin d’un accès à des avortements sans risques. Nous nous concentrerons sur les politiques publiques et les organisations qui répondent concrètement aux besoins des femmes dans leur diversité. Nous ce cesserons pas de promouvoir l'avortement comme un choix positif, libre, responsable et libérateur qui mérite respect, soutien et les ressources adéquates pour ce faire.
Aujourd'hui plus que jamais, nous devons changer la logique actuelle, nous devons promouvoir des alternatives et lutter pour de meilleures politiques économiques, environnementales, sociales et en matière de santé.
Nous n'abandonnerons pas la lutte pour faire de la justice sexuelle et reproductive une réalité.