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Nous n’obtiendrons pas l’autonomisation économique des femmes sans imposer de restrictions au pouvoir des entreprises

Du 13 au 24 mars 2017, la soixante et unième session de la Commission de la condition de la femme (CSW61) se tiendra sur le thème suivant : « l’autonomisation économique des femmes dans un monde du travail en pleine évolution ».


On nous a fait croire que l’autonomisation économique des femmes pouvait être instaurée par le biais de politiques appropriées et de quelques ajustements des modalités d’intégration des femmes dans l’économie, à l’échelle mondiale ou nationale. On prétend aussi que la volonté politique des États est un facteur déterminant dans la mise en œuvre de « l’autonomisation des femmes » telle que définie il y a plus de 20 ans lors de l’historique Conférence de Beijing (en anglais).

En outre, les universitaires affirment depuis longtemps que le fait de donner aux femmes davantage d’occasions de prendre part à la vie économique stimule la croissance et les économies nationales, et qu’il s’agit là d’une réalité avérée.

Quels sont les facteurs qui dissuadent les gouvernements de mettre en œuvre les bonnes politiques ?

Il manque aux hypothèses évoquées ci-dessus une analyse fondamentale du contexte dans lequel nous vivons. Les grandes entreprises et le pouvoir qu’elles détiennent ont atteint des proportions inédites. Au moins 63 % des 175 plus grandes entités économiques mondiales sont des entreprises transnationales, et non des pays.

La somme des revenus des trois plus grandes de ces entreprises (Royal Dutch Shell, Exxon Mobil et Wal-Mart) est supérieure au produit intérieur brut cumulé de 110 pays (55 % des États-nations). « Si Wal-Mart était un pays, son revenu serait comparable au PIB de la 25e économie du monde et serait donc supérieur à celui de 157 autres pays ». Les conséquences de cet état de fait sont considérables : il détermine qui a le pouvoir – et qui ne l’a pas – de décider des politiques économiques à mettre en place.

Qu’est-ce que le pouvoir des entreprises ?

Nous définissons le pouvoir des entreprises comme « le contrôle et l’accaparement excessifs des ressources naturelles, du travail, de l’information et des moyens financiers par des entreprises puissantes alliées aux élites mondiales, avec la complicité des gouvernements ». Et malgré leur immense pouvoir économique, les grandes entreprises ne sont ni dotées d’une capacité juridique ni responsables, ou si peu, au regard des pratiques et législations relatives aux droits humains.

Les manifestations de ce pouvoir sont multiples. Il s’exprime notamment par le biais des nombreux mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) qui prolifèrent dans le monde entier et font que les gouvernements se trouvent dans l’impossibilité d’agir dans l’intérêt de leur population. Pour l’essentiel, ces mécanismes autorisent les entreprises transnationales à poursuivre les gouvernements nationaux qui tentent de protéger les droits des travailleurs-euses, les droits fonciers ou la diversité écologique sur leur territoire. À titre d’exemple, Veolia, une entreprise transnationale française, attaque actuellement le gouvernement égyptien pour avoir rehaussé le salaire minimum. L’entreprise prétend que l’augmentation de ses coûts de production a des conséquences négatives sur ses profits.

En quoi les femmes sont-elles les premières victimes de ce pouvoir ?

Les femmes sont davantage exposées à l’exploitation, à l’informalité, à la précarité, aux menaces de violence et aux violences réelles. Si la participation des femmes au monde du travail est en constante augmentation, elles occupent toujours les emplois les plus précaires, elles sont moins bien rémunérées que les hommes à emploi égal et elles assument le fardeau des activités de soin et des tâches domestiques non rémunérées. Selon la CSI, 40 à 50 % des femmes sont victimes d’avances sexuelles non désirées, de contacts physiques abusifs ou d’autres formes harcèlement sexuel au travail, et ce à l’échelle mondiale.

Pour faire progresser l’autonomisation économique des femmes, les politiques doivent impérativement prendre en compte ces deux questions clés : la redistribution des richesses et les obligations des États en matière de financement des soins de santé, de l’éducation et du travail domestique. C’est dans ce domaine que les conséquences de la non réglementation du pouvoir des entreprises sont les plus graves : par le biais d’abus généralisés en matière fiscale, de flux financiers illicites et d’un réseau mondial de juridictions pratiquant le secret bancaire, les entreprises privent les pays des fonds publics qui leur permettraient de remplir leurs obligations en matière de droits des femmes et de justice.

Dans ce système, l’autonomisation économique des femmes est-elle même envisageable ?

Le pacte social est brisé. Nous ne parviendrons jamais à instaurer une plus grande égalité de genre si nous dépendons du secteur privé pour mettre en œuvre le développement et financer les institutions multilatérales. Cette dépendance remet également en question la mise en application des droits humain de tous et toutes et le fait que les gouvernements soient tenus pour responsables des engagements qu’ils prennent.

Nous devons transformer en une véritable problématique l’idée même d’une meilleure intégration des femmes dans un système fondé sur la domination et l’oppression. En somme, dans un système injuste, l’égalité de genre fait simplement figure de tactique pragmatique de survie ; la véritable lutte pour le pouvoir économique des femmes est en fait une lutte pour une économie plus juste.

Cette lutte pour une économie plus juste exigera indéniablement que soient mis en place des changements structurels dans les politiques commerciales, financières et macroéconomiques mondiales. Mais elle nous imposera également de déployer notre imagination pour cesser de parler d’économie au singulier et créer l’espace nécessaire à ce que prospèrent des économies multiples et des visions autodéterminées du développement.

La résistance face à une régression et à une violence inédites

Des femmes s’organisent, revendiquent le changement et construisent des économies et des systèmes en marge de l’économie dominante fondée sur l’extraction des ressources naturelles et l’exploitation du travail. Certaines d’entre elles paient leur engagement de leur vie.

La violence est utilisée comme un moyen de contrôler les travailleurs-euses et les dissident-e-s qui dénoncent les modèles économiques et développementaux actuels. Les défenseuses des droits humains qui luttent contre le pouvoir des entreprises au sein de leur communauté dénoncent inlassablement les risques auxquels elles sont exposées, non seulement à cause de leurs activités, mais aussi à cause de leur identité de genre. Elles sont notamment victimes de viol, d’agressions sexuelles et de menaces à leur encontre et à celle de leur famille, autant de violences qui restreignent leur participation politique dans la sphère publique.

Le pouvoir des entreprises est souvent perpétué par le militarisme, et le complexe militaro-industriel est en effet une bonne illustration des énormes réseaux qui regroupent les intérêts des entreprises et des élites. La base de données du Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l'homme – un réseau qui mène des recherches d’envergure régionale visant à faire progresser les droits humains au sein des entreprises et à mettre fin aux abus dans ce domaine – a répertorié, en 2015 et 2016, 400 cas d’agression à l’encontre de défenseur-e-s qui luttent pour que les entreprises soient tenues d’assumer la responsabilité de leurs actes. Les entreprises les plus souvent mentionnées sont situées en Chine, aux États-Unis et au Canada.

Le 3 mars 2017, nous célébrerons le triste premier anniversaire de l’assassinat de la féministe et défenseuse des droits humains hondurienne Berta Cáceres. Elle a été assassinée pour avoir organisé l’opposition à la construction d’un barrage hydroélectrique sur le fleuve Agua Zarca, en territoire Lenca. Il ne s’agit malheureusement pas d’un cas isolé dans le contexte spécifique du Honduras, mais sa mort est un exemple extrême de la complicité meurtrière qui unit des entreprises au pouvoir incontrôlé, des gouvernements bénéficiant d’une totale impunité et les élites du monde entier.

Pour que les femmes puissent jouir de leurs droits humains, il est impératif que les cadres sociaux, juridiques et politiques nécessaires soient mis en place, de façon à ce que l’autonomisation économique des femmes ait un véritable impact sur l’existence qu’elles mènent.

Pendant la CSW61 qui se tiendra cette année, et malgré le recul que nous observons en matière de droits des femmes et de justice de genre, nous devons résister et dénoncer les pratiques et systèmes mondiaux qui opèrent au profit de quelque uns et aux dépens de l’ensemble des êtres humains et de la planète.
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Analyses
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Global
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AWID