DOSSIER DU VENDREDI : Le viol et la violence fondée sur le genre lors des conflits représentent un problème qui a pris des proportions considérables dans le monde entier.
La campagne internationale pour mettre fin aux viols et à la violence fondée sur le genre en situation de conflit a été lancée dans le but de mettre fin une bonne fois pour toutes avec ce fléau gratuit.
L’AWID s’est entretenue avec Yee Htun, Coordinatrice de la campagne internationale pour mettre fin aux viols et à la violence fondée sur le genre en situation de conflit au sein de l’organisation Nobel Women’s Initiative sur les objectifs et les espoirs qui alimentent cette campagne.
Par Susan Tolmay
La Nobel Women’s Initiative (NWI) a été établie en 2006 par un groupe de lauréates d’un prix Nobel de la paix, qui se sont réunies afin de former une organisation utilisant le prestige du prix Nobel de la paix pour appuyer les défenseur-e-s des droits humains des femmes ainsi que les organisations et les activistes des droits des femmes dans le domaine de la paix, de la justice et de l’égalité. La campagne internationale constitue la toute première collaboration mondiale entre des lauréates d’un prix Nobel de la paix de Nobel Women’s Initiative, des organisations de plaidoyer internationales et des groupes communautaires de base, œuvrant aux échelons régional et communautaire dans des zones de conflit.
AWID : Pourquoi Nobel Women's Initiative s’est-elle lancée dans cette campagne internationale pour mettre fin aux viols et à la violence fondée sur le genre en situation de conflit ?
Yee Htun (YH) : Le viol et la violence lors des conflits sont des situations récurrentes que l’on retrouve au fil de l’histoire et des conflits modernes. Autrefois, les gens considéraient qu’il s’agissait d’une conséquence inévitable de la guerre. Les conflits en ex-Yougoslavie, au Rwanda et en République démocratique du Congo (RDC) ont montré que le viol et la violence fondée sur le genre sont également utilisés comme arme de guerre. Le viol est employé comme arme stratégique pour détruire des populations, des communautés et des nations entières. La violence fondée sur le genre est une arme tactique utilisée tant par les forces de sécurité de l’État que par les groupes armés.
La communauté internationale a mis au point divers instruments, mécanismes et législations à l’échelon international interdisant le viol et la violence fondée sur le genre, tels que la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, et d’autres résolutions postérieures à celle-ci. Ces instruments confirment que le viol et la violence fondée sur le genre lors des conflits ne doivent en aucun cas être considérés comme des conséquences naturelles de ces conflits, et reconnaissent au contraire qu’ils représentent une action stratégique coordonnée visant à concrétiser un génocide ou des crimes contre l’humanité devant être abordés sans plus attendre. Les dispositions établies dans les législations et les instruments internationaux interdisent cette violence et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale stipule trois chefs d’accusation, à savoir génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, pouvant être appliqués aux auteurs des viols et des actes de violence fondée sur le genre.
Néanmoins, en dépit des progrès accomplis en termes de législations et d’instruments internationaux, et du changement de paradigme dans la manière d’aborder cette question, très peu d’actions ont été entreprises, qui ne sont pas parvenues à changer les vies des femmes et des hommes victimes de cette violence. Globalement, l’importance de ce phénomène, condamné par la législation internationale, est admise, mais la volonté politique pour aborder ce problème dans chacun des pays où cette violence existe manque cruellement.
Nous avons observé le travail de plaidoyer difficile et de longue haleine mené par de nombreuses organisations pour dénoncer cette situation, mais pour mettre fin aux viols et à la violence fondée sur le genre en situation de conflit, il manque encore un mouvement coordonné et concerté de la société civile. La campagne est menée par des lauréates d’un prix Nobel de la paix de l’organisation Nobel Women’s Initiative et un Comité consultatif formé par 25 organisations œuvrant aux échelons international, régional et communautaire en vue de mettre fin aux viols commis durant des conflits.
La campagne s’articule autour de trois axes principaux, à savoir : la prévention (comment assurer la prévention du viol et de la violence et de quelle manière il est possible d’aborder les gouvernements, la société civile et la communauté internationale pour assurer la prévention du viol) ; la protection (si la prévention échoue, il faut alors assurer des ressources pour protéger les femmes, par exemple des foyers d’accueil, des traitements médicaux ou une assistance juridique afin que les survivantes puissent porter leurs cas à la connaissance des tribunaux), et ; mettre fin à l’impunité (qui est l’une des principales raisons pour lesquelles le viol est si répandu).
AWID : Votre action est centrée sur quatre pays cibles, à savoir la Birmanie, la Colombie, la RDC et le Kenya. Pourquoi ces pays ? Envisagez-vous d’élargir votre campagne à d’autres pays en conflit ?
Pour la première année, nous avons choisi de centrer notre action sur quatre pays dans lesquels le viol représente un problème grave et d’actualité, exigeant une action rapide.
La RDC est bien connue pour les très hauts niveaux de viol qui se maintiennent jusqu’à aujourd’hui. On estime que près de 200 000 femmes de tout âge ont été violées au cours de la guerre au Congo, qui s’est terminée en 2003.
Le Kenya, en raison de la violence qui a éclaté après les élections en 2007-2008 et parce que des élections auront lieu l’année prochaine et le gouvernement kenyan s’attend à de nouvelles poussées de violence. Nous avons donc pensé que nous avions l’opportunité de faire quelque chose avant que la violence n’éclate.
En Colombie, la guerre contre la drogue et les changements de régime récemment survenus ont eu un impact considérable sur les femmes défenseures des droits humains (FDDH) : un grand nombre d’entre elles disparaissent et le viol est utilisé comme arme pour faire taire les activistes.
Enfin, le régime militaire birman est impliqué dans le conflit armé le plus long actuellement en cours. Le régime a régulièrement recours au viol contre les minorités ethniques qui exigent la démocratie.
Mais cela ne veut pas dire que la situation d’autres pays en conflit ne nous intéresse pas. Nous menons une campagne mondiale qui œuvre à tous les niveaux en vue d’assurer la volonté politique de la communauté internationale et des gouvernements nationaux et locaux afin de s’attaquer à ce problème. Si des changements sont mis en œuvre, tels que l’adoption de lois ou la garantie des trois piliers qui sont la prévention, la protection et la poursuite (pour mettre fin à l’impunité), nous avons l’espoir que ce problème sera abordé dans son ensemble.
AWID : En quoi consiste cette campagne ? Qui est concerné ?
Comme évoqué précédemment, outre les lauréates d’un prix Nobel de la paix de l’organisation Nobel Women's Initiative, il existe également un comité consultatif formé par 25 organisations. Diverses organisations et personnes du monde entier ont rejoint cette campagne depuis son lancement du 6 au 13 mai 2012. Actuellement, nous comptons près de 600 organisations dans 125 pays et plusieurs milliers de personnes, soit au total environ 3000 membres impliqués dans la campagne à l’échelon international.
Les organisations membres qui font partie du comité consultatif et proviennent des pays cibles sont responsables d’informer la campagne et d’établir les besoins dans chacun des pays en vue d’aborder le problème. Au sein de chacun des pays ciblés, un comité de la campagne a été mis en place comprenant des groupes ayant rejoint cette initiative à l’échelon local. Ils forment des coalitions et préparent des activités localement, et pendant la réalisation de ce travail sur le terrain, nous appuyons et promouvons leurs activités à l’échelon international. Nous sommes donc très centrés sur le niveau local, tout en ayant l’appui et le soutien de la communauté internationale ralliée à cette cause.
AWID : Une « semaine d’action » s’est déroulée du 6 au 13 mai. Quelle est la suite ?
La semaine de lancement a été notre manière d’annoncer au monde qu’il s’agit d’un problème auquel nous avons décidé de nous attaquer. C’était le coup de pied initial, qui sera suivi de nombreuses activités menées par les 3000 entités. Les activités de lancement se sont déroulées dans le monde entier. Par exemple, une organisation partenaire en Bosnie a réalisé une émission à la radio pendant une semaine consacrée à l’impact de la guerre dans ce pays, qui est également la raison pour laquelle cette organisation a choisi d’appuyer notre campagne. En Inde, des séminaires éducatifs ont été organisés sur le viol et la violence fondée sur le genre lors des conflits.
La semaine d’action dans chacun des quatre pays cibles sera suivie d’actions futures dans ces pays. Notre but est de présenter notre travail de plaidoyer et nos conclusions aux gouvernements et parlements de divers pays. Par exemple, en RDC nous avons rencontré le Président du Parlement. Nous lui avons présenté nos conclusions et le témoignage de victimes, et avons demandé au gouvernement de prendre des mesures concrètes. Le gouvernement de la RDC s’est engagé à examiner environ 400 cas de violence dans lesquels des femmes ont remporté leurs procès contre les coupables sans que la sentence ait été appliquée.
Nous faisons pression afin d’assurer la volonté politique des gouvernements d’entreprendre des actions. Nous menons également un travail multilatéral auprès de nos États en développement sur la nécessité d’affecter des ressources et d’appuyer la prévention, la protection et la poursuite des affaires de viol lors des conflits et nous aidons la société civile, les activistes des communautés de base et d’autres organisations qui sont en première ligne pour soutenir les victimes dans des pays tels que la Birmanie, la Colombie, le Kenya et la RDC.
AWID : Comment participer à cette campagne ?
La campagne est essentiellement fondée sur l’action des organisations membres, qui s’attaquent au problème en organisant des activités selon leurs contextes et développent la solidarité auprès de groupes de femmes et d’hommes provenant d’autres endroits du monde, avec lesquels ces organisations ne seraient pas en rapport en temps normal. Les activités peuvent être très créatives, les organisations sont libres. Il n’y a aucune directive aux organisations membres régissant leur action, il s’agit d’un travail de sensibilisation auprès de leurs communautés et les organisations sont libres de le réaliser comme bon leur semble.
Les personnes peuvent adhérer à titre individuel et participer aux actions menées localement ou faire passer le message par le biais de leurs propres réseaux et médias sociaux. Les organisations peuvent elles aussi adhérer et s’engager à diffuser des informations sur la campagne par le biais de leurs réseaux et à mener au moins une activité par an pour la campagne.
Nous sommes convaincues que si nous travaillons ensemble, nous pouvons mettre fin aux viols en situation de conflit ! Rejoignez-nous sur www.stoprapeinconflict.org et découvrez dès aujourd’hui comment participer à notre campagne.
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.