DOSSIER DU VENDREDI : Six mois après le 4
Toutefois, les organisations de la société civile ont exprimé leurs réserves concernant le caractère inclusif du processus et demeurent sceptiques quant à la mise en œuvre de changements concrets.
Par Ana Inés Abelenda[1]
Les économies émergentes du Sud global, telles que le Brésil et la Chine, ont transformé les (dés)équilibres géopolitiques économiques associés à un contexte de diverses crises d’ordre économique, financier, climatique, alimentaire, sanitaire et énergétique. Pour y parvenir, des espaces de prise de décision à l’échelon mondial ont été nécessaires afin de repenser le cadre de développement actuel. La lenteur des progrès en vue d’atteindre des objectifs minimaux, tels que les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), constatée dans le rapport sur les OMD récemment publié par les Nations Unies, fait partie des facteurs complémentaires à prendre en compte.
L’un des principaux espaces de négociation sur l’efficacité de l’aide et la coopération au développement à l’échelon mondial est l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), composée de 34 pays membres, qui sont pour la plupart des pays développés à haut revenus. S’inscrivant dans le cadre de l’OCDE, le Groupe de travail sur l’efficacité de l’aide (GT-EFF) a animé entre 2008 et juin 2012 des débats et réalisé un suivi sur la mise en œuvre des accords relatifs à la coopération au développement et à l’efficacité de l’aide.
Reconnaissant que la coopération au développement est fort complexe et va bien au-delà de la simple relation donateur-bénéficiaire, le groupe de travail sur l’efficacité de l’aide a progressivement réuni un nombre croissant de parties prenantes et d’acteurs du développement membres et non membres, tels que le secteur privé, les coopérateurs Sud-Sud et les organisations de la société civile (OSC)[2].
Les groupes des droits des femmes se sont montrés critiques vis-à-vis du processus relatif à l’efficacité de l’aide mené par l’OCDE, qui de leur point de vue devrait plutôt s’inscrire dans le cadre des Nations Unies, qui vise à une participation égale de tous les pays. Les organisations des droits des femmes et les défenseur-e-s de l’égalité des genres, ainsi que d’autres OSC telles que celles coordonnées par la plateforme BetterAid, appellent depuis longtemps à une approche du développement et de la coopération au développement basées sur les droits humains, et soucieuse des droits des femmes et de l’égalité des genres, du travail décent et de la pérennité de l’environnement[3].
Les accords antérieurs relatifs à la coopération au développement dans le cadre de l’OCDE, tels que la Déclaration de Paris (2005) et le Programme d’action d’Accra (2008), ont constitué un pas en avant dans le sens où ils ont permis d’établir les principes directeurs pour l’efficacité de la coopération au développement, en obtenant toutefois des résultats très limités[4].
Le quatrième Forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide (FHN-4) tenu à Busan, en Corée[5], a produit un document final intitulé Document du Partenariat de Busan (dPB) pour une coopération efficace au service du développement, adopté par un large éventail d’acteurs du développement[6]. Ce document s’appuie sur et renforce les principes fondamentaux établis dans les accords antérieurs, à savoir Paris et Accra, et signale les engagements requis en vue de mettre sur pied un nouveau cadre de coopération au développement plus inclusif des différents acteurs du développement. Alors que les conclusions de Busan ont fait l’objet de réactions mitigées de la part des organisations de la société civile, notamment des organisations féministes[7], le Partenariat de Busan pour une coopération efficace au service du développement reconnaît la nécessité de mettre en œuvre un changement en vue d’un programme moins technique mais plus inclusif, dans lequel les priorités en matière de développement seraient définies par les pays eux-mêmes et non pas par la fourniture d’aide.
Aucun accord final n’a été atteint en décembre 2011 sur la manière de réaliser le suivi des progrès de la mise en œuvre, pas plus que sur l’orientation de ce nouveau partenariat en termes de gouvernance. En revanche, les parties prenantes sont convenues de poursuivre les négociations jusqu’à juin 2012 par l’intermédiaire d’un groupe plus restreint baptisé Groupe intérimaire post-Busan (GIPB).
La société civile disposait d’un siège au GIPB[8], qui s’est réuni trois fois entre février et juin 2012 afin de soumettre une proposition claire sur les dispositions relatives au fonctionnement de la nouvelle structure à la réunion plénière du groupe de travail sur l’efficacité de l’aide tenue les 28 et 29 juin 2012 à Paris, France. Cette réunion a marqué la fin du groupe de travail sur l’efficacité de l’aide et la formation d’un nouveau cadre : le Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement.
Concernant le Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement : qu’y a t-il de nouveau ?
D’après le Partenariat de Busan pour une coopération efficace au service du développement, l’objectif du nouveau Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement est « de soutenir la mise en œuvre politique des engagements souscrits et d’assurer leur redevabilité » qui « constituera une tribune ouverte à la diversité et offrira un forum d’échange de savoir, ainsi que de revue régulière des progrès accomplis ».
Les dispositions relatives au fonctionnement du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement introduisent un certain nombre de changements qui reflètent les demandes liées à une approche global light-country heavy, c’est à dire centrée sur la mise en œuvre à l’échelon national et non pas sur plusieurs instances de débat à l’échelon mondial.
Le Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement comprend deux niveaux de représentation : les réunions au niveau ministériel, qui auront lieu tous les 18 à 24 mois, et le Comité de pilotage, actuellement composé de 18 membres, dont l’un représentera la société civile. Trois co-présidents du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement ont été nommés : un co-président représentant les « bénéficiaires et les fournisseurs de coopération au développement », un co-président représentant les « bénéficiaires de la coopération au développement », et un co-président représentant les « fournisseurs de coopération au développement »[9]. En conséquence, en dépit des intentions, sur le papier, d’établir un partenariat réunissant diverses parties prenantes, le nouveau Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement a accepté uniquement des gouvernements dans sa direction.
En termes de suivi mondial, un ensemble de 10 indicateurs a été adopté, soit le strict minimum pour sauvegarder les engagements les plus fondamentaux pris à Paris, Accra et Busan. Parmi ces indicateurs, il convient de signaler le Nº2 Environnement propice pour les OSC et le Nº 8 Égalité des sexes et autonomisation des femmes.
Les réactions et les préoccupations de la société civile
L’un des grands sujets de préoccupation des 35 représentants des organisations de la société civile lors de la réunion du Groupe de travail sur l’efficacité de l’aide (GT-EFF) tenue en juin 2012 est le manque d’espace pour approfondir les négociations et la représentation minimale de la société civile dans la structure de gouvernance du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement (PMCED).
La déclaration des organisations de la société civile faite au Groupe de travail le 29 juin exprime les réserves des OSC quant à la nature consensuelle du PMCED du fait que les suggestions des divers groupes ont été rejetées. Les représentants de la coalition BetterAid à Paris ont quitté la salle pour manifester leur mécontentement et ont choisi de se tourner vers leurs membres afin de débattre sur le principe de cet engagement permanent vis-à-vis du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement. La réunion de Paris, qui se voulait une instance de délibération, s’est avérée un mécanisme d’imposition de consensus laissant très peu de marge à la négociation.
D’autre part, les co-présidents de BetterAid ont envoyé une lettre aux membres du groupe de travail sur l’efficacité de l’aide datée du 27 juin 2012 dans laquelle ils font remarquer l’inadéquation de la représentation de la société civile, notamment au sein du Comité de pilotage, où les OSC disposent d’un seul siège supposé représenter la diversité de leurs acteurs, y compris les organisations des droits des femmes et féministes. Afin de refléter l’esprit d’un partenariat juste et réunissant des parties prenantes diverses, les OSC demandent des sièges supplémentaires au sein du Comité de pilotage, un siège de co-président et le rééquilibrage des genres, ainsi qu’un-e défenseur-e des droits des femmes.
Concernant le cadre du suivi, la déclaration de BetterAid faite au groupe de travail sur l’efficacité de l’aide en juin 2012 a exprimé une préoccupation particulière quant à l’accent mis sur le caractère volontaire de l’accord. Il conviendrait que l’ensemble des parties prenantes s’engage pleinement dans le processus de suivi car l’expérience passée montre que sans suivi, les actions ne sont ni poursuivies, ni accomplies.
Pourquoi le Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement est-il important pour la promotion des droits des femmes et l’égalité des sexes ?
Le document produit à l’occasion du quatrième Forum de haut niveau de Busan crée une opportunité de promouvoir les engagements liés à l’égalité des genres dans la coopération au développement. Celui-ci a cependant tout de même suscité certaines critiques car il ne mentionne pas explicitement les droits des femmes et ne comprend pas une approche intégrée de la coopération au développement basée sur les droits humains[10]. Un paragraphe sur l’égalité des genres (§20) a été inclus, établissant clairement que l’ensemble des parties concernées par la coopération au développement doivent collecter des données sensibles au genre et utiliser ces données pour orienter la mise en œuvre[11].
L’indicateur 8, relatif à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes, a été mis au point par GENDERNET[12] et ONU Femmes. Il s’agit de l’un des dix indicateurs de progrès qui mesure actuellement le pourcentage des pays disposant de systèmes de suivi et de fourniture d’allocations publiques pour l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes. Dans les mois ayant suivi le Forum de haut niveau de Busan, plusieurs groupes des droits des femmes[13] ont appuyé la prise en compte de cet indicateur dans le Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement, tant parmi les gouvernements qu’au sein de la plateforme d’organisations de la société civile BetterAid. Cet indicateur fait aujourd’hui partie du cadre de suivi et les organisations des droits des femmes œuvrent maintenant en vue de le renforcer et d’accroître sa précision.
Toutefois, les organisations des droits des femmes et d’autres organisations de la société civile perçoivent une ambition réduite concernant les objectifs à atteindre par le biais du nouveau cadre du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement sous sa forme actuelle. Celui-ci demeure cependant un programme politique important à influencer et dans lequel il convient de s’engager de manière critique compte tenu du point d’inflexion de la coopération au développement en termes de progrès des droits des femmes et de l’accueil réservé aux propositions des organisations des droits des femmes.
Quelle est la marche à suivre ?
Les organisations de la société civile s’attachent actuellement à s’organiser en tenant compte des derniers évènements et du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement[14]. Dans le cadre de ces consultations stratégiques, des groupes des droits des femmes du monde entier se sont réunis à l’occasion de la « Consultation des organisations et réseaux internationaux de droits de la femme sur le Partenariat des OSC pour le développement efficace » organisée à Nairobi, Kenya, les 25 et 26 juillet 2012[15]. La demande fondamentale demeure celle d’une approche du développement et de la coopération au développement fondées sur les droits humains, reconnaissant le caractère essentiel de l’égalité des genres et des droits des femmes dans tous les efforts liés au développement.
Il reste à voir la manière dont le nouveau cadre sera mis en œuvre à l’échelon national une fois que le Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement aura commencé à fonctionner, et quel sera l’impact du contexte géopolitique actuel sur le leadership du nouveau cadre de la coopération au développement. Le paysage qui émerge est marqué par l’importance croissante accordée au rôle du secteur privé dans le développement, la hausse de l’influence des blocs conservateurs et des États, et les changements dans le pouvoir géopolitique, qui implique de nouveaux alignements de l’aide et des acteurs clés.
À la lumière de ce contexte changeant, les organisations des droits des femmes et les défenseur-e-s de l’égalité des genres prennent actuellement le temps de réfléchir aux succès remportés dans le passé pour influencer leurs programmes et identifier les points forts et les points faibles, en vue de définir des stratégies leur permettant d’avancer.
[1] Avec des contributions d’Anne Schoenstein et de Mayra Moro-Coco/AWID.
[2] Pour de plus amples informations sur les membres du groupe de travail sur l’efficacité de l’aide (GT-EFF) et son fonctionnement, voir AWID Primer 9: The Road to Korea 2011: Key official and civil society actors, pages 1-4 (disponible en anglais seulement).
[3] Pour plus de références, voir Exigences clés des organisations des droits des femmes et de l’égalité de genre et Principaux messages et propositions des OSC.
[4] Cette réalité a été admise par les donateurs traditionnels eux-mêmes dans un rapport de l’OCDE intitulé Efficacité de l’aide 2005-10 : Progrès accomplis dans la mise en œuvre de la Déclaration de Paris.
[5] Du 29 novembre au 1
[6] Y compris les donateurs traditionnels, les coopérateurs Sud-Sud, les organisations de la société civile, les organisations multilatérales et le secteur privé.
[7] Voir le Dossier du Vendredi Le quatrième Forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide aux yeux des féministes de janvier 2012 pour plus d’information.
[8] Représentée par les co-présidents de BetterAid Tony Tujan (IBON) et Mayra Moro-Coco (AWID).
[9] Les trois co-présidents ont accepté leurs nominations : Mme Ngozi Okonjo-Iweala, Ministre des finances du Nigéria ; Mme Armida Alisjahbana, Ministre d’État à la planification du développement national de l’Indonésie, et ; M. Andrew Mitchell, Secrétaire d’État pour le développement international au Royaume-Uni. Voir la liste des co-présidents et des membres du Comité de pilotage confirmés à compter du 3 août 2012.
[10] Ibid. 4
[11] Une analyse approfondie de la version finale du paragraphe 20 est disponible dans le document assessment of the BPd from a civil society perspective de mars 2012.
[12] Le réseau Network on Gender Equality qui siège au Comité d’aide au développement de l’OCDE.
[13] Notamment ceux faisant partie du Groupe de coordination de BetterAid (BACG) : l’AWID, l’Asia Pacific Forum on Women, Law and Development (APWLD), le réseau African Women’s Development and Communication Network (FEMNET), et Coordinadora de la Mujer/Bolivia.
[14] Plus d’information sur le processus des organisations de la société civile via BetterAid.
[15] La consultation des femmes a été organisée par FEMNET et co-organisée par APWLD, AWID et Coordinadora de la Mujer/Bolivia.
Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.