Cette année, j’ai assisté à un atelier sur la sécurité numérique organisé à Mumbai, en Inde, par l’Association pour le progrès des communications et l’organisation Point of View. Il s’agissait de mon premier atelier sur la sécurité numérique et, comme la plupart des autres participant-e-s, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. De manière générale, j’étais sensibilisée aux vastes questions que sont la surveillance, la politique du big data et les autres domaines problématiques du monde numérique. Mais je pensais que ces questions ne pourraient jamais vraiment me toucher directement. Pendant très longtemps, j’ai cru que la sécurité numérique ne me concernait pas dans la mesure où rien, ou presque rien, de mon vécu numérique ne pouvait relever véritablement de ces questions.
L’atelier se déroulait bien et j’acquiesçais vigoureusement de la tête pour marquer mon accord avec tout ce qui était dit, jusqu’au moment où nous avons abordé la « modélisation des menaces ». Cet exercice consiste à vous placer vous-même au centre de la réflexion pour analyser le risque que vous courrez d’être la cible d’une attaque en ligne dans votre vie personnelle ou professionnelle. À ma grande surprise, plus j’avançais dans l’analyse, plus je voyais rétrécir mon filet de sécurité. J’ai réalisé que le fait de ne pas avoir pas ma langue dans ma poche et de travailler sur des questions de santé et de droits sexuels et reproductifs faisait de moi une personne vulnérable aux attaques en ligne (à l’instar des personnes « numériquement » associées à moi). Cela m’a franchement effrayée !
En ligne, la plupart d’entre nous opèrent sur le mode « Faire confiance à tout le monde ».
C’est sans doute parce que nous séparons le virtuel du réel, peut-être sans réaliser que, dans les cultures des nouveaux médias, le virtuel et le réel se chevauchent de plus en plus intensément. À mesure que l’atelier révélait des questions complexes, je ressentais de plus en plus mon existence numérique comme ma présence au milieu d’une place bondée. N’importe quel-le passant-e équipé-e des outils les plus simples de l’ingénierie sociale pouvait obtenir des informations sur ma vie et mes activités quotidiennes. Le problème est devenu flagrant quand j’ai imaginé que ces passant-e-s pouvaient être des ex vindicatifs-ives, des collègues jaloux-ses, des fraudeurs-euses en ligne, des activistes anti-choix et des membres de groupes homophobes.
À ce moment de l’atelier, l’idée selon laquelle je bénéficiais d’une situation privilégiée et donc d’une supposée sécurité en ligne commençait à être sérieusement ébranlée. J’ai réalisé que personne ne pouvait jamais prétendre à une permanence des privilèges et du statu quo. Quand l’équilibre du pouvoir se modifie, les critères de marginalisation évoluent aussi. Et, à n’importe quel moment, on peut se retrouver du mauvais côté de la barrière de la dynamique du pouvoir. Partant de là, le fait d’adopter des outils de sécurité numérique apparaît comme une posture politique et comme une question féministe. Il s’agit d’une manière latente d’affirmer notre résistance aux pratiques déloyales d’extraction des données et de surveillance sans consentement. Ainsi, nous devons constamment veiller à notre sécurité dans les espaces tant physiques que numériques. La première étape vers la sécurité numérique consiste à accepter le fait que notre existence numérique est aussi réelle que le monde physique (et que ces deux aspects donnent conjointement sens à notre unique vie). Plus qu’un processus d’apprentissage de l’utilisation d’outils en apparence complexes, la sécurité numérique consiste à évaluer les risques que nous courons en ligne et à nous ouvrir aux changements de comportement.
Armée de ces nouveaux outils visant à assurer ma sécurité, je me sens maintenant plus confiante à l’idée d’arpenter les rues numériques et d’explorer le potentiel d’Internet pour chercher des informations, du divertissement et du plaisir.
Anubha Singh travaille actuellement pour CREA-New Delhi et utilise le compte @AnubhaUsha sur Twitter.