Le 22 août 2016 dernier, le Forum des Féminismes noirs et le Groupe consultatif sur le bien-être ont co-organisé un webinaire sur le souci de soi, le bien-être collectif et sur la joie et le plaisir comme faisant partie intégrante de nos luttes pour les droits et la justice.
Lors d’une discussion très dynamique, les intervenant-e-s ont partagé leurs connaissances et leur expérience avec plus de 80 féministes et défenseuses des droits humains. Les questions posées par les participant-e-s ont concerné le potentiel de transformation que représente le souci de soi personnel et collectif, mais aussi les grandes difficultés et défis pour le mettre en pratique. Comment combiner le souci de soi avec les responsabilités familiales ? Comment pouvons-nous apprendre à prioriser le souci de soi par rapport aux échéances ? Comment faire face lorsque nous travaillons dans des organisations qui perpétuent le harcèlement sexuel ou les hiérarchies racistes ? Le sexe peut-il être une forme de souci de soi ?
Le sujet n’est pas nouveau mais prendre soin de nous-mêmes, que ce soit dans la vie privée ou au sein de nos mouvements, n’est pas encore chose facile. Ce webinaire nous a rappelé combien il est important de poursuivre cette conversation si nous voulons pouvoir concrétiser et incarner les visions féministes dont nous rêvons.
Écouter le webinaire (en anglais)
Les points marquants de la discussion
Lin Chew
Lin Chew est une féministe défenseuse des droits humains qui est également mère, grand-mère et céramiste. Lin est co-fondatrice et directrice de l’Institute for Women’s Empowerment (institut pour l'autonomisation des femmes), l’IWE, qui vise un leadership féministe durable et transformateur.
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Le souci de soi c’est apprendre à vivre nos vies en étant conscient-e-s de comment nous nous sentons, c’est apprendre à nous connaître nous-mêmes d'une manière holistique : comment nous sentons-nous mentalement, physiquement, spirituellement, dans nos relations, émotionnellement ? C’est la compréhension que le personnel et le politique sont indissociables. Le soi doit être soucieux du collectif, et le collectif doit être soucieux des individualités qui le constituent.
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Le souci de soi n’est pas une tâche supplémentaire à accomplir, il s’agit de la façon dont nous réalisons notre travail. Si vous êtes stressé-e, pouvez-vous vous arrêter, prendre une grande respiration, vous allonger un instant ? C’est peut-être exactement de cela dont vous avez besoin pour pouvoir terminer votre travail.
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Pour les communautés et les personnes qui ne peuvent pas assister à des séminaires ou se permettre de perdre le salaire d’une journée de travail pour se former, il existe plusieurs manières d’échanger sur la connaissance de soi, le souci de soi et le bien-être. Il est possible d’intégrer des exercices de partage et de gestion des émotions dans toutes les activités que nous réalisons avec les individus et les groupes avec lesquels nous travaillons et d’expliquer pourquoi c’est important.
Lucia Victor Jayaseelan
Lucia Victor Jayaseelan est une militante féministe avocate, spécialiste des droits humains, qui travaille sur les questions liées aux droits des détenus politiques, des réfugié-e-s, des migrant-e-s et sur la violence à l’égard des femmes. Lucia est également thérapeute. Sur le chemin de la guérison, elle propose diverses approches thérapeutiques telles le Reiki et le Jin Shin Jyutsu.
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Le concept de souci de soi est important car être impliqué-e dans quoi que ce soit de politique, c’est comprendre que vous êtes politique. L'attention portée au corps et à la dimension spirituelle fait partie de notre lutte. Dans le cadre de l'activisme des droits du travail, par exemple, on peut clairement observer un lien étroit entre les conditions de travail et les traumatismes et les problèmes personnels vécus.
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Le patriarcat place des attentes irréalistes sur nous, exige de nous que nous soyons des surhumain-e-s – que ce soit en tant que parent ou employé-e, tout en ayant fait le choix d'être un-e défenseur-e des droits humains.
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Après avoir impliqué ma fille dans toutes mes luttes, l’entendre me dire : « Je t'aime maman pour ce que tu fais, pour ce que as contribué à faire de moi», m'a aidée à faire face au sentiment de culpabilité.
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Le stress ne disparaîtra pas, mais la question est de savoir comment le gérer. Comment pouvons-nous nous préserver ? Combien de temps pouvons-nous encore être des activistes ? Devons-nous raccourcir cette période de notre vie ?
Aina-Nia Ayo’dele
Aina-Nia Ayo'dele est une activiste spirituelle féministe, formatrice en développement du leadership, enseignant la sagesse ancestrale et également coach de vie. Elle est la fondatrice et la directrice de l’organisation Sacred Women International (SWI).
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En tant qu’activiste et leader, nous nous oublions souvent. Nous pensons prendre bien soin des autres alors qu’en vérité, nous ne pouvons pas donner pleinement à d'autres si l’on se sent vidé-e. Comment créer de la durabilité et de la résilience dans notre mouvement si nous ne nous sentons pas bien, si nous sommes fatigué-e-s, en situation de burn out ? Pour moi, le souci de soi c’est le socle de base d’un mouvement.
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Le souci de soi c’est se fixer des limites claires, c’est honorer qui nous sommes, c’est comprendre qui nous sommes et notre valeur. La culpabilité vient de ne pas se sentir valorisé-e, de ne pas sentir que nous méritons ce que nous désirons. Parmi ces choses, il y a se reposer, boire de l’eau, reprendre son souffle, même au beau milieu du chaos, s’arrêter, tout le monde peut attendre. Savoir que nous méritons de nous arrêter et reprendre notre souffle.
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Pour intégrer l'autodiscipline et le souci de soi dans notre vie, nous pouvons commencer avec quelque chose d’accessible que nous nous engageons faire tous les jours. Par exemple, je peux commencer par me donner de la reconnaissance en me disant tous les matins que je m’apprécie. Intégrer cette approche par la pratique.
Muyoti Mukonambi (Alix)
Muyoti Mukonambi (Alix) est une artiviste, innovatrice sociale, guérisseuse, et coordinatrice du plaidoyer auprès de Sacred Women International. Alix est engagée en faveur de l'éducation populaire dans les mouvements de justice sociale pour les droits des personnes homosexuelles et trans* et dans la lutte panafricaine pour la libération.
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En tant qu’activistes, nous passons souvent non pas par un burn out (épuisement professionnel), mais par plusieurs. D’un point de vue féministe radical, le souci de soi et du collectif ont à voir avec la responsabilité: comment puis-je mieux servir la communauté en prenant soin de moi-même?
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Dans un contexte global, réhabiliter des modes de savoir autochtones peut nous aider à nous ancrer dans le local (village, communauté) et à nous rappeler qui sont les partenaires à qui nous avons à rendre des comptes.
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Prendre soin de soi peut devenir plus accessible lorsque nous sommes fortement connecté-e-s à notre objectif, à notre vision en tant qu’activistes, à notre capacité de remplir notre mission et faire ce qui nous procure de la joie. Alors tout devient plus confortable. Rappelez-vous que vous êtes digne de vous soucier de vous-même.
Charo Mina-Rojas
Charo Mina-Rojas est une défenseuse des droits humains afro-colombienne, engagée depuis plus de 20 ans au niveau national et international. Charo est membre du collectif Proceso de Comunidades Negras (Processus des communautés noires).
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Dans notre contexte militant, il est commun que les organisations ne développent pas une autonomie financière qui leur permette de soutenir les femmes qui font le travail. Ne pas avoir les ressources pour ce faire peut générer du stress, de l'anxiété et parfois du découragement.
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Même si notre action est tournée vers l’extérieur, nous devons travailler notre intériorité. Il ne s’agit pas simplement d’un travail que nous devons faire individuellement, mais d’une pratique collective intégrée aux processus organisationnels.
Ana María Hernández
Ana María Hernández est une féministe défenseuse des droits humains du Mexique. Elle coordonne la stratégie pour le souci de soi de l'Initiative mésoaméricaine des femmes défenseuses des droits humains (IM-Defensoras) et l’association La Serena House, un espace créé pour procurer des soins aux femmes défenseuses et promouvoir le souci de soi.
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Il est important de réfléchir à la façon de nous renforcer et nous autonomiser individuellement. Prendre soin de nous-mêmes, non seulement pour faire face à la violence, mais aussi pour réfléchir à comment retrouver de l'autonomie, développer du leadership, pouvoir transmettre un message de vie. Renforcer notre pouvoir collectif fait partie de la même démarche.
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En Mésoamérique, nous avons intégré le souci de soi et le bien-être collectif à notre militantisme comme faisant partie de notre stratégie politique, non seulement pour pouvoir faire face à nos contextes actuels, mais aussi comme un moyen d'augmenter notre protection à un niveau holistique et notre bien-être dans le cadre de cette transformation.
Vous avez des idées et des suggestions concernant la manière dont l’AWID peut se mettre au service du souci de soi et du bien-être collectif ?