DOSSIER DU VENDREDI – Les discussions sur le nouveau programme de développement qui supplantera les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) des Nations Unies (ONU), alors que ces derniers expirent dans un peu plus d’un an et que de nombreux objectifs n’ont pas encore été réalisés, atteignent un stade crucial. A la tête des Nations Unies, Ban Ki-moon a récemment déclaré que le programme de développement pour l’après-2015 constituera un élément clé de la 69ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) démarrant cette semaine. Nous examinerons quelques unes des préoccupations que suscitent les débats et négociations relatifs à la 69ème AGNU.
Par Susan Tolmay et Nerea Craviotto[i]
Le document final de la Séance Plénière de Haut Niveau de l’Assemblée Générale de 2010 sur les OMD priait le Secrétaire général d’entamer une réflexion sur un programme de développement pour l’après-2015 et d’inclure dans son rapport annuel des recommandations sur les efforts à mener afin d’accélérer les progrès en faveur de la réalisation des OMD. L’aboutissement de la Conférence Rio+20 sur le Développement Durable signa le début d’un processus intergouvernemental visant à mettre en place un ensemble d’Objectifs de Développement Durable (ODD), qui s’est toutefois en grande partie cantonné aux salles de conférences et aux couloirs du Siège des Nations Unies à New York. Il existe un accord général sur le besoin d’établir des liens étroits entre les deux processus afin de parvenir à un programme mondial de développement pour l’après-2015 conférant une place centrale au développement. Cette jonction sera entamée au cours de la 69èmeAGNU qui a lieu actuellement.
Parmi les Organisations de la Société Civile (OSC), notamment les organisations féministes et de droits des femmes, on commence à douter de la capacité du nouveau cadre de développement à réellement transformer la gouvernance mondiale et le système économique, ce qui s’explique en partie par la réticence des Etats membres à adopter des propositions audacieuses qui permettraient des transformations structurelles susceptibles de réduire significativement la pauvreté et les inégalités.
Un Groupe de travail ouvert[ii] (GTO) composé de 30 membres prévu par le document final de Rio+20 a été créé, donnant lieu à des réunions régulières où discuter et convenir de propositions pour les ODD. Les organisations de droits des femmes, qui ont participé à l’ensemble des réunions, ont levé plusieurs drapeaux rouges en réaction aux conclusions émises par les GTO en disant: « l’adoption du document final du Groupe de Travail Ouvert est un pas important, mais les ODD manquent encore de réelle ambition pour un changement transformateur urgent. Le monde doit parvenir à l’accomplissement de l’égalité de-s genre-s, des droits humains des femmes, du développement durable en harmonie avec la nature, et mettre fin aux inégalités »[iii].
Les moyens de mise en œuvre sont un élément clé
Une analyse importante est mise à disposition sur les éléments clés des ODD se dégageant des débats récents sur les moyens de mise en œuvre et le Financement du développement Durable, le Comité intergouvernemental d'experts sur le financement du développement durable (ICESDF) et la route menant à la Conférence internationale de suivi sur le financement du développement (FfD) qui se tiendra à Addis Ababa en juillet 2015. Les OSC, y compris les organisations féministes et les défenseur-e-s des droits humains de toutes les régions plaident pour renforcer les ODD proposés en accordant aux droits humains une place centrale.
Les enjeux liés à la mise en œuvre ne peuvent ni ne doivent être dissociés des sujets concernant les questions macroéconomiques majeures, dont la gouvernance économique et les réformes mondiales. Les OSC exhortent les dirigeant-e-s et les acteur-rice-s du développement, réuni-e-s pour l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU 69) qui se déroulera du 16 septembre au 1er octobre 2014, à respecter l’esprit, la vision et la mission de Rio +20 et à s’engager à apporter des modifications radicales aux systèmes commercial et financier non viables et inéquitables actuels dans le but de garantir la non-régression, la réalisation progressive, et l’utilisation maximum des ressources disponibles en vue de la réalisation des droits humains pour tou-te-s.
Droits humains et justice pour tou-te-s
Au cours de ce processus, la société civile a déclaré à plusieurs reprises que tout nouveau programme de développement devrait être fondé sur le principe de respect des droits humains et de justice pour tout un chacun. Les engagements en matière de droits humains sont des valeurs universelles juridiquement contraignantes visant à promouvoir le bien-être, et devraient constituer le point de référence pour tout cadre de financement du développement (FfD) pour l’après-2015. Par ailleurs, le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC) adopté par l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1966 et ratifié par plus de 160 pays, justifie d’établir un lien entre les ressources et la vie des gens. Ainsi, les acteurs du développement devront veiller à une cohérence des politiques fondée sur les droits humains, notamment pour les questions liées au commerce, l’investissement, l’aide, l’impôt, la migration, la propriété intellectuelle, la dette, les politiques monétaires et la réglementation financière. Les gouvernements et les institutions financières internationales doivent également réaliser des évaluations publiques indépendantes et périodiques concernant les répercussions transfrontalières de leurs politiques et de leurs ententes sur les droits humains et le développement durable.
Le plein exercice par les femmes de leurs droits et l’avancement de l’égalité de-s genre-s doivent constituer un objectif central et bien financé du programme de l’après-2015. Il doit intégrer des indicateurs spécifiques destinés à mesurer non seulement la réalisation des droits des femmes et leur bien-être, mais aussi la modification des déséquilibres de pouvoir ancrés, les normes patriarcales, le changement social et culturel, les inégalités économiques, ainsi que les formes de discrimination multiples et croisées qui perpétuent les inégalités de-s genre-s. Le financement destiné aux droits des femmes ne doit pas hésiter à favoriser l’accès efficace, y compris financier, à une information et à des services de qualité en termes de santé sexuelle et reproductive, et promouvoir la pleine autonomie sexuelle et reproductive comme étant une condition préalable à l’accomplissement des droits humains des femmes. De plus, les dirigreant-e-s doivent s’assurer que les organisations de droits des femmes se trouvent au premier plan du processus pour guider et concevoir les stratégies de financement pour un changement en profondeur à long terme.
Justice fiscale, innovation et prudence à l’égard des nouveaux-elles acteur-rice-s
Un cadre de financement du développement pour le programme de l’après-2015 devra se concentrer sur un financement public du développement durable. La mobilisation des ressources nationales est essentielle au renforcement de la protection sociale minimale, qui aide les plus défavorisé-e-s grâce à la redistribution des revenus.
Si les gouvernements donateurs se sont engagés à ce que l’Aide Publique au Développement (APD) représente au strict minimum 0,7% du Produit Intérieur Brut (PIB), de nouveaux mécanismes innovants de financement du développement doivent être mis en place pour remplacer le système problématique de dette et d’aide par un système fondé sur le respect, la solidarité, l’équité, l’inclusion, la non-subordination et la justice pour tou-te-s.
Bien que le secteur privé doive jouer un rôle dans la réalisation du développement durable et du programme de développement de l’après-2015, nous mettons en garde contre l’externalisation de la coopération au développement et ses implications en termes d’absence de redevabilité. Le financement par le secteur privé, y compris les Partenariats Public-Privé (PPP), doit s’accompagner d’évaluations obligatoires, de redevabilité, de transparence conformément aux normes et aux critères relatifs aux droits humains, tout en garantissant un retour pour les droits humains, et non pas de profit.
Le renforcement de la réglementation des marchés financiers doit figurer en tête des priorités, notamment l’élimination des flux financiers illégaux, de la spéculation sur les prix des matières premières et des paradis fiscaux. Cette réglementation du marché financier doit garantir que le secteur privé ne retire pas d’une main ce qu’il accorde de l’autre et comporter des obligations contraignantes pour les banques, les fondations et les agences de notation en vue du plein respect des droits humains, notamment pour ne pas violer ou porter atteinte au droit fondamental à la nourriture, à l’eau et au logement, ni au droit à l’éducation, à la santé et à la sécurité sociale.
Les politiques budgétaires adéquates et progressistes sont des leviers politiques clés qui garantissent la non-régression des droits économiques, sociaux et culturels (DESC). Les réactions consécutives à la crise financière de 2008 mettent en exergue les répercussions catastrophiques et inéquitables des mesures dites « d’austérité », notamment la politique budgétaire visant à réduire les dépenses publiques, au détriment des plus pauvres et des plus vulnérables. Forte de ces leçons, la société civile appelle à des politiques budgétaires anticycliques qui permettent un partage plus équilibré du coût de la crise tout en garantissant une protection sociale minimale pour tou-te-s.
Réforme en matière de gouvernance internationale et des pratiques
Une réforme de la gouvernance et des pratiques des Institutions Financières Internationales (IFI) s’impose de toute urgence si l’on veut que les politiques fiscales et monétaires soient conformes aux normes en matière de droits humains, y compris en particulier les droits économiques, sociaux et culturels et les droits des femmes. Il est important de veiller à ce que les IFI répondent de leurs actes quant aux violations des droits humains résultant de politiques néfastes, ainsi que de renforcer la stabilité du système financier international.
Il est impératif de concevoir et de mettre en œuvre un mécanisme indépendant et équitable de traitement de la dette souveraine. Ce dernier devrait aussi annuler la dette des pays à faibles revenus, accorder un allègement immédiat de la dette des pays à revenus intermédiaires gravement endettés, et annuler les dettes illégitimes de tous les pays du Sud afin que la dette extérieure cesse, pour les gouvernements, d’être un obstacle à la réalisation des droits humains et à la conception de politiques budgétaires axées sur le développement.
Avec cette 69ème AGNU, l’AWID comme de nombreuses autres organisations de développement, environnementales, syndicales, féministes et de droits humains à travers le monde, espèrent voir les États membres ancrer leurs engagements existants en matière de droits humains en tant que cadres indispensables et non-négociables afin de proposer un programme de développement durable inclusif, responsable et orienté vers l’action. Cet esprit doit être le vent d’inspiration qui soufflera sur les discussions et les négociations menant au Sommet de septembre 2015[iv].
[i] Avec les contributions d’Ana Inés Abelenda et Alejandra Scampini.
[ii] Pour ce GTO, les États membres ont choisi d’utiliser un système de représentation par groupes novateur, nouveau pour les organes à membres limités de l’Assemblée Générale. Cela signifie que la plupart des sièges au sein du GTO sont répartis entre plusieurs pays.
[iii] Selon une déclaration du Women’s Major Group
[iv] La phase finale des négociations intergouvernementales pour l’après-2015 culminera par ce sommet, au niveau notamment des Chefs d’État et de Gouvernement.