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Jeunes activistes autochtones dans les sphères d’influence mondiale

DOSSIER DU VENDREDI: En octobre dernier, l’AWID s'entretenait avec Mirna Cunningham et María Oberto à propos de la première Conférence Mondiale sur les Peuples Autochtones (CMPA). Cette semaine, nous nous tournons vers Dalí Angel[1], une jeune activiste indienne zapotèque de l’État de Oaxaca qui est aussi le point focal de la région Amérique latine du Caucus mondial des jeunes autochtones. Dans cette entrevue, nous abordons la participation du Caucus des jeunes à différents espaces de prises de décision et d’incidence, et certains des problèmes auxquels ils sont confrontés.

Par Gabby De Cicco

AWID: Qu’est-ce que le Caucus des jeunes autochtones, et à quelles sphères d’influence mondiale participe-t-il ?

Dalí Angel (DA): Le Caucus des jeunes autochtones est un espace ouvert à tous et toutes les jeunes, qui offrent la possibilité à ces derniers de participer, d’émettre leur avis, et d’apporter leurs contributions. Nous faisons partie du Réseau des jeunes autochtones d’Amérique Centrale et du Mexique, qui œuvre en coordination avec l’Alliance des femmes autochtones, et travaillons en équipe avec le Forum international des femmes autochtones. Il existe d’autres réseaux régionaux de femmes et de jeunes femmes autochtones au Sud, comme au Pérou. C’est donc à titre régional que nous nous retrouvons à New York pour établir nos priorités et nos exigences, décider de ce que nous voulons porter à l’ordre du jour et ce que nous voulons visibiliser ; cela nous permet ainsi d’apporter un consensus au Caucus à titre régional, puisque le Caucus se divise par régions.

Au sein du Caucus sont proposés plusieurs espaces de dialogue, telle que la réunion annuelle organisée dans le cadre de l’Instance permanente sur les questions autochtones. Il arrive que les sept régions soient représentées, mais ce n’est pas souvent le cas car les financements ne sont pas suffisants. La communication se fait davantage par l’intermédiaire des organisations communautaires, auxquelles nous appartenons, et des réseaux qui existent à l’échelle régionale. Le dialogue entre caucus se crée au niveau régional, encourageant la participation des jeunes autochtones aux différents espaces dans le but de cultiver les échanges entre les processus des jeunes et ceux des adultes. Ça, ce serait l’idéal, et même si dans les faits la communication laisse parfois à désirer, les efforts sont réels.

Le Caucus des jeunes autochtones participe à l’Instance permanente sur les questions autochtones que les Nations Unies convoquent chaque année au mois de mai. Cela nous a donné la possibilité de suivre l’intégralité du processus en vue de la CMPA. Nous avons en outre réclamé la participation des jeunes aux réunions préparatoires régionales. C’est lors d’une réunion mondiale préparatoire de jeunes pour le Caucus, qui s’est tenue au mois d’avril de l’année 2013 en Finlande, que nous avons émis un document formulant la prise de position politique des jeunes autochtones ainsi que nos priorités. Nous avons eu l’opportunité de faire partie du groupe global de rédaction pour le Document Final dénommé Document Final d’Alta. Notre participation à l’Instance permanente a facilité l’ensemble du processus.

Nous avons également pris part au Mécanisme d'Experts des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, où nous avons apporté notre contribution aux études thématiques réalisées chaque année. En articulation avec le mouvement de femmes, le mouvement des jeunes femmes autochtones a pu participer à la Commission de la Condition de la Femme, à laquelle nous avons exposé nos priorités en tant que jeunes femmes et enfants autochtones. En 2012, lorsque l’État mexicain a présenté son rapport, nous sommes parvenues à adresser un rapport alternatif à la CEDEF : ce fut le premier rapport des femmes autochtones. Il me semble important de rappeler que beaucoup de femmes autochtones ont misé sur la participation des nouvelles générations.

AWID: Pouvez-vous nous nommer quelques-uns des défis que pose la participation effective des jeunes dans les sphères globales ?

DA: L’une des limites auxquelles nous nous heurtons sont les ressources financières, car il faut pouvoir obtenir un visa, arriver à New York, et ce n’est pas facile. L’une des tâches que nous nous sommes fixées depuis quelques mois, c’est donc de commencer par obtenir un financement afin d’assurer notre participation à l’Instance permanente, et de bénéficier d’une formation au préalable expliquant ce qu’est l’Instance, le fonctionnement du Caucus mondial des jeunes, les contributions à privilégier pour une participation plus effective, car nous estimons qu’il convient d’utiliser ces espaces au maximum.

La communication pose elle aussi un défi. Au sein du mouvement des peuples autochtones (hommes et femmes compris-es) la participation des jeunes est encouragée mais certaines pratiques ne facilitent parfois pas beaucoup ces initiatives. Le mouvement des femmes autochtones est celui qui a favorisé le plus la participation des jeunes, comme c’est le cas de Mme Myrna Cunningham, qui avait parié sur la capacité des nouvelles générations à participer dans d’autres sphères, sur d’autres scènes. Avec elle, nous avons créé des espaces de formation où nous impliquons des jeunes et invitons des femmes leaders autochtones chevronnées afin de faciliter l’échange d’expériences et proposer quelques initiatives permettant de promouvoir la participation dans différents domaines. Nous estimons qu’on ne peut pas pénétrer dans le système des Nations Unies sans en connaître les outils, tels que la Convention n° 169, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ou le fonctionnement des organes conventionnels.

Il est donc très important de suivre cette formation au préalable, et de la conjuguer aux connaissances issues de nos expériences et du travail que nous menons au niveau communautaire. Nous ne devrions pas dissocier la dimension communautaire du travail de plaidoyer que nous pouvons réaliser au niveau international.

La langue s’est avérée être une contrainte supplémentaire, non seulement au sein du Caucus mais aussi au niveau de la participation que nous avons assurée dans le système des Nations Unies. Tout est ou se fait en anglais : les réunions, les documents officiels. Il nous faut donc avoir recours à des interprètes, ce qui implique qu’il y a toujours quelqu’un qui parle “pour” nous, pas nous-mêmes, cela nous limite. D’un autre côté, le fait d’être confronté-e-s aux documents des Nations Unies qui ont une terminologie spécifique nous a incité à miser sur l’enseignement, la formation et le suivi. Mais ce dernier se heurte aussi à une barrière, économique cette fois, car nous ne parvenons pas toujours à obtenir les ressources permettant d’accroître la participation.

AWID: Que pensez-vous du résultat de la CMPA ? Et du Document Final?

DA: Le Document ne dit rien de nouveau, on y mentionne beaucoup de choses qui figurent déjà dans la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Mais c’est un document d’imputabilité qui peut nous être utile puisqu’il fait état des femmes et des jeunes. Si nous le comparons avec le Document d’Alta, nous rencontrons des modifications au niveau du langage (ce dernier avait un langage plus pressant) ; nous pensons néanmoins qu’il marque un grand progrès, tout comme l’est cette première de la Conférence sur les peuples autochtones aux Nations Unies.

Je crois que le fait que nous soyons évoqué-e-s en notre qualité de jeunes dans le Document Final de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones est un grand pas en avant. Notre participation a été conséquente tout au long du processus, depuis les réunions préparatoires et la rédaction des premières ébauches, et on nous a écouté-e-s. S’il est vrai que le Caucus mondial des jeunes autochtones ne représente toute la jeunesse autochtone mondiale (compte tenu des limites, mentionnées plus haut, qui se posent à la participation), le fait qu’il existe et qu’il puisse servir de canal de dialogue avec d’autres acteurs pour participer et encourager la participation des jeunes aux Nations Unies, constitue à mon sens un autre pas très important.

Une réalité bien différente au niveau local

Le Président du Mexicain, Enrique Peña Nieto, l’un des orateurs invités, a mené un très bon discours et a beaucoup parlé du Document Final, des progrès obtenu par le gouvernement mexicain en termes de politique extérieure. Mais il est lamentable que deux ou trois jours après la CMPA, 43 étudiants avait disparu à Ayotzinapa, en majorité autochtones.

Cela nous amène à nous demander : comment un gouvernement peut-il tenir un discours à l’échelle internationale et au système des Nations Unies, pour voir survenir ces faits quelques jours plus tard dans l’État de Guerrero ? Je crois que c’est là le problème, et pas uniquement celui du Mexique mais de tous les pays : les incohérences entre les conventions et les traités internationaux ratifiés[2]d’un côté et les violations des droits des peuples autochtones dans l’intérieur du pays de l’autre ; cette incohérence de la part de l’État mexicain me fait réellement beaucoup de peine. Le Mexique ne peut pas se contenter de faire de beaux discours, il doit tenir ses paroles.”

Les étudiants de l’École Normale de Ayotzinapa sont portés disparus depuis le 26 septembre. Le 20 novembre, à l’occasion de l’anniversaire de la révolution mexicaine de 1910, des grèves auront lieu un peu partout dans le pays pour protester contre le manque d’action concernant le sort des 43 disparus, les disparitions massives, la corruption du gouvernement mexicain et la guerre contre la drogue.

[1] Elle fait également partie de l’organisation Mujeres Indígenas por Ciarena.

[2] Le Mexique a ratifié la Convention 169 et signé la Déclaration; c’est en outre l’un des pays catalyseurs de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones.

Category
Analyses
Source
AWID