« Le corps n’est pas souillé – ce n’est pas un objet sale auquel on doit accorder le pardon. Nous n’avons pas à nous excuser pour ce qu’il est. »
Quand les mots poétiques de Sonya Renee ont parcouru la salle du 13e Forum international de l’AWID dans laquelle je me trouvais, j’ai laissé échapper un souffle que j’ignorais retenir prisonnier. Toutes les personnes présentes ont reçu de plein fouet la puissance de sa déclaration, et l’atmosphère de la salle, jusque là de l’ordre du simple enthousiasme, s’est muée en un soulagement palpable et étrange.
Nous avons ressenti un véritable bien-être en entendant déclarer les choses que nous avions sans doute souvent dites à d’autres sans les avoir complètement intégrées, et en voyant cette assurance corporelle positive que de nombreuses féministes sont promptes à prôner sans toutefois en être totalement convaincues en ce qui les concerne. Cela nous a fait du bien d’entendre que nous étions belles telles que nous étions et que chacune des caractéristiques de notre corps que nous considérions comme un défaut avait de la valeur en elle-même.
Cela nous a fait du bien de nous sentir unies dans un sentiment de résistance à des croyances depuis si longtemps ancrées dans notre conscience.
Les femmes passent leur vie à s’excuser d’exister.
Le patriarcat nous apprend à transformer nos corps en objets désirables, doux et conformes et nous donne bien peu d’armes susceptibles de nous aider à vivre dans la réalité de notre propre peau.
La session sur l’intégrité corporelle a permis de nous rappeler les tenants et aboutissants de cette problématique mais aussi de la remettre en cause. Elle nous a rappelé le fait que les propos des autres ont façonné l’image que nous avons de notre propre corps et nous en ont dépossédé. Elle nous a rappelé l’existence de la petite fille en nous, celle qui aimait son corps sans le juger, qui se jetait sans réserves dans la vie en entraînant son corps avec elle.
Mais, plus encore, cette session nous a remis en mémoire les moyens de renouer avec cette petite fille – et de guider les autres dans ce parcours d’amour, d’acceptation et de rébellion nécessaire.
Pendant cette session, la discussion sur l’autonomie corporelle s’est étendue à différents thèmes, parmi lesquels le fait que le corps soit devenu un constant sujet de conversation ainsi que les modalités selon lesquelles il nous est possible d’opposer une résistance aux différents modes de perception et d’acceptation du corps.
Notre corps est porteur d’un sens profond et, de ce fait, il est un élément central de notre approche de notre travail et de sa signification. Il est devenu à la fois propriété et dictateur ; il est devenu un laboratoire d’expérimentation de notre rapport à nous-mêmes et aux autres, en expansion ou restreint en fonction des idéologies qui exercent leur influence depuis l’extérieur. Le corps s’est transformé en un spectacle mis en scène et le fait qu’il nous appartienne semble souvent relever de la théorie.
Après tout, comment notre corps pourrait-il être « nôtre » dans une société qui le démembre jusqu’à ce qu’il n’en reste pas un morceau qui nous appartienne ? Comment résoudre ce problème ?
Le meilleur moyen de déclencher une révolution externe est d’entamer une révolution interne.
Si les corps et les personnes existent en tant qu’être internes et externes, les intervenantes de la session nous ont rappelé que nous devions éprouver un amour radical vis-à-vis de notre corps et accepter le fait que nous ne comprendrons pas toujours les processus qui s’enclencheront autour de notre corps et du corps des autres. Dans le domaine de l’autonomie corporelle, le travail des activistes commence par la prise de conscience du fait que nous ne comprendrons pas toujours le corps des autres ou leurs choix dans ce domaine.
L’activisme féministe suppose que nous continuions à remettre en cause notre mouvement en nous demandant constamment si nous parvenons à inclure les nouvelles manières de comprendre ou d’auto-définir le corps, qu’elles relèvent ou non de la vision traditionnelle des genres. Il est indispensable que le mouvement féministe comprenne les droits de toutes les personnes et plaide en leur faveur – en tant que féministes, nous devons trouver le moyen de faire voler en éclat nos propres définitions et conceptions traditionnelles de la féminité, du genre, de la moralité et de l’inclusion.
En acquérant une meilleure compréhension de nous-mêmes, nous pourrons prendre part autrement aux discussions relatives au corps, et notamment à celles qui portent sur les contraintes exercées sur des corps à qui l’on offre rarement la possibilité d’être, tout simplement.
En tant que femme à forte corpulence, je suis particulièrement consciente de mon corps et de son impact sur toutes les personnes qui m’entourent. Depuis ma plus tendre enfance, je suis persuadée que je dois rétrécir pour que les autres puissent se sentir à l’aise en ma présence. J’ai toujours ressenti le besoin de mettre des jeans beaucoup trop petits pour moi et de réussir à entrer dans des vêtements qui, clairement, n’étaient pas faits pour moi.
Comme d’autres jeunes femmes, j’ai grandi avec, à l’esprit, les canons de beauté bien définis qui m’avaient été prescrits – les règles à suivre pour être présentable, désirable et acceptée.
Tous les efforts que j’ai accomplis pour m’y conformer étaient voués à l’échec du simple fait que j’étais grosse. Obèse. En surpoids.
Je ne méritais pas d’être désirée ou aimée à cause de mon poids. Le désapprentissage de cette croyance est un processus que je vis au quotidien. C’est un processus qui ne m’autorise pas à être autre chose que totalement consciente. Pour les femmes qui le souhaitent, il y a une vie en dehors des canons de beauté occidentaux mais, pour y accéder, il leur faudra enlever une à une les couches d’idées contradictoires sur leur propre valeur et remettre en cause leur haine d’elles-mêmes. Ce n’est pas une tâche facile.
Il peut être difficile d’en arriver à la conclusion que notre corps mérite d’être aimé tel qu’il est et que le corps des autres ne doit pas être jugé.
Et il est encore plus difficile de sortir de cette réflexion personnelle pour exprimer au dehors ce concept de suspension du jugement – mais il le faut. La suspension du jugement est une idée qui constitue le cœur d’une campagne lancée par l’organisation CREA. Et tout au long du Forum, elle a fondamentalement nourri notre réflexion et nos interrogations sur les idées et les concepts.
« CREA a imaginé cette suspension du jugement comme un mini-mouvement en soi qui permettrait aux féministes de penser et d’agir sur un mode intersectionnel et de mener une réflexion critique sur les hypothèses profondément ancrées qui font obstacle à l’inclusion »
« Suspend Judgement : CREA's Campaign Launch at AWID 2016. » (Suspension du jugement : lancement de la campagne CREA au Forum 2016 de l’AWID. Site internet de CREA. 28 septembre 2016.
Les intervenantes de la session accomplissent toutes un travail important sur la formulation de ces idéaux – de suspension du jugement, de reconnaissance et d’acceptation au-delà de la compréhension.
Nous devons de toute évidence tenter de comprendre les modalités selon lesquelles la société et la loi comprennent le corps et trouver le moyen de construire un cadre juridique plus adapté à la réalité des modes d’existence de nos corps.
Nous devons également continuer à partager nos idées et à renforcer ce mouvement. Nous ne pouvons pas, et ne devons pas, laisser notre corps aux mains des États, des communautés, des instances religieuses et des autres forteresses du pouvoir patriarcal qui tentent de le disséquer pour corriger ce qui ne correspond pas aux idéaux qu’ils prônent. Nous devons parvenir à imposer les décisions que nous prenons à propos de notre corps et de l’apparence que nous présentons au monde.
Après avoir écouté les voix, les opinions et le récit des actions des remarquables intervenantes de la session portant sur l’intégrité corporelle, il apparaît clairement que cette révolution autour du corps des femmes et du contrôle exercé sur leur discours atteint des proportions nouvelles et enthousiasmantes.
A propos de l'auteure
Maame Akua Kyerewaa Marfo est responsable de la communication au sein du Fonds Africain pour le Développement de la Femme. Elle est chanteuse, féministe et écrivaine. Elle se passionne pour la pensée féministe progressiste et pour l’utilisation de l’art dans la lutte pour le changement social.