DOSSIER DU VENDREDI: Il est impossible de gagner la lutte contre le VIH et le Sida sans une approche centrée sur les droits.
Par Kathambi Kinoti
«Les droits ici et tout de suite», voilà le thème de la Conférence mondiale sur le Sida, qui s’est tenue à Vienne, en Autriche, en juillet 2010. Elle réaffirmait la centralité des droits pour s’attaquer au VIH et au Sida. Tout être humain a un droit universel à la santé. Comment ce droit, tel qu’il est appliqué, recoupe-t-il ou compromet-il les droits des femmes, les droits des travailleurs sexuels, des LGBTQI, des pauvres et de ceux qui sont autrement défavorisés? Quels sont les droits des séropositifs et quels sont les droits des séronégatifs?
Tout le monde a droit à des soins de santé appropriés, impartiaux, pour prévenir ou traiter le VIH et le Sida rapidement et de manière adéquate. Tout le monde a droit à des informations qui influenceront les choix, ainsi que le droit de faire ces choix. Dans certains contextes, ces droits convergent et dans d’autres cas, ils sont contradictoires.
Bien que les programmes nationaux et internationaux en réponse au VIH et au Sida soient désormais plus inclusifs, les législations et la morale sociale restent un obstacle dans la lutte contre la pandémie. Les relations homosexuelles et le travail du sexe sont souvent stigmatisés, ce qui n’incite pas à adopter un comportement propice à la santé: l’accès aux préservatifs, les dépistages réguliers, l’accès aux médicaments antirétroviraux. Non seulement le sexe transactionnel et le sexe non hétérosexuel sont stigmatisés, mais ils sont de plus en plus criminalisés, comme dans le cas du projet de loi anti-homosexualité en Ouganda et de la législation qui pénalise les personnes qui transmettent ‘délibérément’ le VIH. En raison de cette évolution, non seulement beaucoup de personnes marginalisées évitent de se faire soigner, mais ceux qui sont déjà infectés tendent à cacher leur séropositivité au détriment de leur entourage.
Le traditionnel message ‘AFP’ de prévention du VIH – Abstention, Fidélité, Préservatif – ne fonctionne pas dans tous les contextes. Au Kenya, par exemple, le plus grand risque d’infection par le VIH est aujourd’hui le mariage.
En Asie, les hommes qui ont des relations non protégées avec les travailleurs du sexe sont les principaux transmetteurs de la pandémie. Comme ils sont généralement mariés ou se marient à un moment ou un autre, les épouses de ces hommes sont directement exposées aux risques de contagion. À quoi sert l’abstinence ou la fidélité antérieure de ces femmes? Quels sont leurs droits?
Le travail de prévention et de traitement est sérieusement entravé par des conjectures erronées concernant les coutumes culturelles – de chasteté et de fidélité – censées protéger les Asiatiques du VIH. Comment ces postulats stigmatisent-ils les femmes qui contractent le VIH et affectent-ils leur accès au traitement?
Il a été démontré que la circoncision des hommes diminue leur vulnérabilité au VIH. Il s’agit d’une évolution importante dans la lutte contre le VIH et le Sida, mais elle peut contribuer à confiner les femmes dans des rôles de genre oppressifs et à augmenter la vulnérabilité des hommes – et donc de nombreuses femmes – au VIH et au Sida. Dans certaines cultures africaines, les garçons sont circoncis entre 11 et 16 ans, selon un rite initiatique. Souvent, cela leur donne une autorisation tacite de promiscuité sexuelle et leur permet d’affirmer leur masculinité d’autres façons négatives. La circoncision masculine peut être un outil scientifiquement valable contre le VIH et le Sida, mais elle comporte des limitations sociales et culturelles. Il est impossible de gagner la lutte contre la pandémie sans s’attaquer au rôle des notions de masculinité dans sa propagation.
L’enthousiasme pour la circoncision masculine a un inconvénient potentiel: des ressources peuvent être détournées des initiatives qui s’inspirent des droits des femmes au profit des programmes de circoncision masculine qui ne s’attaquent pas aux dimensions multiples du VIH et du Sida, en particulier celles qui affectent les femmes.
Nul n’ignore que la violence contre les femmes et les inégalités de genre augmentent la susceptibilité des femmes en matière de VIH et de Sida. Le viol, la violence domestique, le mariage précoce et les stéréotypes de genre compromettent la capacité des femmes à négocier pour des relations sexuelles sûres. Les défenseurs des droits des femmes disent que le fait de confier la prévention aux femmes se traduira par un plus petit nombre de nouvelles infections. L’amélioration de l’accès des personnes infectées à des services de santé conviviaux conduira à une meilleure gestion de la situation.
Les femmes font campagne pour les microbicides depuis des années et, à vrai dire, la nouvelle d’un essai réussi aurait pu venir nettement plus tôt. D’après Irungu, ce n’est pas l’industrie pharmaceutique qui a poussé à la recherche d’un microbicide, ni les chercheurs dans le domaine du VIH et du Sida, ni même les gouvernements, mais les défenseurs des droits des femmes. Sans leur plaidoyer, ce n’aurait pas été une priorité dans la lutte contre le VIH et le Sida. L’industrie pharmaceutique, qui est généralement à la pointe de l’innovation médicale et dispose de vastes ressources humaines et financières pour la recherche, est singulièrement absente de la recherche sur le microbicide. Sa principale contribution a été de donner aux chercheurs de l’étude sud-africaine, les droits de reformuler son médicament pendant les essais.
La disponibilité d’un microbicide ne résoudra pas nécessairement les problèmes plus vastes concernant l’intervention primaire des femmes dans leur santé et leurs droits sexuels. Quelle liberté les femmes auront-elles pour appliquer le gel topique sans se heurter à leur partenaire? Dans de nombreux cas, une femme risque la violence ou le rejet si elle suggère à son partenaire d’utiliser une méthode de lutte contre le VIH. Pauline Irungu indique que la combinaison d’un antirétroviral avec un contraceptif local permettrait aux femmes d’expliquer plus facilement à leur partenaire pourquoi elles appliquent le gel. «Il faut consacrer une grande attention à la formulation des messages pour promouvoir le microbicide», dit-elle. «Il ne faut pas oublier les facteurs qui sont la première cause de vulnérabilité des femmes.»
Ces questions sont notamment la vulnérabilité biologique des femmes au VIH en raison de la plus grande surface de contact avec le virus en cas de rapports sexuels non protégés. Ce sont aussi les vulnérabilités sociales et culturelles résultant des rôles chastes et fidèles, qui sont prescrits aux femmes en tant qu’épouse, mais également le fait que leur santé, leurs droits sexuels et leur sexualité sont entre les mains de personnes externes – famille, amis, structures scolaires, personnel médical et autorités religieuses.
Pauline Irungu dit qu’il y a un grand besoin de services médicaux intégrés. Malheureusement, les prestataires de soins de santé adoptent parfois une position morale alors que c’est leur expertise médicale qui est demandée. «Ils doivent fournir des services médicaux», dit-elle «pas des services moraux». Les maladies sexuellement transmissibles et le cancer cervical contribuent à la sensibilité des femmes au fléau du VIH et du Sida. Il est démontré que des dépistages fréquents et un traitement précoce sont des outils efficaces contre le VIH et le Sida.
D’après Irungu, il faut un profond changement systémique de la conception de la femme. Elle donne l’exemple des soins prénataux en Afrique qui, dit-elle, s’attachent davantage à prendre soin de l’enfant à naître que de la mère. En matière de soins de santé, les femmes ont une valeur en tant que mère et épouse, avant d’être appréciées comme personne.
Les programmes et les ressources consacrés aux options pour les femmes sont insuffisants. Le préservatif féminin a été créé il y a plusieurs années, mais sa rareté et son marketing déficient contribuent à sa faible notoriété en tant que mesure préventive du VIH.