Je l'admets : la première fois que j’ai suivi un cours de communication à l'université, j'étais quelque peu arrogante. En tant qu'étudiante STEM, je considérais la communication comme quelque chose de « facile » et « d'évident » - à essayer simplement d'être gentille pour dire ce que l'on a à dire! Quoi de plus?
En fait, beaucoup plus. Vers la moitié du cours, le professeur introduisit l'idée de persuasion. « Je vais maintenant le démontrer en vous convainquant d'une chose à laquelle personne dans la salle ne croit en réalité... et à la fin, vous y croirez tou·te·s.»
Il s'est immédiatement lancé dans une performance expliquant pourquoi se brosser les dents avec une brosse à dents participait en fait à une mauvaise hygiène bucco-dentaire. Il cita des médecins, nous montra des graphiques, et à la fin… j'étais horrifiée – il m'avait convaincue que je m’étais abîmée les dents en les brossant!
Alors, que s’était-il passé? Le mot clé ici est « performance » - la communication n'est pas « seulement » une question de parler, mais aussi une question de comportement. Le professeur avait soigneusement examiné son public, rassemblé un contenu convaincant et l'avait livré de façon à atteindre ses objectifs. Plus tard, je finis par consulter autant de livres que possible à la bibliothèque sur les communications stratégiques. Et j'en ai finalement fait mon métier.
Si je raconte l'histoire de mon cours de communication, c'est pour souligner l'importance de prendre les communications au sérieux en tant que compétences. Dans son sens le plus commun, la communication consiste à connaître son public (ce qui lui importe et pourquoi), à comprendre ses comportements et à déterminer quel média utiliser pour transmettre le bon message (qui se traduira par les résultats escomptés). La communication en elle-même est un processus dynamique entre l'expéditeur·rice et le·la destinataire : une fois qu'un·e expéditeur·rice a un message, il·elle doit créer le véritable contenu à envoyer, décider du format, envoyer le message, puis s'assurer qu'il est reçu. Un faux pas dans l'une de ces phases (y compris des erreurs liées à la perception!) et vous aurez une mauvaise communication. Un dicton souligne d'ailleurs cette idée : quand deux personnes parlent, il y a en fait six personnes dans la pièce : chacune telle qu'elle se voit, chacune telle que l'autre la voit et chacune telle qu'elle est réellement.
Mais, comme l'ont déjà souligné les féministes dans d'autres domaines comme la science, l'éducation ou encore la médecine, l'industrie des communications (dont entre autres les stations de télévision, les studios de production de films, les plateformes de médias numériques, les journaux, l'édition de livres, les entreprises de publicité et de relations publiques) est à la fois inscrite dans le patriarcat et utilisée par ce dernier pour parvenir à ses fins. Par exemple, Facebook a été créé pour partager des moments heureux, et non pas pour avoir de nécessaires discussions malaisantes qui remettent en question des comportements enracinés dans le patriarcat, le racisme et le capitalisme. La majorité des directions d’entreprises et de sociétés sont occupées par des hommes blancs cisgenres basés dans les pays du Nord. Les principales plateformes numériques du monde sont conçues pour accumuler la richesse des entreprises et encourager les gens à acquérir du capital social et à devenir des « influenceurs·ses » et non pas, admettons-le, des « collaborateurs·rices ».
Donc, en tant que féministes soucieux·ses de changer les comportements d'une manière qui résiste, démantèle et bouleverse le patriarcat, le capitalisme et le racisme, comment pouvons-nous utiliser la communication à nos fins? Comment pouvons-nous non seulement communiquer des messages féministes, mais aussi utiliser les communications de manière féministe? Quels sont les défis auxquels se confrontent les communicant·e·s féministes sur le terrain?
En novembre dernier, l'AWID a invité un groupe de communicant·e·s féministes originaires de pays du Sud et du Nord à se réunir dans le cadre d’une série de discussions sur des problèmes auxquels on se confronte sur le terrain. Le groupe était composé de responsables de la communication d'ONG, de journalistes ou encore de commentateurs·rices indépendant·e·s à forte audience sur les réseaux sociaux. Des gens se sont rassemblés depuis l'île de la Tortue occupée (également connue sous le nom de Canada et des États-Unis), le Brésil, l'Inde, l'île Maurice, la Colombie et le Bénin. Féministes, nous avons travaillé dans des domaines différents (justice liée au handicap, droits des Autochtones, autonomie corporelle), mais partageons tou·te·s un engagement vis-à-vis des objectifs politiques du féminisme. Ensemble, nous avons discuté des défis liés à l’organisation numérique, notamment :
- Des pressions liées à la productivité capitaliste.
- Des algorithmes suprématistes blancs et des modes de bannissement furtif des plateformes féministes.
- De l’adoption encore peu élargie des normes d'accessibilité.
- Des doutes sur l'impact de notre travail.
Ensemble, nous avons également partagé de bons conseils en communication féministe, comme :
« Lorsque vous ressentez fortement une chose, cela se reflète dans votre art; ne créez pas des choses pour les tendances ou la viralité. N'oubliez pas que ce n'est pas parce que ce n'est pas mesurable que ce n'est pas réel! »
Et nous avons conclu notre conversation avec des stratégies constructives autour de l'impact, des soins, de la collaboration, de l'expansion et du dépassement des formats traditionnels.
Sur la collaboration, l'un·e d’entre nous a souligné :
« Nous devons créer des méthodologies et des pratiques fondées sur la collaboration - bouleversant la façon dont on nous a appris et montré comment travailler dans un environnement où l'ego marque trop souvent le travail des organisations de justice sociale. Cela commence par le démantèlement du culte du héro au sein de notre mouvement, en évinçant l'idée que certain·e·s parmi nous sont « plus » ou « mieux » ou « les plus » adapté·e·s ou doué·e·s pour construire des mouvements et en reconnaissant plutôt à chacun·e un rôle à partager. Cela implique également d'intégrer les valeurs de notre mouvement à notre mode de travail - en veillant à ce que les personnes les plus marginalisées ou les plus vulnérables soient au centre et aient la voix la plus audible pendant nos collaborations, et qu'iels soient celleux qui détiennent le pouvoir de définir les types de partenariats – et d'amener les gens à collaborer à égalité comme partenaires, et non avec déférence. »
Et vous, quels obstacles à la communication rencontrez-vous dans votre travail? Quelles solutions y avez-vous trouvé? Quel sujet, que nous n’abordons pas, devrions-nous traiter davantage? Participez à la conversation en tweetant et en commentant.
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