DOSSIERS DU VENDREDI : La Conférence globale des femmes autochtones “Progrès et défis face à l’avenir que nous voulons”, s’est tenue du 28 au 30 octobre 2013 à Lima, au Pérou. Près de 300 femmes chefs de file autochtones provenant d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine, d’Amérique du Nord, de l’Arctique, de la Russie et du Pacifique, y ont assisté[i].
Par Gabriela De Cicco
L’AWID s’est entretenue avec Mirna Cunningham Kain, Présidente de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones et membre du Conseil d’administration de l’AWID, sur la Conférence, le programme commun accordé lors de cette réunion et les thèmes considérés urgents par les femmes autochtones pour leurs peuples.
AWID : Quels sont les résultats de la conférence ?
Mirna Cunningham (MC) : Nous considérons qu’il s’agit d’un évènement historique car il a permis de réunir des femmes autochtones provenant de sept régions socioculturelles du monde afin de débattre sur les bases d’un programme commun accordé par les femmes autochtones pour les prochaines années.
Pour y parvenir, il nous a fallu prendre en compte non seulement les réalités locales ou nationales auxquelles sont confrontées les femmes autochtones, sinon également les processus en cours à l’échelon mondial. Il a été possible, à partir des réalités que ces femmes vivent dans chacun de leurs pays, de s’accorder sur une position commune avant la prochaine Conférence mondiale sur les peuples autochtones, qui se tiendra pour la première fois en septembre 2014. Nous avons pu identifier les priorités des femmes autochtones en matière de droits sexuels et reproductifs, en tenant compte de l’examen du Programme d’action du Caire qui va se tenir prochainement, ainsi que les aspects qu’il conviendrait d’approfondir en vue de l’autonomisation des peuples autochtones et de leur participation, dans la perspective de l’examen du Programme d’action de Beijing en 2015.
L’objectif est de parvenir à faire intégrer l’ensemble des éléments ayant fait l’objet d’un consensus au Programme de développement pour l’après 2015. A partir de 2015, le but recherché serait donc d’approfondir l’analyse depuis une perspective interculturelle des droits des femmes, ventilée par groupe ethnique afin de déterminer l’impact - positif ou négatif - sur les différentes femmes, c’est à dire en tenant compte de leur grande diversité dans le monde.
A cet égard, cette réunion est très importante puisqu’elle a permis de réunir des femmes autochtones provenant de sept régions et appartenant à diverses tranches d’âge, des femmes jeunes, adultes et âgées, ce qui a favorisé un dialogue intergénérationnel. Un autre aspect intéressant est que la nécessité de continuer de travailler sur la question des femmes urbaines et rurales est ressortie très clairement, en tenant compte du degré d’urbanisation des peuples autochtones dans différents endroits du monde.
AWID : Quels sont les aspects décisifs que les femmes autochtones souhaitent faire intégrer aux programmes à l’occasion des différents examens qui doivent se tenir entre 2014 et 2015 ?
MC : Le premier sujet brûlant porte sur les droits territoriaux. En effet, si le droit à la juridiction n’est pas clairement établi pour l’exercice de la libre détermination des peuples autochtones, autrement dit si les États ne reconnaissent pas les droits territoriaux et le droit à la libre détermination des peuples autochtones, alors les femmes autochtones ne disposent pas des conditions nécessaires au plein exercice de leurs droits.
Le deuxième sujet brûlant porte sur les différentes formes de violence qui touchent les femmes autochtones. Nous exigeons une tolérance zéro envers tous les types de violence : celle qui se produit au sein du foyer, la violence institutionnelle, celle provoquée par des facteurs structurels tels que la militarisation, celle qui impose des programmes centrés sur une culture unique.
Le troisième sujet brûlant porte sur la question des droits sexuels et reproductifs. Nous affirmons que les femmes autochtones subissent les lourdes conséquences d’un énorme retard en matière de droits sexuels et reproductifs. Ce retard se traduit par un taux élevé de mortalité maternelle, un nombre élevé de grossesses chez les femmes âgées de moins de 20 ans, et une profonde méconnaissance des droits sexuels et reproductifs. L’absence de programmes d’éducation sexuelle pertinents a favorisé une hausse des maladies sexuellement transmissibles, y compris du VIH.
Ces sujets sont donc les grands thèmes sur lesquels nous avons travaillé, mais nous avons également abordé la participation politique des femmes autochtones et la nécessité d’approfondir la diversification des politiques de quotas et des mesures de discrimination positive, ainsi que le besoin de poursuivre le développement des capacités des femmes autochtones et de continuer d’établir des alliances avec les mouvements des femmes et d’autres secteurs pertinents afin de garantir l’exercice de ces droits.
A vrai dire, un grand nombre des aspects qui nous intéressent dépendent non seulement de nous, sinon également de l’engagement sérieux d’autres acteurs. Afin d’assurer la diffusion de nos propos, nous avons réfléchi à une stratégie de communication nous permettant de transmettre ce message aux gouvernements, à l’ensemble de la société et aux groupes de femmes. Il s’agit d’une stratégie de communication couvrant toute la période jusqu’à la conférence de 2014, et permettant que la question des femmes autochtones reste à l’ordre du jour à l’échelon mondial.
Enfin, nous avons élaboré un Plan d’action qui comprend les thèmes que j’ai évoqué précédemment et nous avons défini certaines activités et stratégies afin de pouvoir les aborder. Nous souhaitons présenter notre position aux gouvernements, aux agences du système des Nations Unies et à d’autres acteurs à l’occasion de la prochaine session de la Commission de la condition de la femme (CSW) ; de la réunion d’experts sur la santé sexuelle et les droits reproductifs des peuples autochtones organisée par l’Instance permanente sur les questions autochtones, qui se tiendra en janvier, et ; de la prochaine réunion de l’Instance permanente qui aura lieu en mai 2014. Nous souhaitons également profiter des évènements organisés par d’autres groupes de femmes, par exemple la prochaine conférence de l’AWID.
AWID : Quelle est la marche à suivre ?
MC : Nous avons élaboré une sorte de feuille de route des thèmes que nous souhaitons mettre à l’ordre du jour afin d’obtenir l’engagement des États et d’autres parties prenantes d’apporter des ressources pour la mise en œuvre de ce plan d’action.
De manière interne, nous avons discuté sur ce qu’il conviendrait de faire en vue de renforcer le mouvement des femmes autochtones. De quelle manière pouvons-nous renforcer les organisations régionales, l’articulation entre ces organisations régionales et les réseaux de jeunes femmes autochtones ? Comment pouvons-nous parvenir à renforcer l’alliance des femmes autochtones avec le mouvement féministe et d’autres organisations de femmes ? Nous avons donc élaboré des actions - en interne et en externe - afin d’atteindre nos objectifs.
Nous tablons sur une utilisation de ce Plan d’action sur les trois prochaines années, c’est à dire jusqu’en 2016, de sorte que les prochaines grandes manifestations mondiales puissent s’y intégrer. Nous espérons que de nombreux éléments de ce plan d’action seront pris en compte dans le Document final de la Conférence mondiale qui se tiendra en septembre 2014, dans le Document final de la Conférence sur la population et le développement qui se tiendra en avril 2014, dans le Document final de Beijing et, bien évidemment, dans le Programme de développement pour l’après 2015. Le Plan d’action est - pour nous - un outil de négociation dans tous ces processus.
Pour en savoir plus :
La Déclaration de Lima es disponible en anglais et espagnol.
[i] La Conférence a été organisée par le Foro Internacional de Mujeres Indígenas, Enlace Continental de Mujeres Indígenas de las Américas, Asia Indigenous Peoples Pact, African Indigenous Women's Organization, Alianza de Mujeres Indígenas de Centroamérica y México, Asia Indigenous Women's Network, Pacific Indigenous Women's Network, Indigenous Information Network et CHIRAPAQ, Centro de Culturas Indígenas del Perú, avec l’appui de la Secretaría del Foro Permanente para Asuntos Indígenas (UNPFII en anglais), ONU Femmes, FAO, PNUD, Ministerio de Cultura, Christensen Fund, Global Fund for Women, Tamalpais Trust, AECID, Fondo Indígena, IWGIA, Channel Foundation, Mama Cash et Ford Foundation.