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Affaiblissement des mécanismes des droits humains et le ciblage du militantisme

Les États-Unis et les tactiques récentes pour miner le Conseil des droits de l'homme

Le Conseil des droits de l'homme (CDH) est le principal organe « politique » des droits humains des Nations Unies. C'est le principal lieu où les gouvernements discutent et négocient les questions de droits humains et se tiennent mutuellement redevables pour les violations. Le CDH siège quelques fois par année et, en prélude de sa session de septembre, il est important de revoir certains détails de sa session de juin pour mieux comprendre comment certains États cherchent à déroger au contrôle et miner l'ensemble du système.

Nikki Haley, représentante permanante des Etats-Unis d'amérique au Conseil des Droits Humains. 6 juin 2017.

Le gouvernement des États-Unis a démissionné du Conseil au début de sa session de juin.

L’ambassadeur des États-Unis aux Nations Unies, Nikki Haley, a décrit le Conseil comme étant une « latrine » de partialité, empreinte d'hypocrisie et d'intéressement. Elle a affirmé qu’elle accordait trop d’attention à Israël et pas suffisamment à l’Iran, et - enjeu clé - que trop peu de gouvernements étaient d’accord avec les propositions des États-Unis sur la réforme de l’ONU.

En réalité, le gouvernement américain déployait une série de tactiques déviantes qui minent le système des droits humains tout en détournant les critiques. Il n’est pas seul à employer cette stratégie et le Conseil n’est pas le seul site de « problèmes », mais ses efforts récents méritent d’être regardés de plus près car ils révèlent les stratégies étatiques et ont un potentiel impact négatif.

Alors. D'abord quelques petits éclaircissements.

Le Conseil des droits de l’homme est un « site » où sont abordés les problèmes cruciaux de droits humains tels que la torture, le génocide et les préoccupations des réfugié-e-s. C'est également un site où de nouvelles analyses sur les questions de droits sont développées et encouragées, par exemple la mortalité maternelle, l'accès à un avortement sans risque et les droits des personnes LGBTI et autochtones. C'est généralement un lieu où les gouvernements sont les principaux acteurs, mais la société civile y joue un rôle essentiel en exigeant la responsabilité et en élaborant une analyse des droits progressiste (et parfois même féministe).

En réponse aux accusations des États-Unis :

  1. oui, le Conseil aborde les violations des droits humains en Israël. Il en va de même des violations en Iran, en Syrie, au Burundi, au Soudan du Sud, en Corée du Nord et dans de nombreux pays dont les politiques méritent d’être examinées, y compris celles du Nord (les pays cités font partie des discussions annuelles officielles).

  2. Les suggestions des États-Unis concernant la réforme de l’ONU ont été généralement rejetées par d’autres gouvernements et par des ONG et ont été perçues comme source de division et, pour certains, compromettant l’intégrité du Conseil. Au sein des Nations Unies la réforme est un processus ardu, il n'est pas inhabituel de voir passer 12 mois sans une entente sur une proposition. Les États-Unis ont prétendu vouloir une entente plus rapide.            

En réalité, tel que démontré par son retrait de l’accord sur le changement climatique et l'accord nucléaire iranien, son élimination du financement pour le FNUAP (par exemple) et sa récente attaque contre la Cour pénale internationale, les États-Unis sous Trump sont investis dans la lutte contre la gouvernance internationale et le contrôle de ses propres pratiques nationales en droits humains.

Rappelez-vous, à titre d’exemple crucial, qu’au moment où les États-Unis ont quitté le Conseil de façon dramatique, sur leur frontière sud ils séparaient les enfants de leurs parents. À ce jour, des centaines d’enfants n’ont pas été retournés et des familles restent détenues sans raison valable. Le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme à l'époque (Zeid Ra'ad Al Hussein), dans son dernier discours officiel devant le Conseil, a noté qu'il s'agissait d'une forme de maltraitance d'enfants. Il y a également de bonnes raisons de penser que cette politique de séparation des enfants, au moins dans certaines circonstances, correspond à la définition de la torture utilisée dans le droit international des droits humains.

En outre, le processus de séparation des enfants implique beaucoup d'argent.

Aux États-Unis des millions de dollars du budget fédéral ont été transférés aux niveau des États, des villes et agences privées dans le cadre d'un effort à long terme visant à séparer et à détenir les familles. Dans l'État du Texas, par exemple, au moins 450 millions USD ont été accordés à des entreprises et organisations qui hébergeront (détiendront) et fourniront des services (probablement maigres) aux personnes ayant récemment franchi la frontière américaine. Il y a aussi des soucis sur la corruption et les organisations fondamentalistes chrétiennes qui sont au cœur de ces réseaux, y compris un avec des liens clairs à la ministre de l'éducation, Betsy DeVos.

Nous observons ici un carrefour où la torture, le nettoyage ethnique, la suprématie blanche, le racisme et le sentiment anti-immigrés rencontrent les manifestations draconiennes de la politique néolibérale.

La privatisation de la détention est un effort visant à débarrasser les États-Unis du plus grand nombre possible d’immigrants latino-américains. Par ailleurs, l'interdiction de voyager aux États-Unis, qui restreint sévèrement l'immigration de certains pays à majorité arabe et musulmane, a été confirmée cette même semaine par la Cour suprême. çEt bien sûr, cela existe en parallèle à la négrophobie omnipresente dans les politiques et pratiques américaines.

Washington DC, 11 juin 2017. Des milliers de personnes LGBTQ et suporteurs-trices, ont marché devant la Maison Blanche de Trump, pour la marche nationale pour l'égalité.

Dans les coulisses : cibler les ONGs

Dans la même semaine du retrait américain, la publication d'un rapport cinglant sur la pauvreté aux États-Unis et le tollé général concernant la séparation des enfants, le gouvernement américain a envoyé une lettre à près de 20 ONG ayant une longue histoire des droits humains et d'engagement aux sein des Nations Unies dénonçant leur manque de soutien à la politique de réforme américaine.

La lettre dénonçait les principaux groupes de défense des droits humains tels qu'Amnistie Internationale et Human Rights Watch, ainsi que des groupes spécialisés dans les droits des femmes, les droits sexuels et reproductifs et les droits des personnes LGBT (International Lesbian and Gay Association, OutRight International, International Women's Health Coalition étaient parmi les autres institutions nommées). Elle a accusé ces groupes d’être en partie responsables de la décision des États-Unis de se retirer du Conseil et a déclaré qu’ils « s'étaient alliés à la Chine et à la Russie » pour faire échec à l’agenda américain.

Les groupes ciblés ont répliqué en choisissant de ne pas mordre à l'hameçon.

Ils n'ont accepté aucune responsabilité pour le désistement du gouvernement américain et ont affirmé leur allégeance au système des droits humains. Mais la lettre du gouvernement aux ONG de défense des droits était un nouveau point bas de la diplomatie américaine. Il a révélé une nouvelle volonté de défier et de répudier les organisations de la société civile qui défendent les droits humains et les droits des personnes appartenant à des groupes marginalisés dans des espaces de gouvernance internationale.

Cette tempête au CDH était une illustration parfaite de ce que de nombreux activistes affirment à travers le monde : ce sont souvent les groupes qui défendent les droits humains, les droits des femmes et les droits liés à la sexualité qui attirent le plus d'attaques de gouvernements prônant des politiques fondamentalistes et de droite.

Au bout du compte, le Conseil ne souffrira pas de la démission des États-Unis, mais les droits des personnes que le Conseil cherche à protéger pourraient. Si des pays commencent à se mettre en ligne pour attaquer le système même de protection des droits humains, ce sont finalement les citoyens ordinaires qui souffriront de l’absence de responsabilité des gouvernements.

Et à mesure que les gouvernements s’éloigneront simplement des systèmes de gouvernance, au lieu de s’y engager en bonne volonté, ces systèmes pourraient en fait s’affaiblir. Les pertes, au moins dans les exemples ci-dessus, sont larges, stratégiques et intentionnelles.

 


Cynthia Rothschild est une activiste et consultante indépendant, centrée sur des droits humains, genre et à la sexualité.

Category
Analyses
Source
AWID