En septembre 2017, l'Union européenne et les Nations Unies ont annoncé l'Initiative Spotlight, pour éliminer la violence à l’égard des femmes et des filles, le plus grand investissement unique visant à mettre fin à la violence basée sur le genre dans le monde.
Depuis lors, le Consortium Count Me In! (CMI!) a activement consulté et impliqué des activistes féministes et des droits des femmes, recueillant leurs pensées sur la manière dont cet investissement de 500 millions d'euros devrait être dépensé.
S'appuyant sur la contribution probante de plus de 400 activistes féministes et des droits des femmes qui ont partagé leurs visions pour définir et mettre en œuvre cet investissement, CMI! a étendu ses recommandations féministes à l'Initiative Spotlight.
Ces recommandations ainsi que la liste des avenants et des commentaires seront soumises en personne à l'initiative Spotlight lors de la conférence des Journées européennes du développement les 5 et 6 juin 2018.
Recommandations féministes adressées à l’initiative Spotlight
Comme l’indiquent clairement de récentes études, la présence de mouvements féministes actifs et engagés représente l’un des facteurs les plus importants de la réduction et de la suppression de la violence à l’égard des femmes et des filles :
« La clé du changement a résidé dans la mobilisation féministe autonome au niveau national et international. Les recherches révèlent que les grandes transformations - telles celles qui concernent le développement économique, la démocratisation politique ou la modification des attitudes sociétales concernant les rôles liés aux genres - ne contribuent pas nécessairement à mettre la question de la violence à l’égard des femmes en exergue. Les femmes occupant des postes élevés ne sont pas assez nombreuses, et les organisations mixtes, telles les partis politiques ou les bureaucraties gouvernementales, peuvent ne pas reconnaître que cette thématique est prioritaire, sauf quand des groupes féministes s’organisent de leur côté pour promouvoir des solutions. »
Adhérez aux recommandations pour l’Initiative Spotlight
Pour mener à bien son importante mission, à savoir mettre un terme à la violence fondée sur le genre, l’initiative Spotlight doit résolument soutenir et renforcer les mouvements féministes existants et émergents, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Les mouvements ayant été en première ligne des efforts organisés pour mettre fin à la discrimination et à la violence fondée sur le genre devraient pouvoir jouer un rôle important dans la détermination des priorités et la prise des décisions qui guideront les investissements de l’initiative Spotlight.
De plus, afin de maximiser son impact et sa durabilité, l’Initiative devra respecter, s’inspirer et tirer parti d’un savoir existant depuis des décennies, ainsi que de l’expérience des communautés et organisations féministes dans le domaine du financement. Cela implique une participation significative des fonds internationaux, régionaux et nationaux pour les femmes, ainsi que du Fonds d’affectation spéciale des Nations Unies pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Le consortium Count Me In! soumet cette série de recommandations formelles à l’initiative Spotlight. Elaborées en consultation avec des mouvements et des organisations féministes, elles sont basées sur des bonnes pratiques en matière de financement de transformations durables pour la vie des femmes et des filles à travers le monde.
RECOMMANDATIONS
Participation
- 1. Cinquante pour cent (50%) du financement Spotlight devrait être destiné à des organisations et réseaux féministes de défense des droits des femmes et des droits des filles, menés par leur base et ayant fait leurs preuves en matière d’actions fondées sur les droits avec pour but de mettre un terme à la violence à l’égard des femmes et des filles.
- 2. S’assurer que les structures de prises de décision de Spotlight prévoient la participation active des organisations féministes et de défense des droits des femmes ayant une expertise dans le domaine de la violence à l’égard des femmes et des filles. Viser au minimum une représentation à 50% des leaders de mouvements féministes et de défense des droits des femmes dans toutes les étapes de la prise de décision, de la conceptualisation à l’élaboration de programmes nationaux et leur mise en œuvre.
- 3. Les Groupes de référence de la société civile aux niveaux national, régional et mondial devraient être constitués d’une majorité d’organisations et de mouvements féministes/de droits des femmes dirigés par leurs membres.
- 4. Ces groupes de référence devraient représenter une diversité de communautés, et inclure la participation de jeunes féministes, de personnes de la communauté LGBTI, de femmes vivant avec un handicap, de minorités autochtones, religieuses, raciales et ethniques, de travailleuses migrantes, domestiques, informelles, de travailleuses du sexe, ainsi que de femmes vivant avec le VIH/SIDA.
- 5. Les organisations indépendantes de la société civile, en particulier les organisations et leaders féministes et de défense des droits des femmes, devraient participer en tant que membres à part entière de tous les organes de gouvernance, notamment l’Organe de gouvernance mondiale , avec une participation effective aux prises de décision. Avoir un statut d’observateur ne suffit pas pour pouvoir participer de manière significative.
- 6. Créer des mécanismes de coordination entre les groupes de référence (la société civile) au niveau national, régional et mondial et les équipes en charge de l’initiative (équipe de pays des Nations Unies, organe de gouvernance mondiale etc.). En effet, ces différents groupes ne devraient pas travailler séparément mais adhérer aux mêmes politiques et directives et suivre des mesures précises pour mettre en œuvre les stratégies et instaurer les mécanismes leur permettant de dialoguer et de s’influencer les uns les autres.
Mécanismes de financement
Les fonds pour les femmes indépendants, ainsi que le Fonds d’affectation spéciale des Nations Unies pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, soutiennent depuis longtemps des groupes féministes et de droits des femmes dirigés par leurs propres membres et ce, de manière efficace et continue. Les amples réseaux et les modèles de financement des fonds pour les femmes et du Fonds d’affectation spéciale de l’ONU devraient être exploités afin de s’assurer que les ressources de Spotlight soient investies dans des groupes pouvant justifier un potentiel avéré et significatif pour éradiquer la violence à l’égard des femmes et les filles.
Chaque année, ces organismes reçoivent des demandes valables et basées sur une analyse intersectionnelle de la violence qui se chiffrent en millions de dollars et qu’ils ne peuvent pas soutenir par manque de fonds. Les fonds de Spotlight devraient être utilisés pour combler cet écart en instaurant des partenariats avec ces organismes.
- 7. Cinquante pour cent (50%) de la totalité des fonds devraient être acheminés par le biais d’organismes existants (fonds pour les femmes et le Fonds d’affectation spéciale de l’ONU).
- 8. Les appels à propositions et les lignes directives pour évaluer ces propositions de l’initiative Spotlight devraient expressément accorder la priorité aux groupes abordant la violence à partir d’une analyse intersectionnelle, basée notamment sur l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression de genre, l’âge, la race, l’ethnicité et l’oppression économique, parmi d’autres dimensions.
- 9. Les décisions de financement prises par Spotlight concernant des propositions spécifiques et des stratégies globales devraient être prises sur la base d’analyses et d’évaluations effectuées par des individus et groupes justifiant d’une solide expérience en matière d’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles et intégrer des leaders de mouvements féministes et de défense des droits des femmes, ainsi que les fonds pour les femmes.
- 10. L’initiative Spotlight devrait adhérer à un processus d’octroi de subventions ouvert et concurrentiel, un principe clé de la philanthropie responsable, fondé sur la transparence et la valorisation des capacités et de l’engagement. La directive actuelle de l’initiative, qui veut que tous les fonds soient versés uniquement par le biais des agences de l’ONU contredit ce même principe, implique des frais administratifs et généraux considérables ainsi que des couches supplémentaires de bureaucratie, et réduit d’autant les fonds qui devraient être directement investis dans l’élimination de la violence à l’égard des femmes et de filles.
- 11. Dans sa recherche de mobilisation d’autres fonds provenant d’autres grands donateurs, il est primordial que l’initiative Spotlight s’assure de ne pas contribuer ainsi à réduire les ressources disponibles pour les mouvements œuvrant en faveur des mouvements féministes, des droits des femmes et des filles. Spotlight devrait en outre encourager les bailleurs de fonds, y compris l’Union européenne, les fondations bilatérales et privées, à financer directement les organisations, groupes et réseaux féministes et de défense des droits des femmes, renforçant ainsi l’écosystème des ressources disponibles pour mettre un terme à la violence à l’égard des femmes et des filles.
- 12. Nous comprenons que Spotlight mobilisera de nouveaux grands donateurs et recommandons fortement que ces derniers, dont certains rejoindront probablement l’organe de gouvernance, justifient d’un engagement sans ambiguïté envers la santé et les droits sexuels et reproductifs, les droits des personnes LGBTQI, les droits économiques et le droit au développement, en adoptant une approche intersectionnelle fondée sur les droits, tel que cela figure dans les principes de base des droits universels et des droits individuels conformes aux cadres de la CEDAW et de la Déclaration de Beijing.
Allocations des fonds & mise en œuvre
- 13. Utiliser et tirer profit des données et connaissances existantes concernant l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles. Avant toute chose, la programmation de Spotlight devrait être établie à partir d’analyses portant sur la façon dont les préjugés structurels et la discrimination à l’égard des femmes au sein des systèmes économiques, politiques et sociaux provoquent et aggravent la violence à l’égard des femmes et des filles, et ce, tant dans des contextes soi-disant de paix que de conflits.
- 14. Les fonds qui seront dépensés à un niveau national ne devraient pas être tenus de transiter par les bureaux de coordonnateurs résidents de l’ONU, ni par le biais des équipes de pays des Nations Unies . Dans ce contexte, les stratégies en faveur des droits des femmes et contre l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles se retrouvent tributaires des capacités variables et des alliances politiques des équipes de pays des Nations Unies. Les fonds devraient plutôt être versés aux groupes présentant des propositions crédibles et de solides antécédents et connaissances en matière d’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles, suivant un processus d’examen des demandes de subvention concurrentiel et externe. (voir la recommandation #10.)
- 15. L’initiative Spotlight travaillera avec des pays où les Etats parties seront susceptibles d’être hostiles à et/ou de s’opposer au travail de défense des droits humains et celui des femmes défenseuses des droits humains visant à éliminer la violence à l’égard des femmes et de filles. Ces défenseuses sont essentielles à la matérialisation d’un changement durable et pour contribuer à l’impact positif de Spotlight. Certains mécanismes doivent être mis en place pour garantir:
- ---la participation active des défenseuses et leur participation aux prises de décision (voir points 1 à 5); ---une protection intégrée garantissant que leur participation n’entraînera ni représailles ni risques supplémentaires; et ---le financement du travail et de la protection intégrée de ces défenseuses.
- 16. Spotlight devrait expressément adopter une approche de protection intégrée (sur la base des directives et résolutions de l’UE et de l’ONU) afin de garantir la sécurité des défenseur-e-s des droits des femmes, en particulier dans les cas où il existe une possibilité de conflits avec des gouvernements, des sociétés ou des acteurs non étatiques hostiles dans les pays où Spotlight intervient.
- 17. Par ailleurs, nous sommes préoccupées par le fait que les gouvernements hostiles aux droits des femmes et des filles puissent chercher et chercheront à influencer les équipes des Nations unies ainsi que leurs prises de décision quant à la participation des défenseuses et des organisations féministes et de défense des droits des femmes dans ces pays. Spotlight devrait définir des mesures claires, telles que l’implication de comités d’examen externes (recommandation #10), la coordination avec les organismes de financement pour les femmes existants (#7) et des mécanismes de responsabilisation (#18) afin de soutenir un processus concurrentiel et ouvert, notamment dans les cas où les États pourraient tenter d’intervenir ou de s’opposer au financement direct en faveur de l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles.
- 18. Dans tous les pays, les processus devraient être suivis pas des organisations féministes et de défense des droits des femmes pour s’assurer que les équipes de pays et les organisations des Nations unies respectent ces recommandations. Spotlight devrait soutenir les équipes de pays des Nations Unies et leur fournir des directives afin qu’elles s’associent aux efforts de suivi.
Count Me In! (CMI!) est un consortium de fonds et d’organisations de défense des droits des femmes composé des membres suivants : l’Association pour les droits des femmes dans le développement (AWID), Creating Resources for Empowerment and Action (CREA), Just Associates (JASS), Mama Cash, le Red Umbrella Fund et les Fonds d’action urgente (Urgent Action Fund-Africa, Urgent Action Fund-Latin America, and Urgent Action Fund). CMI! vise à contribuer à l’instauration d’un environnement sûr et inclusif favorable aux organisations de défense des droits des femmes, aux mouvements et aux défenseur-e-s des