Nous, féministes, dénonçons l'impact négatif de l'évasion fiscale sur la lutte contre les violences faites aux femmes

Les Etats ont le devoir de fournir des services qui permettent à tout·e citoyen·ne de jouir de ses droits et d'une vie digne et sûre.


Chaque année, l'évasion fiscale des multinationales coûte 180 milliards d'euros aux pays en développement et 40 à 60 milliards à l'Etat français. En cette Journée internationale de mobilisation pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, nous, féministes, syndicalistes, défenseuses des droits humains, dénonçons l'impact négatif de l'évasion fiscale sur notre lutte contre les violences basées sur le genre.

Services publics aveugles au genre

Les Etats ont le devoir de fournir des services qui permettent à tout·e citoyen·ne de jouir de ses droits et d'une vie digne et sûre. Mais les coupes budgétaires, justifiées par des politiques d'austérité, érodent les services publics. Parallèlement, les pratiques d'évasion fiscale des entreprises, notamment françaises, continuent de priver les Etats de revenus essentiels, et impactent les femmes, surtout dans les pays du Sud.

Selon l'OMS, 830 femmes meurent chaque jour de causes évitables liées à la grossesse. Dans 99% des cas, ces décès ont lieu dans des pays en développement, où les femmes sont aussi affectées par les risques de violences ou d'exploitation sexuelles en milieu scolaire. L'espace public n'échappe pas non plus à la violence de genre qui met à mal leur liberté de circulation et la jouissance de leurs droits. Les femmes sont plus exposées à cette violence du fait du travail non rémunéré de care qui leur incombe, tels que les tâches domestiques et le soin des enfants et des personnes âgées et malades. En moyenne, elles travaillent ainsi quatre années de plus que les hommes au cours de leur vie!

Lorsque les services publics essentiels sont défaillants, les femmes sont les plus impactées et elles y suppléent. Résultat: des journées de travail allongées, l'absence de temps pour le repos ou l'éducation, la marginalisation ou précarisation au sein du marché du travail, ou encore une santé fragilisée. Cela renforce les inégalités économiques et les violences, ainsi que l'exclusion politique des femmes des espaces de décision.

Systèmes fiscaux injustes

De nombreux pays sont régis par des systèmes fiscaux injustes qui tendent vers la régressivité, c'est-à-dire que les plus modestes, et donc souvent les femmes, payent plus d'impôts proportionnellement à leurs revenus. Il arrive même que des individus aux revenus modestes paient davantage d'impôts, de manière absolue, que des grandes entreprises qui pratiquent l'évasion fiscale.

De plus, certains impôts affectent particulièrement les femmes en raison des rôles sociaux qui leur incombent. Par exemple, la TVA sur les produits de première nécessité comme le savon et le sucre affectent les revenus des femmes de manière disproportionnée. En prenant soin des membres de leurs familles, les femmes consacrent une part plus importante de leurs revenus que les hommes à l'achat de ces biens.

Evasion fiscale et profit des multinationales

Les Etats justifient souvent l'absence de financements pour les services publics par leur manque de ressources. Pourquoi laissent-ils alors s'échapper des ressources cruciales par le biais de l'évasion fiscale?

Les pratiques fiscales des grandes entreprises pour échapper à l'impôt sont bien connues: recours aux paradis fiscaux, pression sur les Etats pour obtenir des exonérations fiscales abusives et refus de jouer le jeu de la transparence. L'érosion des budgets des Etats affaiblit la capacité des Etats à faire respecter les droits et les libertés des femmes, garantis pourtant – mais pas toujours – dans les textes nationaux et internationaux.

Les entreprises parviennent en plus à s'insérer dans de nouveaux "marchés" dont elles tirent profit, au détriment des femmes. La privatisation des services de base, exacerbée par les "partenariats publics-privés", implique par exemple qu'en matière d'éducation, les parents aux faibles revenus choisiront plutôt d'investir pour leurs garçons. Par ailleurs, dans les zones économiques spéciales où sont mises en place des incitations fiscales pour attirer les investissements directs étrangers, la majorité des salarié·e·s sont des femmes, dont les droits sont bafoués: activités syndicales interdites, salaires peu élevés, conditions de travail mauvaises et violence répandue. Et bien que la part des investissements étrangers dans le PIB des pays à revenus faibles augmente, la part des impôts payés par les entreprises stagne.

En se livrant à une concurrence fiscale par l'octroi d'incitations fiscales aux entreprises, les Etats contribuent eux-mêmes à une course au moins-disant fiscal dans laquelle tout le monde est perdant, à l'exception des multinationales.

Où est l'argent pour lutter contre les violences? Du côté de la lutte contre l'évasion fiscale!

Les luttes pour un monde plus juste et durable sont menacées par la concentration du pouvoir et des richesses dans les mains de quelques élites, au détriment des femmes du monde entier, et surtout des pays en développement. Nous exhortons donc les multinationales à payer leur juste part d'impôts où elles opèrent. Nous appelons les gouvernements à collecter les impôts de façon juste pour les investir dans des services publics qui prennent en compte le genre et permettent de lutter efficacement contre les violences faites aux femmes et aux filles. La France doit prendre ses responsabilités pour lutter contre l'évasion fiscale et soutenir maintenant une réelle mesure de transparence fiscale des multinationales au niveau européen!

Lire la'rticle original sur le Huffington Post


Signataires:

  • Everjoice J. Win, Directrice internationale des programmes d'ActionAid International
  • Céline Verzeletti, membre du bureau confédéral de la CGT
  • Ana Inés Abelenda, Coordinatrice Justice économique à l'AWID (Association pour les Droits des Femmes dans le Développement)
  • Véronique Moreira, Présidente de WECF France, organisation co-facilitatrice du Groupe Majeur des Femmes dans le processus ODD-Agenda 2030 à l'ONU.
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