DOSSIER DU VENDREDI: Les stéréotypes de genre portent préjudice aux femmes de diverses façons. Un livre publié par Rebecca J. Cook et Simone Cusack analyse ces stéréotypes d'un point de vue juridique et plaide en faveur d'une approche juridique transnationale pour en venir à bout.
Par Kathambi Kinoti
Au fil du temps, les femmes ont recherché et obtenu la reconnaissance et la réalisation de leurs droits humains à l'égalité. Avoir le droit de vote et briguer les suffrages, posséder et hériter des biens et transmettre la citoyenneté à leurs enfants, entre autres conquêtes, ont été dans la plupart des cas le résultat de batailles ardues livrées par les femmes à titre individuel et par les mouvements de femmes. Les institutions publiques ont été moins proactives.
Rebecca J. Cook et Simone Cusack estiment que les lois et les politiques nationales doivent être plus exigeantes pour venir à bout des stéréotypes de genre. La prémisse du livre Gender Stereotyping: Transnational legal perspectives (Stéréotypes de genre: perspectives juridiques transnationales), publié en 2010, est que les organismes gouvernementaux doivent adopter une approche plus analytique et plus systématique pour éliminer les stéréotypes de genre. Selon les auteures, le livre « cherche à offrir des perspectives quant à la façon dont des stéréotypes profondément erronés peuvent être effectivement éliminés au moyen d'un processus juridique transnational permettant de développer la signification et l'application d'une égalité transformatrice. »
La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) demande aux États parties de mettre fin aux stéréotypes de genre. Cook et Cusack plaident en faveur d'une utilisation plus étendue de la CEDAW en tant qu'outil, et demandent au Comité formé dans le cadre de la CEDAW de renforcer son suivi du respect des Etats vis-à-vis des obligations contractées dans la lutte contre les stéréotypes de genre.
Analyser les effets des stéréotypes
Cook et Cusack utilisent le terme « stéréotype » dans le sens d'une « vision généralisée ou une idée reçue quant aux attributs ou caractéristiques, ou aux rôles qui sont ou devraient être assumés par les membres d'un groupe particulier (par exemple, les femmes, les lesbiennes, les adolescents). » Les stéréotypes acquièrent souvent, et de façon persistante, un statut juridique. Les lois, les jugements prononcés et les décrets présidentiels qui soutiennent les stéréotypes de genre ont pour effet d'imprimer à ceux-ci un sceau d'autorité. Le résultat est que les femmes qui ne sont pas conformes aux stéréotypes sont confrontées à la discrimination et à la violation de leurs droits légaux. .
Un stéréotype persistant sur les femmes est qu'elles sont ou doivent être pourvoyeuses de soins. Il arrive souvent que les lois et les politiques attribuent aux femmes des rôles liés à la maternité, à la prestation de soins et à l’éducation, même pour des raisons apparemment bonnes.
La Constitution de l'Irlande reconnaît qu’« en passant sa vie au foyer, la femme fournit à l'État un soutien sans lequel il est impossible de réaliser le bien commun » et stipule que « l'État doit veiller à ce que les femmes ne soient pas obligées, pour des raisons de nécessité économique, d'entrer sur le marché du travail négligeant leurs obligations au foyer. »
En 1997, le Président de l'Afrique du Sud a accordé des remises de peines d'emprisonnement à des femmes accusées de délits non violents ayant des enfants de moins de 12 ans. Un seul père pourvoyeur de soins qui avait été condamné pour un délit non violent et avait un enfant de moins de 12 ans a tenté de faire déclarer cette amnistie comme anticonstitutionnelle invoquant la discrimination sexuelle. Le Président a affirmé que la décision d'accorder cette amnistie était basée sur les intérêts supérieurs des enfants et le tribunal constitutionnel est convenu, à la majorité, que le décret n'était pas discriminatoire.
Les stéréotypes sexuels exigent souvent aux femmes d'être « chastes et féminines. » Les normes sociales, culturelles et religieuses demandent aux femmes de faire preuve de « pudeur » dans leur habillement, conversation et dans d'autres relations sociales. Les auteurs citent l'exemple d'une employée d'une grande société américaine qui a été écartée d'une promotion pour devenir associée, car sa manière de s'habiller n'était pas « féminine » selon les stéréotypes, ne portait pas de maquillage et utilisait parfois un langage grossier, comme le font beaucoup d'hommes. Elle a poursuivi son employeur en justice pour discrimination et a obtenu gain de cause.
Les stéréotypes sur la pudeur, la féminité et les rôles sexuels des femmes (y compris leur caractère peu fiable en tant que plaignantes) sont généralisés dans la police et dans la société, ainsi que dans les lois et les décisions des tribunaux en matière de viol. Les crimes d'honneur sont courants dans le droit coutumier de plusieurs communautés. Une jeune fille ou une femme peut être considérée comme un « déshonneur » pour elle-même et pour sa famille si elle s'écarte des normes imposées, en particulier en ce qui a trait aux relations entre hommes et femmes, et dès lors peut être assassinée au nombre des crimes d’honneur.
Dans plusieurs juridictions musulmanes, le témoignage d'une plaignante ou d'une femme témoin doit être corroboré par celui d'un homme. Ces pratiques renforcent les stéréotypes selon lesquels les femmes sont inconstantes, peu fiables, peu intelligentes ou capricieuses, ce qui rend encore plus difficile leur accès à la justice.
Les récentes manifestations des SlutWalks, littéralement « marches des salopes », en Amérique du Nord ont été organisées pour protester contre les affirmations d'un officier de police canadien qui conseillait aux femmes d'éviter de s'habiller de façon « provocatrice » pour éviter les viols. Au Kenya, pour éviter toute possibilité d'accusation de viol malicieuse ou capricieuse de la part des femmes, une loi de 2006 sur les délits sexuels, par ailleurs progressiste, stipule que s'il est prouvé qu'une personne dénonçant un délit sexuel a accusé à tort une autre personne du viol commis, la partie requérante est passible d'une sentence égale à celle qui aurait été imposée à la personne condamnée. Biens que le libellé de la loi soit neutre du point de vue du genre, les actes du débat parlementaire qui s'est déroulé avant l'adoption de la loi font apparaître que beaucoup supposent que « les femmes mentent souvent à propos des viols. » Dans la pratique, ces suppositions impliquent que les survivantes de la violence sexuelle sont elles-mêmes soumises au jugement et qu'elles font l'objet d'une pression disproportionnée pour démontrer le bien-fondé de leur cas.
Les stéréotypes de genre rejoignent souvent les stéréotypes raciaux, ethniques, religieux ou autres. Dans une affaire relevée aux Pays-Bas, une employée d'origine turque a porté plainte contre son employeur auprès du Comité sur l'élimination de la discrimination raciale pour cause de licenciement, et a obtenu gain de cause. Elle avait été licenciée sur la base d'hypothèses stéréotypées relatives à « l'absentéisme fréquent » des travailleuses étrangères.
Faire face aux stéréotypes
Une approche légale transnationale favoriserait la transposition des traités internationaux sur les droits humains tels que la CEDAW dans la législation nationale, ainsi que le développement d'une analyse juridique comparative.
Les lois et les politiques doivent reconnaître que la société sanctionne les femmes qui s'écartent des rôles stéréotypés et, en conséquence, doivent prendre des mesures pour les protéger. Cook et Cusack recommandent que les gouvernements, les tribunaux et d'autres autorités s'attachent de façon plus minutieuse à détecter les stéréotypes. Un cas présenté à la Commission interaméricaine des droits de l'homme a permis l'examen des violations des droits observées dans le Code civil de 1963 de la République du Guatemala. La loi donnait aux hommes mariés « la faculté et la responsabilité de soutenir financièrement le foyer conjugal, de représenter publiquement l'union conjugale et d’administrer la propriété conjugale. » Cette même loi conférait aux femmes mariées « le droit et l'obligation de prendre soin des enfants et du foyer conjugal » et « d'accepter un travail rémunéré pour autant qu’elles s'acquittent de leurs rôles en tant que mères et ménagères, ainsi qu’elles aient le consentement de leur mari. La Commission a identifié les stéréotypes contenus dans cette loi et l'a déclarée nulle et non avenue, considérant « inacceptable de définir les fonctions et les responsabilités conjugales au sein du mariage sur la base de stéréotypes de genre. »
Les auteures recommandent que les états procèdent à des évaluations des mesures les plus appropriées pour démanteler et éliminer les stéréotypes. Ces mesures peuvent notamment comprendre la formation de fonctionnaires judiciaires, administratifs et parlementaires à propos des stéréotypes et de leurs effets sur les personnes qui les subissent ; l'évaluation des lois et des politiques qui renforcent les stéréotypes et une attitude proactive pour confronter et transformer radicalement les normes sociales qui encouragent les stéréotypes de genre.
La CEDAW constitue un cadre utile pour venir à bout des stéréotypes de genre; malheureusement, la plupart des états ne l'utilisent pas à cet effet. Cook et Cusak recommandent l'adoption du cadre: « le respect, la protection et la réalisation » [des droits] pour mettre un terme aux stéréotypes. Les organismes publics doivent s'abstenir de tout acte ou de toute omission qui préserve ou perpétue les stéréotypes tels que la maternité en tant que rôle primaire des femmes. Ils doivent protéger les femmes contre ces stéréotypes qui conduisent à des pratiques néfastes. Ils doivent également veiller à la réalisation des droits des femmes en adoptant des mesures susceptibles d'éliminer les stéréotypes de genre selon lesquels, par exemple, les femmes ne peuvent administrer aucun bien et ne peuvent donc en hériter.
Les autorités sont rarement proactives pour détecter les stéréotypes de genre et adopter des mesures pour s'y attaquer. Cet ouvrage est un outil qui sera utile aux défenseures des droits des femmes travaillant au sein et en dehors des gouvernements. Les femmes qui évoluent en dehors des gouvernements soulèvent ce problème depuis des décennies; mais la révolution n'aura lieu que lorsque les gouvernements prendront plus au sérieux les obligations contractées dans le cadre de la CEDAW et s'attacheront à démanteler systématiquement les stéréotypes de genre.
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.