DOSSIER DU VENDREDI: La Commission de la condition de la femme (CSW57) s’est achevée vendredi dernier avec des Conclusions convenues que beaucoup reconnaissent comme un document juste et équilibré qui « représente une étape supplémentaire » dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles.
Par Susan Tolmay[1]
À l’issue de la réunion tenue pendant deux semaines au siège des Nations Unies à New York sur le thème de l’Elimination et la prévention de toute forme de violence à l’égard des femmes et des filles, les fonctionnaires des Nations Unies et les activistes se sont réjouis de constater que la CSW57 a abouti à des Conclusions convenues. Les États ont majoritairement accepté l’intégralité du texte et l’ont qualifié de « juste et équilibré ». Certains ont toutefois manifesté une certaine déception, aux deux extrémités de l'éventail politique, quant au caractère modeste des progrès accomplis, alors que d’autres, comme l’Égypte, la Lybie, la Jordanie, le Qatar, le Vatican (le Saint-Siège), le Nicaragua, le Honduras et le Soudan ont formulé des réserves sur certaines parties du texte, en particulière celles qui font référence de façon explicite aux droits sexuels et reproductifs.
Il faut toutefois faire remarquer que nous sommes en 2013 et que, alors que nous devrions promouvoir des droits pour lesquels nous avons combattu sans relâche depuis presque une vingtaine d'années et mettre en œuvre des programmes qui facilitent l'accès des femmes à ces droits et la réalisation de ces derniers, y compris ceux qui sont inclus dans un large éventail d'instruments internationaux[2], les activistes des droits des femmes viennent de passer deux semaines à repousser l'opposition fondamentaliste qui cherchait à brider ces droits durement conquis.
Forte opposition fondamentaliste
Dans notre premier Dossier du Vendredi, nous nous demandions si cette réunion allait réellement accomplir des progrès et si les États allaient prendre un engagement politique pour combattre la violence à l'égard des femmes et des filles. Les Conclusions convenues sont l’aboutissement de la flexibilité et du compromis, facteurs indispensables pour éviter que ne se reproduise la situation de l'année dernière, lorsque la CSW 56 n’a pas réussi à adopter des conclusions convenues, en grande partie en raison de la polarisation des positions et d'une forte opposition fondamentaliste d'un petit groupe de pays conservateurs.
Ces groupes étaient présents en force, voire plus solides, cette année dans le cadre « d'alliances peu orthodoxes » regroupant des États aussi divers que l’Iran, la Russie, la Syrie, l'Égypte, certains États du groupe africain et le Vatican, main dans la main pour s'opposer aux droits reproductifs et sexuels des femmes, et de ceux dont les droits sont bafoués en raison de leur orientation sexuelle et leur identité de genre (SOGI). Ces États ont entravé les négociations et ont exercé de fortes pressions pour atténuer un langage pourtant accepté depuis des décennies.
Au milieu de la deuxième semaine de négociations, les Frères musulmans, actuellement au pouvoir en Égypte, ont vivement critiqué le projet de document final de la CSW, en affirmant que le document qui lance un appel pour qu'il soit mis fin à la violence à l'égard des femmes et des filles va « conduire à la complète désintégration de la société... en faisant disparaître la spécificité morale qui contribue à préserver la cohésion des sociétés islamiques ».
Dans une déclaration en 10 points, les Frères musulmans s'opposent à la liberté sexuelle des femmes, aux droits sexuels et reproductifs ; à l'égalité des droits pour les « homosexuels » ; au respect et à la protection des « prostituées » ; à l'égalité des droits pour les enfants hors mariage ; à l'égalité des droits des femmes au sein du couple, dans l'héritage, dans le partage des rôles familiaux ; ainsi qu'aux droits des femmes de déposer plainte pour viol contre leur mari. Le groupe arabe qui faisait pression à la CSW – groupes de défense des femmes et des droits humains provenant d'Égypte, du Liban, des territoires palestiniens, de la Jordanie et de la Tunisie – a manifesté sa préoccupation et son opposition à cette déclaration et a demandé aux gouvernements « de dénoncer ouvertement toutes les pratiques susceptibles de perpétuer la violence à l'égard des femmes et des filles, y compris celles qui invoquent la tradition, la culture et la religion, et de faire en sorte de les éliminer ».
Les organisations féministes et des femmes ont publié un communiqué manifestant leur préoccupation quant aux « tendances particulièrement alarmantes apparues durant les négociations du document final de la 57e session de la Commission sur la condition de la femme des Nations unies », et demandant aux gouvernements d'affirmer qu'AUCUNE nouvelle négociation ne sera entreprise sur les accords internationaux déjà en place...de féliciter les états qui protègent les droits des femmes de façon intégrale...de rejeter toute tentative d'invoquer des valeurs nationales ou morales qui pourraient enfreindre les droits humains garantis par le droit international.
Avancées dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles
Les Femmes défenseures des droits humains (Femmes défenseures)
Une des réussites les plus éclatantes pour les Femmes défenseures à la réunion de cette année de la CSW a été l'inclusion dans les Conclusions convenues, d'un libellé qui, pour la toute première fois, demande de façon spécifique aux États de soutenir et protéger tous ceux qui luttent pour éliminer la violence a l’égard des femmes, notamment les Femmes défenseures qui sont particulièrement visés par la violence. Les Femmes défenseures ne sont pas un sous-groupe spécifique qui prône un thème spécifique ; ils œuvrent en effet à la promotion de la réalisation de tous les droits humains.
Le travail inlassable des membres de la Coalition internationale des femmes défenseures des droits humains (WHRD IC) et leurs alliés, avant et durant la CSW, qui ont fait pression sur les États membres pour que les Conclusions convenues soient rédigées dans un langage énergique, a porté ses fruits pour les Femmes défenseures mais ne fut pas chose facile. Plusieurs États, y compris l’Iran, la Chine, Cuba, la Syrie et quelques états africains[3], se refusent à reconnaître que la violence à l’égard des Femmes défenseures est directement liée à leur genre et au travail qu’elles réalisent pour protéger les droits des femmes, y compris la violence de genre, les droits sexuels et reproductifs, et la violence basée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
Les premières versions des Conclusions convenues contenaient trois références aux Femmes défenseures mais, au moment des négociations de dernière minute, les souteneurs des Femmes défenseures, dont le Mexique, la Colombie, la Turquie et l'Union européenne ont dû accepter des compromis dans d'importantes parties du texte pour garantir que la question des Femmes défenseures soit mentionnée dans le texte final des conclusions. Les membres de la WHRD IC se sont félicités du fait que les Conclusions convenues reconnaissent le rôle des Femmes défenseures mais signalent également que cette reconnaissance aurait pu être plus énergique et qu'elle aurait pu être accompagnée d'engagements pour garantir que les Femmes défenseures puissent mener leurs activités de défense des droits humains sans crainte de représailles, de coercition, d'intimidation ou d'autres attaques du même genre.
Les droits sexuels et la santé et les droits reproductifs
Les organisations pour les droits sexuels et les droits reproductifs et la santé et les activistes ont travaillé dur pour préserver les conquêtes des accords antérieurs[4]et pour que soit réaffirmée de façon explicite la nécessité de services de santé accessibles physiquement et financièrement, y compris des services de santé sexuelle et reproductive, tels que la contraception d'urgence et l'avortement médicalisé pour les femmes qui survivent à la violence, et ont pour la première fois demandé aux gouvernements d'acquérir et de fournir des préservatifs féminins. La question du lien entre le VIH et la violence à l'égard des femmes et des filles est récurrente dans tout le document et les gouvernements se sont engagés à renforcer et à coordonner des programmes et des services destinés à aborder ce problème, tout en reconnaissant la nécessité de centrer ces services sur les expériences spécifiques des femmes et des filles.
Les gouvernements se sont également engagés de manière spécifique à garantir la sécurité des filles dans les espaces publics et privés, ainsi qu'à mettre fin aux mariages précoces et forcés. De même, ils se sont engagés à prévenir, investiguer et pénaliser les actes de violence commis par des personnes dotées d'une certaine autorité, tels que les professeurs, les dirigeants religieux, les dirigeants politiques et les officiers chargés de l'application de la loi. Un autre succès important est la réaffirmation d'une éducation sexuelle intégrale sur la base de données factuelles comme moyen d'aborder les types de conduite sociale et culturelle des hommes et des femmes, de promouvoir l'égalité de genre et de venir à bout des préjugés.
Le document réaffirme que les États devraient condamner énergiquement toutes les formes de violence a l’égard des femmes et des filles et s'abstenir d'invoquer des coutumes, des traditions ou des considérations religieuses pour contourner l’obligation d'éliminer cette violence, telle qu’elle a été contractée dans la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Les États progressistes se sont farouchement opposés au maintien du terme « religieux » dans le premier paragraphe et à l'inclusion de l'expression « leaders religieux ».
Certains obstacles
Une chose est claire à l'issue de ces deux semaines de négociations : les États conservateurs ne sont pas disposés à accepter et à promouvoir les droits en matière d'orientation sexuelle et d'identité de genre. On observe un renforcement permanent des relations normatives traditionnelles dans le langage utilisé dans les Conclusions convenues, ainsi qu’un refus total de reconnaître, et donc la volonté d’effacer, les groupes qui ne sont pas conformes aux identités de genre traditionnelles, aux rôles traditionnels ou à une structure patriarcale traditionnelle. Même s’il existe un consensus et un soutien croissants quant à la nécessité d’utiliser un langage explicite pour faire référence à des groupes spécifiques qui font l’objet de formes de violence particulières, comme les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenre et intersexes (LBTI), aucun accord n’a été possible sur ce point et les États conservateurs ont continué de s’opposer à tout langage mettant l’accent sur la violence dont les femmes et les filles font l’objet dans leurs différents types de relations. Le concept de base d’intersectionnalité qui permet d’appréhender les formes multiples de discrimination à l’égard des femmes et des filles et qui est indissolublement lié à certains facteurs comme la race, l’ethnie, la religion, la condition de santé, le statut, l’âge, la classe sociale et la caste est également absent dans le document final.
Les États ne sont pas non plus tombés d’accord sur le rôle des familles pour combattre la violence à l’égard des femmes et des filles ; par ailleurs, ni les gouvernements conservateurs ni le Vatican ne reconnaissent l’existence de différents modèles familiaux. L’affirmation rétrograde selon laquelle il faut protéger la « famille traditionnelle » a été vivement critiquée par plusieurs gouvernements progressistes et le paragraphe correspondant a finalement été éliminé du texte des Conclusions convenues.
Le langage suggérant que le concept de viol peut également s’appliquer à un comportement imposé à une femme par son mari ou son partenaire intime a également rencontré une forte opposition. Malgré les efforts de certains États pour que soit retenu le concept de violence de la part du partenaire intime, qui couvre de façon plus adéquate l'éventail de relations et d’espaces où se produisent les abus et la violence, il a finalement été effacé du texte définitif des Conclusions convenues.
Le manque de soutien à la proposition du Brésil d’appliquer des mesures pour combattre la violence faite aux travailleuses de sexe fut également un moment décevant. Étant donné que le thème de la discussion de la CSW était la prévention et l’élimination de la violence à l'égard des femmes, le fait de ne pas reconnaître les travailleuses de sexe comme un groupe vulnérable peut être considéré comme une perte énorme. Malheureusement, plusieurs gouvernements ont saisi l'occasion pour demander l'élimination de la demande de prostitution et/ou pour amalgamer le travail sexuel et le trafic, et même pour formuler l'idée simpliste selon laquelle la proposition encourageait les femmes à pratiquer la prostitution.
Quelles sont les implications pour les droits humains des femmes à l'horizon 2015 ?
Plus de 190 délégations nationales et 6.000 représentant-e-s de la société civile étaient présent-e-s à la réunion de cette année de la CSW durant laquelle les délégations gouvernementales ont explicitement reconnu le rôle fondamental joué par la société civile et le travail intense et acharné de cette dernière.
De l’avis de Shareen Gokal de l’AWID, la CSW de cette année a contribué à renforcer le mouvement des droits des femmes en donnant aux organisations des droits des femmes et aux activistes l'occasion de partager leurs expériences entre les générations, au-delà des frontières, entre pays, secteurs et dans différents domaines, favorisant ainsi des échanges et des enseignements enrichissants entre les activistes plus et moins expérimentées dans cette instance. Dans cet espace bigarré, les avocat-e-s des droits des femmes sont passées par différentes expériences sur tout le spectre politique : travailler avec tous les États pour faire progresser les négociations ; contrer une opposition aguerrie ; être attentives aux types d'arguments et aux tactiques utilisées et, chaque fois que possible, réagir et contester ces arguments sur la base de perspectives fondées sur les droits.
Même si les féministes et les avocat-e-s des droits des femmes reconnaissent qu'elles n'ont pas obtenu tout ce qu'elles auraient souhaité dans le texte rédigé, elles considèrent les Conclusions convenues de la CSW comme un succès et comme le fruit d'un travail acharné et de leur volonté sans faille de résister au retour en force des fondamentalistes. Ceci laisse présager un avenir prometteur pour les efforts que les avocat-e-s des droits des femmes continueront de déployer afin d'exercer une influence sur le Programme de développement de l'après 2015[5] et de garantir que la violence à l'égard des femmes et des filles soit considérée comme une priorité dans la réalisation du développement durable, de la paix et de la sécurité, des droits humains, de la croissance économique et de la cohésion sociale.
Dans les prochaines semaines, l’AWID publiera de nouveaux Dossiers du Vendredi à propos de la CSW pour analyser les principaux enjeux et dynamiques de cette session ainsi que les enseignements qui peuvent en être tirés pour de futures réunions de la CSW et d'autres processus intergouvernementaux.
[1] L’auteure remercie Lydia Alpizar Duran, Marisa Viana et Shareen Gokal de leurs contributions à cet article.
[2] Y compris la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Déclaration et le Programme d’action de Vienne, le Programme d’action de Beijing (BPfA), le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement, la Convention pour l'élimination des discriminations à l'encontre des femmes (CEDAW), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR) et la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes
[3] A savoir le Nigeria et le Cameroun
[4] La Déclaration et le Programme d’action de Beijing et le Programme of Action de la Conférence internationale sur la population et le développement et les Principales Mesures pour la poursuite de son application.
[5] Voir les dossiers du Vendredi de l’AWID: Le Programme de développement pour L’après-2015 – En quoi consiste-t-il et comment y participer et Une Analyse critique du Programme de Développement des Nations Unies pour l’après-2015