DOSSIER DU VENDREDI: Le Forum 2012 de l’AWID s’attachera à analyser l'impact du pouvoir économique sur les femmes et sur la planète en général et à faciliter la connexion entre les divers groupes qui travaillent dans ces domaines, à partir de la perspective des droits humains et de la justice, de manière à contribuer à l'élaboration de stratégies plus solides et plus efficaces pour promouvoir les droits des femmes et la justice.
Sur la route du Forum, l'AWID publie une série de Dossiers du Vendredi qui aborde certains des problèmes et des débats liés au thème du Forum et établit les liens entre la question des droits des femmes et le pouvoir économique. Le Dossier du Vendredi de cette semaine, qui est le premier de cette série, met en relief certaines dimensions et manifestations centrales du pouvoir économique.
Par Susan Tolmay[1]
Les mobilisations populaires qui ont surgi au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et se sont étendues au monde entier inspirent les femmes et les hommes à chercher de nouvelles opportunités de remettre en question la structure inégale des rapports de force qui fait que la richesse soit détenue par une minorité alors que les gens ordinaires et l'ensemble de la planète sont dans la souffrance.
La crise financière et la récession économique qui ont commencé en 2008 et qui s'inscrivent dans le cadre d'une crise systémique plus vaste en matière d'aliments, d'énergie et d'environnement ont mis en évidence les carences du modèle économique qui prédomine actuellement.
En tant que militantes des droits de la femme et de la justice, il est de notre devoir, en ce moment historique, de chercher de nouvelles voies qui ne soient plus basées sur l'exploitation des populations et de la planète, mais qui au contraire favorisent les droits humains, garantissent l'égalité et protègent nos ressources naturelles et l'environnement.
L’inégalité du pouvoir économique
Les héritages de la colonisation, les transitions tumultueuses du communisme et des décennies de recettes politiques néolibérales se sont traduits par l’accaparement des ressources publiques par le secteur privé, des dommages irrémédiables à l'environnement, une militarisation rampante, des atteintes aux droits humains et ont permis, à quelques exceptions près, que la valeur soit déterminée par les marchés capitalistes et non pas par l'expérience vécue des êtres humains.
Le modèle économique actuellement dominant, qui encourage la réduction des dépenses sociales et la privatisation des services sociaux, ne valorise guère les coûts du travail non rémunéré des femmes et les services qu'elles prêtent -alors que ceux-ci relèvent de la compétence de l'État-, à savoir l'économie des soins dans laquelle les femmes sont responsables des soins, de l'entretien et du développement des enfants, des soins à donner aux malades et aux personnes âgées, aux familles et aux communautés. Alors que les femmes continuent de réaliser la majeure partie du travail, elles restent privées de leur droit à la propriété ainsi que de l'accès à la terre et aux ressources, ce qui constitue une autre manifestation de l'inégalité de leur pouvoir économique.
Tout récemment, la crise financière et la récession économique ont profondément touché les femmes de façons diverses : en effet, elles doivent faire face à la hausse des prix des aliments, des carburants, de l'éducation, du logement, des transports, des services de santé, et se voient dans l'obligation de travailler plus et d'accepter des emplois plus précaires dans des conditions difficiles qui frôlent souvent l'exploitation.
En parallèle, les femmes négocient depuis longtemps face aux fractures systémiques et comblent les lacunes laissées par les réductions des dépenses sociales. Il existe beaucoup d'expériences importantes dont des enseignements peuvent être tirés. Des femmes indigènes, paysannes et rurales qui construisent leur propre souveraineté alimentaire. Des femmes à la base qui mettent au point des stratégies de résilience et d'autonomisation face aux catastrophes environnementales et économiques. Des jeunes femmes et des filles qui utilisent les nouvelles technologies de l'information et de la communication de façon variée et créative pour mobiliser et provoquer le changement social. Des travailleuses/eurs du sexe, des travailleuses/eurs migrant-e-s et des employé-e-s domestiques qui redéfinissent la signification du travail et l'importance du travail de soins. Des femmes en situation de handicap, des activistes trans et des femmes porteuses du VIH/sida, qui continuent de remettre en question l'importance excessive accordée à la croissance et la productivité au détriment de la dignité humaine. Sans oublier les économistes féministes qui dénoncent et analysent les forces qui façonnent et attribuent une valeur à la production et à la reproduction sociales.
Établir les liens
Le pouvoir économique touche tous les aspects de nos vies, de la négociation des dépenses des ménages à l’affectation des budgets nationaux. Le pouvoir économique recoupe également et a une incidence sur les questions et les agendas liés aux droits des femmes, des droits sexuels et reproductifs à l’éducation et à la santé.
Par exemple, de profonds changements sont intervenus ces dernières années dans la nature de l’action menée dans de nombreux contextes. Dans le même temps, le monde est de plus en plus conscient des diverses modalités de relations entre les femmes et l'économie et leurs moyens de subsistance. Les nouvelles technologies favorisent une plus grande flexibilité des relations du travail tout en contribuant à aggraver la précarité de la situation professionnelle des femmes. Dans de nombreux contextes, le manque de temps et de ressources ainsi que les exigences d'une vie professionnelle « productive » ont contribué à provoquer une « crise de soins ». De nouvelles tendances en matière de migration des femmes ont également une incidence significative sur les modèles d'organisation du travail.
Dans le même temps, il existe, dans tous les pays du monde, des pratiques culturelles qui retiennent et, dans certains cas qui empêchent les femmes et des communautés entières de jouir pleinement de leurs droits humains. Il est courant de justifier différentes formes de violence sexiste au nom de la culture, de la tradition ou de la religion. Le militarisme accru et les conflits ont également des impacts propres à chaque sexe. Dans ces contextes de plus en plus militarisés, dominés par le pouvoir des groupes militarisés et du crime organisé, les féminicides et les attaques perpétrées contre les femmes défenseures des droits humains sont aujourd'hui monnaie courante et deviennent de plus en plus la norme.
Le rôle de l’Etat est lui aussi en constante évolution. Malgré l'attention prêtée par certains gouvernements aux revendications des femmes en termes d'égalité, l'absence de politiques globales (y compris une politique fiscale appropriée pour étayer les dépenses sociales ou la reconnaissance adéquate de la contribution des femmes au revenu national) a été un obstacle, dans de nombreux pays, pour que les femmes obtiennent une participation pleine et égalitaire ainsi qu'une autonomie économique et sociale.
Le modèle économique actuellement dominant a également un impact considérable sur les droits reproductifs et sexuels des femmes et les droits des LGBTQI. La conjoncture de crise économique conduit souvent à une plus forte pression en faveur du contrôle de la sexualité et d'un accès restreint aux services de santé sexuelle et reproductive ainsi qu’aux droits dans ce domaine, en particulier pour les femmes qui vivent dans la pauvreté et d'autres groupes marginaux.
Par ailleurs, nous observons actuellement l'impact de politiques économiques qui encouragent des modèles insoutenables de production et de consommation et qui se sont traduites par l'exploitation massive des ressources naturelles de notre planète, une multiplication des conflits et une exacerbation des inégalités entre les communautés les plus pauvres et les plus vulnérables. Dans le même temps, la division du travail en fonction du sexe, les normes culturelles patriarcales, ainsi que les lois et les inégalités économiques font que les femmes se voient refuser l’accès aux et le contrôle des ressources telles que la terre, l'éducation, les services de santé, le crédit et la technologie.
Les courants financiers (politiques monétaires, régulation financière, aide, coopération au développement, investissements étrangers directs, etc.) ont également un impact direct sur les femmes et les droits des femmes. De même, les Sociétés et les agents du secteur privé sont des acteurs qui ont souvent une trop grande influence dans la définition des agendas économiques nationaux et mondiaux. L’importance croissante des sociétés transnationales sur la scène mondiale ainsi que dans toute une série de secteurs-clés des économies nationales pose de nombreux problèmes dans le monde entier.
Tous ces débats se déroulent dans le contexte d’une gouvernance mondiale et d'une géopolitique en constante mutation, notamment sous l'effet des crises systémiques. Parallèlement au pouvoir omniprésent des acteurs du secteur privé, de nouveaux pouvoirs apparaissent à la faveur de la perte de terrain des Nations Unies en tant que principal organe multilatéral, ce qui compromet sa capacité de défendre les droits humains et d'exercer une influence sur la politique économique et de développement à l'échelon mondial.
À la lumière de ce contexte mondial complexe et changeant et compte tenu des expériences si variées des différents mouvements et des leçons à en tirer, l’AWID espère que le Forum 2012 sera un espace clé qui nous permettra de mieux comprendre l'injustice économique, de nous doter des outils nécessaires pour participer aux débats économiques et de mettre au point des stratégies et forger des alliances au-delà des frontières de façon à pouvoir transformer ensemble le pouvoir économique .
Pour en savoir plus sur le Forum 2012 de l’AWID, veuillez consulter le site Web du Forum.
Nous espérons que cette série de Dossiers du Vendredi vous sera utile et nous espérons recevoir bientôt vos réactions et vos commentaires.
[1] Cet article est basé sur l'information présentée dans le document d'appel aux propositions de l’AWID pour le Forum 2012 de l’AWID
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.