L’avant-projet de conclusions concertées, ou « avant-projet zéro » présenté et soumis au débat par ONU Femmes en préparation de la 58e session de la Commission de la condition de la femme (CSW), qui se tiendra à New York du 10 au 21 mars 2014, a été publié le 4 février. L’AWID présente ici ses premières réactions et son analyse.
Ceci est en complément de la Déclaration de l’AWID à la 58esession de la Commission de la condition de la femme (CSW58) présentée en octobre 2013. A l’approche de la CSW 58, nous poursuivons nos efforts en collaboration avec des associations pour les droits des femmes, des groupes féministes et d’autres activistes des droits humains, pour que cette session de la CSW contribue de façon vigoureux, ambitieuse et démocratique à ce que les programmes internationaux de développement fassent avancer l’égalité des genres et les droits des femmes.
Sur la bonne voie Au nombre des éléments positifs :
- L’avant-projet réaffirme à juste titre la nécessité d’appliquer dans leur intégralité les obligations et les engagements internationaux sur les droits des femmes et l’égalité des genres, notamment le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement, la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW).
- Nous saluons la réaffirmation que l’égalité des genres, l’autonomisation des femmes, la pleine réalisation des droits humains des femmes et l’éradication de la pauvreté sont essentiels au développement économique et social.
A juste raison, l’avant-projet reconnaît que :
- Aucun OMD ne prenait en compte la violence à l’égard des femmes et des filles, la part disproportionnée des soins non rémunérés assumée par les femmes, l’égalité des conditions d’accès aux capitaux et aux ressources productives, les écarts de salaire entre hommes et femmes, la santé et les droits en matière de sexualité et de reproduction, et la participation à part entière des femmes à tous les niveaux de la prise de décisions ;
- Tous les OMD concernant les femmes et les filles a été entravée par la persistance de l’inégalité des relations de pouvoir entre les hommes et les femmes, les lois discriminatives, les normes ou les pratiques sociales et les stéréotypes ;
- Les femmes et les filles ont été très touchées par les effets de la crise économique et financière internationale, par l’explosion des prix des denrées alimentaire et de l’énergie, par l’insécurité alimentaire et par le changement climatique ;
- La priorité insuffisante accordée à l’égalité des genres et à l’autonomisation des femmes et un sous-investissement notable sur ces questions, continuent de faire obstacle aux progrès des OMD concernant les femmes et les filles. Il est souligné que les ressources allouées à l’égalité des genres, dans le cadre des budgets nationaux, ou dans celui de l’Aide publique au développement sont toujours tragiquement inadaptées.
- Nous sommes sensibles aux préoccupations exprimées par la Commission en ce qui concerne l’absence de progrès dans la réalisation des OMD relatifs aux groupes de femmes et de filles les plus discriminés.
- Nous soutenons la Commission dans sa demande aux États de faire en sorte que les femmes et les filles jouissent pleinement de tous leurs droits humains ; de renforcer l’environnement favorable à l’égalité des genres ; de maximiser les ressources financières consacrées à l’égalité des genres et aux droits des femmes ; d’étayer la base de données factuelles relatives à l’égalité des genres ; d’améliorer la reddition des comptes ; d’assurer la participation des femmes à tous les niveaux ; et de poser les jalons d’une priorisation de l’égalité des genres et des droits des femmes dans le programme de développement pour l’après-2015, en en faisant un objectif à part entière et en les intégrant via des cibles et des indicateurs à tous les autres objectifs.
Les éléments ci-dessus sont nécessaires mais ils ne suffiront pas à assurer l’efficacité du nouveau programme relativement au développement durable, à l’égalité des genres et à la réalisation des droits humains. Aussi, nous demandons instamment à la Commission d’être plus ambitieuse dans sa façon de considérer la remédiation aux échecs des 14 dernières années et de faire pression pour que le programme de développement pour l’après-2015 soit audacieux, juste et transformationnel.
La Commission doit :
1. Reconnaître les causes structurelles de l’inégalité des genres et de l’appauvrissement
La Commission doit reconnaître les causes structurelles qui perpétuent les inégalités, l’appauvrissement et les discriminations, et traiter de la nécessité de changer de paradigme et de tourner le dos au modèle économique néolibéral nocif pour les personnes et pour la planète. Pour avancer, nous devons nous atteler à une profonde transformation structurelle qui aille à l’encontre du modèle de développement patriarcal, non viable et extractiviste que nous connaissons, et qui valorise les heures non rémunérées que les femmes consacrent aux soins, qui pour le moment permet au modèle actuel de durer. Nous insistons sur la nécessité d’élaborer des modèles alternatifs du développement qui mettent au centre le bien-être des personnes, en particulier celui des personnes qui sont les plus discriminées, et la bonne santé de la planète. Un tel nouveau modèle doit prendre en compte les contributions invisibles et non comptabilisées des femmes. Mettre en place un système international plus juste exige aussi de mettre fin à la dépendance à l’aide et au protectionnisme commercial inéquitable, et exige la justice fiscale et l’annulation de la dette.
2. Placer les droits humains au cœur des efforts pour l’après 2015
Les droits humains sont indivisibles et interdépendants. Il faut apporter une égale attention et considérer comme prioritaire, l’application, la promotion et la protection des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de toutes et tous.
De plus, les principes clés des droits humains comme la réalisation progressive, au maximum des ressources disponibles, la non-rétrogression, la satisfaction de l’essentiel de chacun des droits / les obligations fondamentales minimum, la reddition des comptes et la transparence, les obligations extraterritoriales, la non-discrimination et l’égalité doivent être les principes auxquels se réfèrent les États pour s’acquitter de leurs obligations et tout programme pour l’après 2015 doit être fondé sur eux.
3. Traiter de la violence à l’égard des femmes et de ses liens avec les conflits, la militarisation, et la montée des fondamentalismes
Les conclusions concertées doivent traiter de l’intersectionnalité de la violence à l’égard des femmes et des filles, avec une série de discriminations basées, entre autres, sur la classe, la race, l’ethnicité, la religion, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, les aptitudes, la citoyenneté et le statut d’immigré.
La Commission doit reconnaître l’interdépendance entre la violence à l’égard des femmes et les contextes de conflit, de militarisation, d’insécurité et de déplacement de populations, et accorder une attention particulière à la fréquence alarmante des violences sexuelles dont sont victimes les femmes qui sont utilisées comme armes de guerre. Les conclusions concertées doivent aussi prendre clairement position vis-à-vis de ceux qui invoquent leur religion, leur culture ou des traditions pour justifier l’oppression et la violence à l’égard des femmes et des filles et d’autres groupes discriminés.
La Commission doit prêter attention à la montée en puissance de multiples fondamentalismes économiques, religieux, ethniques, militaristes ou autres qui amplifient les inégalités, défendent des pratiques nocives pour les femmes et les filles, et annulent les conquêtes des femmes en matière de développement. Il faut de façon urgente demander des comptes à ceux qui financent ou qui encouragent de tels fondamentalismes.
4. Protéger les Femmes défenseures des droits humains
Nous appelons la Commission à reconnaître le rôle essentiel des femmes défenseures des droits humains, de leurs organisations et de leurs mouvements, dans la réalisation et la mise en œuvre des Objectifs du millénaire pour le développement. Les Femmes défenseures sont particulièrement exposées aux actes de violence perpétrés par des acteurs étatiques et non-étatiques, et les États doivent redoubler d’efforts pour mettre fin à l’impunité, assurer leur protection, et faire en sorte que les femmes défenseures des droits humains participent pleinement à la conception et à la mise en œuvre des programmes de développement, ceux qui sont en cours comme ceux qui sont en préparation. Les États doivent les protéger et leur assurer un environnement favorable, notamment en ce qui concerne le droit d’association, d’assemblée et d’expression, conformément à la Déclaration sur les Défenseurs des droits humains (A/RES/53/144) et à la résolution sur la protection des défenseuses des droits humains (A/C.3/68/L.64/Rev.1).
5. De robustes mécanismes de responsabilisation, et de suivi et évaluation
Il faut adjoindre aux mécanismes de suivi et évaluation des politiques et des programmes au niveau national, ceux qui existent au niveau régional ou international dans le cadre du système de suivi des droits humains des Nations Unies — comme le Comité pour l’Élimination de la discrimination à l’égard des femmes et le système de l’Examen périodique universel. La CSW doit obliger les acteurs étatiques et non-étatiques, y compris le secteur privé, à rendre des comptes sur les résultats obtenus relativement à l’égalité des genres, la réalisation des droits des femmes et des filles et l’autonomisation des femmes, et s’assurer qu’elles ont effectivement des voies de recours et de réparation sur le plan juridique, psychosocial ou économique, notamment qu’elles peuvent prétendre à indemnisation en cas de violation de leurs droits humains.
Nous demandons à la Commission d’améliorer les indicateurs de suivi des OMD et d’y adjoindre des données qualitatives et des témoignages vécus qui rendent compte de la réalité de la vie des femmes. Pour que le suivi soit démocratique et transparent, il est indispensable de disposer d’un ensemble d’indicateurs accessibles, fiables, intégrés et de chiffres et de données ventilées selon le sexe, l’âge, la région et d’autres facteurs.
En ce qui concerne la mise en œuvre et le niveau de réalisation des OMD
A propos de l’OMD 1, même si la Commission note qu’il persiste des disparités importantes entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l’emploi et la protection sociale, il faut insister sur le fait que les femmes n’ont pas les mêmes possibilités que les hommes d’accéder au plein emploi et qu’elles sont surreprésentées dans l’économie informelle et non rémunérée. Ce qui fait, qu’elles sont plus exposées à perdre leur emploi en période de crise, qu’elles ne bénéficient pas d’une bonne protection sociale et que leurs conditions de travail sont précaires. Les États ont pour le moins le devoir de promouvoir un travail décent pour tous et toutes, leur assurant le minimum vital et un salaire égal à travail égal. Les États doivent prendre des mesures concernant la division du travail entre les genres et le harcèlement sexuel sur les lieux de travail, et ils doivent promouvoir l’équilibre de la répartition du travail rémunéré et des responsabilités familiales et domestiques entre les hommes et les femmes. Il faut reconnaître les droits des travailleurs et travailleuses domestiques (voir la Convention de l’OIT sur le travail décent des travailleurs et travailleuses domestiques, C189) comme ceux des employé-e-s du secteur informel ou des employé-e-s non rémunéré-e-s, à savoir leurs droits à la protection contre la violence ou les abus à leur encontre, à une couverture sociale adéquate, à des conditions d’emploi équitable, à un environnement de travail sûr et salubre.
A propos de l’OMD 2 (assurer l’éducation primaire pour tous) il est important de reconnaître que même si les taux de scolarisation ont augmenté, les conditions de l’enseignement ne se sont pas nécessairement améliorées. Il n’est pas rare que les filles ne disposent ni de sanitaires, ni d’eau, dans leurs écoles, et elles sont toujours victimes de violence. Nous demandons que soit utilisée une approche plus globale de l’OMD 2 qui, au-delà des chiffres, prenne en compte les conditions sociales et la qualité de l’enseignement. La Commission doit, en particulier, condamner fermement, et demander des mesures contre, les offensives des fondamentalistes religieux concernant le droit des filles à la scolarisation et leurs possibilités d’acquérir des savoirs et des compétences indispensables au développement et à l’autonomisation.
De plus, respecter le droit des femmes et des filles à un enseignement de qualité suppose que l’éducation sexuelle fasse partie de tout système d’enseignement conçu pour les adolescent-e-s, les jeunes et les femmes pour qu’ils ou elles puissent faire valoir leurs droits à l’intégrité physique et corporelle, et leurs droits en matière de sexualité et de reproduction. Il faut promouvoir une éducation sexuelle holistique et pragmatique tant à l’école, qu’à l’extérieur de l’école, et la mettre en relation avec les questions de la sexualité, de la santé en matière de sexualité et de reproduction, de l’égalité des genres, des droits humains, de la non-discrimination, du respect mutuel et de la non-violence.
A propos de l’OMD 3 (Promouvoir l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes), la Commission doit prendre acte de la faible représentation des femmes dans les processus de prise de décision politiques et économiques, notamment dans les assemblées parlementaires et les autres structures de gouvernance locale, ce qui en dit long sur la persistance de la discrimination dont sont victimes les femmes, entretenue par les inébranlables relations de pouvoir entre les sexes, les normes sociales et les stéréotypes de genre. Il faut tout particulièrement s’attacher à ce que des jeunes femmes de différents horizons, ainsi que des organisations dirigées par des jeunes ou centrées sur les jeunes, participent de façon effective, en disposant de toutes les ressources nécessaires pour cela, à la formulation, au choix, à la mise en œuvre, et au suivi et évaluation des stratégies et des politiques de développement, au niveau national ou local.
A propos de l’OMD 5 (Améliorer la santé maternelle) la Commission doit reconnaître que les progrès ont été particulièrement lents, notamment en ce qui concerne la cible de l’accès universel à la santé en matière de sexualité et de reproduction, et que la part de la santé dans les budgets nationaux demeure notoirement insuffisante. L’AWID attire l’attention sur les droits des adolescentes et des jeunes femmes, en particulier celles des groupes discriminés, qui n’utilisent pas de contraceptifs. Ceci recouvre leurs droits à la contraception d’urgence, à une IVG autorisée par la loi et sans danger, et l’accès aux autres services de santé en matière de sexualité et de reproduction.
A propos de l’OMD 8 (Un partenariat mondial pour le développement), les États ont encore du chemin à faire pour respecter les engagements pris et les objectifs financiers fixés, et pour optimiser l’utilisation de leurs ressources financières. La Commission doit reconnaître que les ressources financières consacrées à l’avancement de l’égalité des genres et des droits des femmes sont insuffisantes. La Commission doit promouvoir un programme global concernant la mobilisation des fonds publics, comportant une réforme fiscale et la création de mécanismes financiers nouveaux et innovants, reposant sur le respect, la solidarité, l’équité, l’inclusion, la non-subordination et la justice pour tous, comme par exemple les taxes sur les transactions financières au niveau régional ou international, conformément aux traités internationaux sur les droits humains. Les partenariats multipartites sont importants et nécessaires si l’on veut que les vies des femmes et des filles changent de façon positive et durable, mais il faut prêter attention au rôle de plus en plus important joué par le secteur privé dans le développement, ce qui peut avoir des effets sur l’indépendance des institutions multilatérales. On ne peut compter sur les nouveaux acteurs (document en anglais), que ce soit des entreprises ou d’autres acteurs du secteur privé, pour financer les organisations des droits des femmes, car ils ne donnent pas de fonds aux organisations de femmes, et car ils n’ont pas le bagage de connaissances indispensable pour pouvoir avoir un impact sur l’égalité des genres. Les organisations de femmes elles-mêmes, les États et les autres donateurs traditionnels qui soutiennent les droits des femmes, peuvent avoir un rôle important pour la formation des nouveaux acteurs du développement. Il est impératif de faire pression pour que soient mis en place de nouveaux mécanismes de responsabilisation multiple qui contrôlent de façon effective les actions de tous les acteurs du développement, notamment celles des partenariats public-privé.
Conclusion
Il faut que la CSW 58 aille au-delà d’une simple évaluation des OMD, et qu’elle appelle haut et fort à de nouveaux modèles du développement international et de la coopération pour le développement, reposant sur l’universalité des droits humains, sur une réelle égalité, et sur un cadre redistributif qui réduise les inégalités de richesses, de pouvoir et de ressources. Ceci exigerait des institutions et des processus démocratiques qui rendent des comptes à tous et toutes. L’égalité des genres, les droits des femmes et l’autonomisation des femmes sont clés pour les futurs progrès. Tout nouveau cadre de développement doit en faire un objectif à part entière et l’intégrer via des cibles et des indicateurs à tous les autres objectifs.
Personne à contacter : Alejandra Scampini, Lead Advocacy Associate, ascampini@awid.org