DOSSIER DU VENDREDI – Les débats tenus à la 46
Par Saira Zuberi
Le thème de cette année de la CPD a inspiré de nombreux états membres de la Commission qui ont envoyé des expert-e-s en démographie à cette réunion. Cette présence, conjuguée aux informations erronées divulguées par des organisations de la société civile conservatrices et opposées à la liberté de choix, ainsi que la participation de délégations influencées par leurs discours ou manquant d'informations dans le domaine, ont créé un contexte difficile pour les groupes de défense des droits qui participaient à la réunion.
Le blog simpliste, Why is the West so obsessed with sex? (Pourquoi l’Occident est-il si obsédé par le sexe) Ne laissez pas les activistes des droits sexuels et reproductifs s’emparer du document de la CPD en ignorant les besoins réels des migrant-e-s ! …se termine sur cette citation éloquente: « Une fois de plus, l'agenda sexuel du premier monde l'emporte sur les BESOINS du tiers-monde... Ma mère me raconte que sa santé sexuelle et reproductive ou ses droits sexuels et reproductifs n'ont jamais été une préoccupation – une immigrante aux États-Unis ». Cet extrait illustre la façon dont les SRHR ont été rejetés et, d'une manière générale, dissociés des droits humains par différents collectifs qui s'opposent à ces droits et qui ont participé activement à la 46
Pourquoi les SRHR sont-ils importants ?
La santé et les droits sexuels et reproductifs (SRHR), y compris l'éducation complète à la sexualité ainsi que les droits relatifs à l'orientation sexuelle et l'identité de genre, ont été rejetés, dévalorisés ou dénaturés par de nombreux délégués, et même par le président de la 46e session de la CPD qui a fait référence à plusieurs reprises aux SRHR comme une distractionet une nuisance qui compromettent la possibilité d'arriver à un consensus. Toutefois, ceci est précisément la raison pour laquelle les activistes de défense de ces droits ont insisté sur le sujet car le droit à la santé en tant que dimension des droits humains ne suscite en soi aucune controverse.
Avoir recours à la citation d’une immigrante aux États-Unis estimant que la question des droits sexuels et reproductifs ne se posait pas pour sa mère pour démontrer que les migrant-e-s n'ont pas besoin de santé, de droits ni de services sexuels et reproductifs est le reflet d'une attitude simpliste, pour ne pas dire hypocrite. Il ne faut pas oublier que les femmes émigrent pour différentes raisons et de différentes façons. Dans le contexte de migrations forcées, de crises de réfugiés ou du trafic, par exemple, les femmes et les filles sont beaucoup plus vulnérables à la violation de leurs droits sexuels et de leur intégrité corporelle face aux trafiquants, aux fonctionnaires corrompus ou aux opportunistes et dans les conditions précaires de la vie dans des camps de réfugiés. Les risques sont également élevés pour les femmes et les filles qui émigrent comme domestiques, car la dépendance des employeurs, l’invisibilité de leur statut et leur isolement peuvent les rendre extrêmement vulnérables à la coercition et à la violence sexuelles. Même dans les situations réglementées dans lesquelles les migrant-e-s jouissent d’un certain statut et d'une certaine protection, toute personne qui arrive dans un nouvel environnement rencontre des barrières linguistiques et culturelles qui aggravent leur vulnérabilité. Dans ces situations et dans beaucoup d’autres, le besoin de ou le droit à une santé sexuelle et reproductive ne disparait pas pour une femme, une fille ou une personne LGBTQI. Ce besoin peut en fait s’exacerber, raison pour laquelle il est impératif de protéger et de promouvoir ces droits.
Les tweets et blogs simplistes de la droite religieuse, selon lesquels les défenseur-e-s de la liberté de choix s'attendent à ce que les migrant-e-s « avalent des pilules contraceptives » ou croient que les préservatifs et le droit à l'avortement vont résoudre les problèmes du monde, sont des déclarations méprisantes et offensantes, en particulier pour les migrant-e-s, et surtout pour les femmes et les filles dont les droits sexuels et l'intégrité corporelle sont les plus menacés. Les risques et les vulnérabilités associés au processus de migration ou d’établissement viennent se greffer sur les besoins quotidiens actuels en matière de santé sexuelle qui ne s'effacent pas avec la migration. Le problème n'est pas de déterminer si les migrant-e-s ont besoin ou non d'aliments, de refuge, de soins de santé et de sécurité mais si leur santé et sécurité doivent également inclure les SRHR.
Arguments et tactiques utilisés par les groupes religieux conservateurs
Malgré les connexionsévidentes, les forces opposées à la liberté des droits et décidées à exclure les SRHR étaient toutefois majoritaires.
Le lobby efficace exercé par des OSC conservatrices disposant de ressources considérables a réussi à forger de solides relations avec des délégations et des dirigeants avec lesquels elles ont trouvé un terrain d'entente. Les principales tactiques utilisées dans ces instances sont la divulgation d'informations et d'arguments erronés, de plus en plus souvent moyennant les médias sociaux, la manipulation du langage des droits et l'insertion de clauses destinées à atténuer les engagements déjà contractés et le langage convenu.
Par exemple, les conservateurs religieux et sociaux affirment souvent que l'éducation sexuelle complète n'est qu'un code pour les droits en matière d'orientation et d'identité sexuelles (SOGI), ou tout simplement la façon d'encourager la promiscuité entre les jeunes enfants.
Ce mythe ancien a de nouveau été évoqué durant la CPD, par l'intermédiaire de groupes comme Family Watch International (FWI), qui a distribué de fausses informations ciblées basées sur des faits manipulés et des données faussées, par exemple à travers un rapport sur l'éducation sexuelle complète (CSE) qui banalise les efforts déployés pour garantir que les jeunes soient équipés et informés de façon adéquate à propos de leur corps et de leurs droits en les accusant de vouloir « sexualiser les enfants ». Ce lobby contre la fourniture de ce type d’éducation visant à une responsabilisation a malheureusement contribué à la perte du langage convenu sur l’éducation sexuelle complète dans le texte définitif de la résolution de la 46
La représentation du plaidoyer en faveur des droits comme une « obsession » pour les droits sexuels a également porté atteinte à l'engagement clair de ces groupes vis-à-vis d'autres questions cruciales en matière de droits, par exemple les efforts concertés pour associer le droit général à la santé aux services de santé réellement prêtés, indépendamment du statut de la personne. Bien qu'ayant fait l'objet d'une grande controverse et de débats houleux entre de nombreux pays d'origine et d'accueil des migrant-e-s, cet effort s'est traduit dans l'énoncé du paragraphe opérationnel 4 (OP4) – qui demande aux états de promouvoir et de protéger « les droits humains et les libertés fondamentales de tous les migrant-e-s quel que soit leur statut... » dans le texte final de la Résolution.
Les arguments habituellement utilisés pour divulguer des informations erronées sur l'avortement ont été à nouveau brandis, par exemple dans la déclaration orale du représentant de Endeavour Forum, qui a réitéré le faux concept selon lequel l'avortement sûr n’existe pas, sur la base d'une recherche peu sérieuse et d'un raisonnement biaisé affirmant que même l'avortement légal est nuisible pour la santé mentale et reproductive des femmes. Dans la foulée de cet argument, les groupes défendant la santé et les droits sexuels ont été accusés de profiter de l'industrie de l'avortement et de vouloir gagner de l'argent sur le dos des migrant-e-s. Les efforts de promotion des SRHR ont même été qualifiés de démarche « impérialiste » dans le sens où l’attention portée sur les droits et les besoins en matière de SRHR des femmes africaines et latino-américaines et de la population migrante en matière de SRHR constitue, selon leurs opposants, en fait un « génocide contre les pauvres », comme si les tauxd’ avortement non médicalisé et le risque associé aux besoins non satisfaits en matière de santé sexuelle n'étaient pas un problème urgent pour les innombrables personnes qui vivent dans le Sud global. Des tweets affirmant que les avocat-e-s des droits signalaient « aucune mention des services / de l'amélioration des soins de santé pour les femmes enceintes et leurs enfants – l'accent est mis sur l'élimination de l'enfant conçu » ont contribué encore plus aux fausses informations diffusées durant la réunion.
Malgré ces efforts de dissimulation et de distraction, la résolution finale a quand même réaffirmé le Programme d’action de la CIPD, et a inclus une référence spécifique à l'avortement médicalisé et à la contraception d'urgence, là où elle est autorisée par la loi, en particulier pour les migrantes qui ont survécu à la violence sexuelle. La déclaration a également réaffirmé le droit à la santé sans aucune qualification (par exemple quel que soit le statut migratoire), le droit à la santé incluant l'information et l'éducation, la non-discrimination et l'accès aux services susceptibles de protéger les droits sexuels et reproductifs des migrant-e-s, en particulier ceux et celles qui sont les plus vulnérables aux abus (femmes, filles et personnes LGBTQI).
Malheureusement, les progrès accomplis et les atouts conservés en matière de SRHR pour les migrant-e-s ont également été compromis par l'inclusion d'un paragraphe sur la souveraineté de l'État, stipulant « le droit de chaque pays à mettre en œuvre les recommandations du programme d'action ou d'autres propositions contenues dans la présente résolution, conformément à sa législation nationale et à ses priorités de développement, dans le respect des différentes valeurs religieuses et éthiques et du contexte culturel de sa population, ainsi que des droits humains reconnus à l'échelle universelle. » Cette clause particulière est souvent utilisée par les forces qui s'opposent à la liberté des droits pour faire jouer la sémantique à l'encontre de la nature holistique et indivisible des droits humains moyennant l'argument selon lequel l'avortement ou l'orientation sexuelle n’est pas reconnu de façon universelle (à savoir, reconnu littéralement) dans le droit international relatif aux droits humains.
Les groupes conservateurs accusent de plus en plus les défenseur-e-s des droits d’impérialisme ou de génocide pour le seul fait de tenter de promouvoir les droits humains de tous les individus où qu’ils se trouvent et qui ils soient. Ils considèrent que la reconnaissance de certains droits à d'autres personnes va à l'encontre de leurs libertés religieuses ou de conscience. Il incombera aux défenseur-e-s des droits de continuer à remettre en question et à dénoncer les informations erronées et les données manipulées sur lesquelles sont basés les arguments fondamentalistes et de continuer à plaider pour que les gouvernements respectent et étendent les protections prévues dans les politiques et dans le droit international, ainsi que la promotion des droits humains. Il est de notre devoir de continuer à réaffirmer et à insister sur le fait que les SRHR font partie intégrante des droits humains et du droit à la santé et que tous les états ont l'obligation de protéger, de promouvoir et d'appliquer ces droits.