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Performance trans, plaisir profond et ressources autonomes aux Tonga

Discussion avec Joey S Joleen Mataele de la Tonga Leitis Association.

Entretien et rédaction par Rochelle Jones
Introduction par Tenzin Dolker

Introduction

Au cours des dernières années, nous avons parlé à plusieurs activistes féministes remarquables, originaires de différentes parties du monde. Partageant des réflexions approfondies sur l'état passé et actuel de l'organisation et des ressources féministes, iels ont réfléchi aux modes complexes, multisources et souvent invisibles utilisés par les mouvements pour financer leur travail. Nous avons discuté de plusieurs types de ressources qui sont autonomes ou qui se situent en dehors des modèles philanthropiques et gouvernementaux, et nous les avons appelées les « ressources autonomes ».

Joey est connue de sa communauté militante et partage à quel point son organisation féministe correspondait durant de nombreuses années de sa vie à un travail non rémunéré, fait avec amour; un amour pour ses ami·e·s, un amour pour la communauté trans et un amour de justice. Elle précise : « Si nous devions citer ou chiffrer le travail que nous avons mené et accompli, aucun de ces financements ne pourrait atteindre la quantité de travail réalisé. La plupart des ressources viennent de nos propres poches. »

Cette discussion avec Joey fait partie d'une série de conversations. Les deux premières discussions que nous avons partagées avaient eu lieu avec la militante queer, Chayanika Shah, basée à Mumbai, et avec la défenseuse des droits des travailleurs·ses du sexe, Dame Catherine Healy en Nouvelle-Zélande. La troisième de cette série est avec Joey S Joleen Mataele, une militante transgenre de la Tonga Leitis' Association (TLA) basée au Royaume des Tonga. Son travail a été mis en lumière dans le film documentaire Leitis in Waiting.

Joey se souvient : « Dix-sept ans avant que nous commencions à obtenir des fonds, le travail de la Tonga Leitis' Association était exclusivement financé par le concours Miss Galaxy et la gestion du bureau, vous savez, et tout ça. En fait, nous devions travailler depuis chez moi, vraiment. »

« Les ressources autonomes », comme le déclarait l’année dernière Luti, une activiste LGBT du Costa Rica, lors d'un échange de compétences en ligne sur le sujet, « sont à l'origine de notre organisation féministe ». Les origines de la Tonga Leitis’ Association ont également commencé avec des ressources autonomes, générées par le concours Miss Galaxy, qui se poursuit à ce jour.

Ci-dessous se trouve la retranscription d’une discussion entre Rochelle et Joey, éditée à des fins de clarté et de longueur.

AWID X TLA 3
RJ: Quelles sont les principales problématiques autour desquelles s’organise la Tonga Leitis’ Association?

JM: Notre travail se base sur les droits humains et la prévention du VIH. Notre activisme œuvre pour les droits humains des femmes et des hommes transgenres. Nous défendons les femmes lesbiennes et bisexuelles aussi. Nous avons pu travailler avec la communauté de femmes LBT, un thème inexistant il y a plusieurs années… vous savez, si l’on revient 20 ans en arrière, elles étaient encore au placard, elles n’étaient pas à l’aise pour en sortir. Nous avons commencé à créer un environnement pour qu’elles se manifestent et nous rejoignent, et via le travail que nous faisons en plaidant et en représentant leur voix en public, il se trouve qu’elles nous ont entendu, et puis via notre concours Miss Galaxy, comme nous plaidons en faveur des droits de tou·te·s les LGBTQI, cela les a mises à l’aise.

Notre travail ne se limite pas aux femmes LBT - nous défendons également les femmes hétérosexuelles et nous soutenons le mouvement pour les droits des femmes. Nous sommes là depuis le premier jour, soutenant toutes les ONG qui se préoccupent des femmes, défendant les droits des femmes au parlement, faisant campagne pour les femmes candidates… nous avons toujours été là pour aider par tous les moyens dont nous disposons - en particulier en protégeant les droits des femmes, nous sommes toujours en première ligne à nous battre pour elles.

Lorsque nous avons lancé la TLA en 1992, une partie de nos objectifs était de rééduquer celleux en décrochage scolaire. Ces enfants qui ont été chassés de chez eux ou qui n'ont pas pu terminer leurs études - parce qu’en fait vous parlez à l'une d'entre eux, je fais partie de ces personnes. Malheureusement, je n’ai pas décroché de bourse (rires).

Je me suis formée moi-même. J'ai quitté l'école à 14 ans. Je ne pouvais tout simplement pas supporter ça, vous savez, la douleur causée par la violence physique, la violence verbale à l'école. Et donc je ne pouvais plus être importunée. J’étais autodidacte.

RJ : Quelles sont vos ressources pour réaliser votre travail?

JM: Je pense que juste après cela, quand nous avons commencé, aucun·e d’entre nous n'était capable d'écrire des propositions, et cela a été difficile parce qu’à chaque fois que nous envoyions notre candidature pour un financement, elle était toujours refusée à cause du langage que nous utilisions. En fait, ce n'était pas le langage des bailleurs. Il nous a fallu environ 17 ans pour enfin obtenir, enfin, l'approbation d'un bailleur. Le National AIDS Council (Conseil national de lutte contre le sida, NAC) des Tonga a été créé en 1988. Lorsque les Tonga ont rejoint d'autres responsables des Ministères de la Santé dans tout le Pacifique, dans un effort collaboratif pour lutter contre les infections sexuellement transmissibles et le VIH, quelques financements ont été générés par le gouvernement australien et la Communauté du Pacifique, ancienne Commission du Pacifique Sud. Il nous aura fallu ce projet pour commencer à apprendre à rédiger une proposition de façon appropriée.

Depuis nos débuts en 1992 jusqu'à cette année, nous avons pu remettre 62 bourses. Les 32 premières bourses ont été financées par notre concours Miss Galaxy, qui a financé le fonctionnement du bureau, mais nous n’avions pas encore le financement structurel pour payer le personnel. Désormais, nous avons réussi à obtenir des fonds pour payer le personnel afin de gérer correctement le bureau, et la Fondation Rei au Japon finance maintenant nos bourses scolaires. Nous avons également pu obtenir un financement du partenariat PNUD-Fonds mondial sur les programmes de sensibilisation au VIH et les droits des personnes LGBT vivant avec le VIH. Ce fonds a pu financer la plupart de nos projets, en particulier les programmes de sensibilisation au VIH, mais il s'agit uniquement de financement de projets. Nous avons été en mesure d'obtenir récemment un financement structurel; nous avons eu beaucoup de chance d'avoir un financement par la Give Out Foundation et via notre travail avec le Commonwealth Equality Network (Réseau égalité du Commonwealth). Nous venons aussi de commencer à travailler avec l’International Trans Fund (Fonds international trans) sur l'un de nos projets, qui s'intitule The Leitis in Waiting Pacific Equality Campaign (Campagne d’égalité au Pacifique sur les leitis dans l’attente), pour partager notre documentaire avec toutes les îles du Pacifique, et notamment les sept pays qui n'ont toujours pas dépénalisé l’homosexualité.

RJ : Dites-m’en plus sur le Concours Miss Galaxy.

JM: Dix-sept ans avant que nous ne commencions à obtenir des financements, le travail de la TLA, y compris le bureau, était uniquement financé par le concours Miss Galaxy. En fait, nous devions travailler depuis chez moi, vraiment. Les cinq premières années, nous avions un petit bureau dans un coin financé par Son Altesse Royale la Princesse Pilolevu, dans l'un de ses bureaux. Puis, lorsque l'organisation a commencé à s'agrandir et que quelques autres bénévoles se sont ajouté.e.s, nous avons décidé de travailler depuis chez moi. Nous avions un entrepôt à l'arrière, avec notre bureau, et nous avons tout accompli depuis ce lieu, pendant près de 17 ans.

Lorsque nous avons finalement obtenu un financement pour démarrer, nous avons pu financer un bureau et louer un espace, en 2014, il me semble. Donc, l'argent que nous recevons de Miss Galaxy aide beaucoup pour les dépenses du bureau et des résident·e·s du centre d'accueil qui y vivent.

Miss Galaxy
RJ : Comment récoltez-vous de l'argent via Miss Galaxy? Pouvez-vous m’en dire un peu plus.

JM: Nous vendons des billets. Nous faisons de la publicité sur les réseaux sociaux, à la radio, à la télévision, puis nous organisons le concours Miss Galaxy dans l'une des plus grandes salles des Tonga, qui accueille environ 2 000 personnes par nuit. En fait, c’est un moyen que nous utilisons pour notre plaidoyer. C'est à ce moment qu'on fait entendre nos voix et qu'on décide d'un thème que l'on change chaque année. Avec les candidates, l'une des catégories consiste à faire un élément qui les concerne personnellement, qui fait le lien avec elles, qu'il s'agisse de violence domestique ou d'abus ou d’autre chose.

RJ : C’est comme raconter une histoire?

JM : Oui, comme raconter une histoire. Donc on peut chanter, on peut danser, on peut faire n'importe quoi. Tant que ça correspond au thème. Une autre catégorie concerne la création à partir de préservatifs. En raison du travail que nous faisons sur le VIH, nous utilisons tous les préservatifs périmés de l'hôpital pour concevoir les robes et les chapeaux. Cette catégorie met l'accent sur l'importance de se protéger contre les risques et sur la vulnérabilité à l'infection par le VIH/les IST. Une chose que j'aime dans cette catégorie, c'est que les styles sont tout simplement scandaleux! Ces catégories restent là chaque année, et nous changeons tout le temps les autres catégories. Cette année, nous avons eu une création arc-en-ciel, car elle coïncidait avec le mois des fiertés.

Oui, comme raconter une histoire. Donc on peut chanter, on peut danser, on peut faire n'importe quoi. Tant que ça correspond au thème. Une autre catégorie concerne la création à partir de préservatifs. En raison du travail que nous faisons sur le VIH, nous utilisons tous les préservatifs périmés de l'hôpital pour concevoir les robes et les chapeaux. Cette catégorie met l'accent sur l'importance de se protéger contre les risques et sur la vulnérabilité à l'infection par le VIH/les IST. Une chose que j'aime dans cette catégorie, c'est que les styles sont tout simplement scandaleux! Ces catégories restent là chaque année, et nous changeons tout le temps les autres catégories. Cette année, nous avons eu une création arc-en-ciel, car elle coïncidait avec le mois des fiertés.

RJ : Donc, il s’agit vraiment de rassembler la communauté dans son ensemble avec cet événement, n’est-ce pas? C’est énorme.

JM : Oui. Après, elles passent une journée dans l'une des îles qui les parraine pour venir, et nous les emmenons faire une pause, puis répéter là-bas. Les deux dernières nuits sont les nuits du concours. Nous visons toujours environ 10 à 15 finalistes de partout des Tonga. Habituellement, il y a des villages qui font ce qu’ils ont envie de faire et qui choisissent une personne pour venir les représenter.

Miss Galaxy Pageant
RJ: Remplissez-vous la salle les deux nuits? Est-elle remplie à pleine capacité?

JM: En réalité, nous devons même arrêter les gens dehors! La sécurité doit les arrêter, car il n'y a pas d'espace pour marcher. C'est toujours plein à chaque fois. Au début, nous l'avons fait à l'hôtel de mon père, le Joe's Tropicana Hotel, et nous avons rempli l'endroit avec environ 500 personnes, soit le nombre maximal qui pouvait entrer à l'intérieur.

Les gens faisaient toujours la queue dehors, donc après deux ans là-bas, nous avons dû nous déplacer. Il y avait beaucoup de demandes pour cela, alors nous sommes allé·e·s à l'International Dateline Hotel, puis après trois ans là-bas, nous avons eu des soucis avec l'un des ministres qui était Président du conseil d'administration de l'hôtel. Il était très religieux, tout ça, et sa religion allait vraiment contre nous pour l’organisation du concours là-bas. Nous avons donc changé pour une autre grande salle et à partir de là, la demande était tout simplement trop forte. Nous sommes allé·e·s demander à notre patron de voir la Reine – Sa Majesté maintenant, elle était alors la Princesse Nanasi – parce qu'elle était la présidente du Queen Salote Memorial Hall. Alors, elle a dit « Oui, allez-y », et nous sommes allé·e·s au Queen Salote Memorial Hall. Et nous y sommes depuis 1997.

Miss Galaxy Pageant
RJ : Vous avez dit que le concours Miss Galaxy avait financé le travail de votre organisation pendant 17 ans, puis que vous avez commencé à obtenir des fonds externes. Avez-vous tiré des leçons de ce type de financement? Comment équilibrez-vous cela avec tous les autres travaux que vous faites en même temps?

JM : Juste après l’organisation de Miss Galaxy, vers la fin de l'année, nous nous asseyons et planifions. Ensuite, nous évaluons la Miss Galaxy de l’année, nous voyons ce qui doit être amélioré, puis nous fixons la date, écrivons les lettres de demande de sponsors et expédions le tout en novembre. En janvier, c'est à ce moment-là que tout le monde commence à revenir en ville - certaines des personnes qui retournent dans les îles périphériques reviennent en janvier à leur travail normal, puis nous commençons à nous réunir et nous devons nous concentrer sur d'autres projets que nous menons en parallèle. En même temps, nous devons essayer de trouver du temps pour notre propre famille... ce qui ne correspond presque plus à rien, une fois que nous rentrons à la maison (rires). C'était difficile pour moi en même temps, lorsque nous avons lancé le Pacific Sexual Gender Diversity Network (Réseau pour la diversité de genre et sexuelle au Pacifique) – cela a en fait doublé le travail que je faisais auparavant. Qui arrive à avoir du temps pour sa famille? La plupart du temps, on voyage pour participer à des réunions et faire du lobbying dans les pays.

RJ : Depuis que vous avez commencé à obtenir des financements externes, vos autres projets ont-ils été facilités? Vous obtenez plus d'argent?

JM : C'est beaucoup plus facile. Mais ce n'est toujours pas suffisant. Nous n'avons qu'un·e seul·e coordinateur·rice de programme et deux autres employé·e·s rémunéré·e·s, et moi je ne suis pas du tout rémunérée. Nous avons un·e coordinateur·rice et deux assistant·e·s qui se partagent la crème du gâteau... Mais nous devons tou·te·s contribuer d'une manière ou d'une autre au fonctionnement du bureau et à l'alimentation de tou·te·s celleux qui vivent dans le centre d'accueil. C'est dans le même bâtiment et nous avons des chambres pour les sept personnes qui y vivent et que nous soutenons – vêtements et tout. Cela inclut deux membres âgé·e·s - c'est l'un des rêves de TLA que de pouvoir s'offrir un terrain pour que nous puissions construire un centre approprié pour répondre aux besoins de notre propre communauté et au profit de nos personnes âgées LGBT.

RJ: Pensez-vous avoir les ressources nécessaires pour faire votre travail? Si vous pouviez recevoir n'importe quel type de financement, lequel serait le plus utile pour votre travail, en quoi consisterait-il?

JM : Non, ce n’est pas le cas. Bon, je vais être très honnête. Nous n'avons même pas les bonnes ressources pour le travail que nous faisons. Si nous devions citer ou chiffrer le travail que nous avons mené et accompli, aucun de ces financements ne pourrait atteindre la quantité de travail réalisé. La plupart des ressources viennent de nos propres poches. Même l’hébergement et les soins apportés aux personnes qui vivent dans notre centre d’accueil. Cela coûte de l'argent et du temps – et la plupart d'entre nous essayons de travailler dans d'autres endroits pour financer une partie du travail que nous faisons, sans parler d’aider nos propres familles. Nous apprécierions vraiment plus de financement structurel.

L'un des projets que nous aimerions réaliser concerne le vieillissement. Je sais que beaucoup de gens n'y pensent pas. Mais c’est une préoccupation pour nous parce que nous avons eu quelques personnes vivant dans notre centre d'accueil qui sont décédées sous nos soins. Ce sont des personnes LGBT âgées. Et ça nous frappe durement, parce qu'on s'est dit... « Euh, on a fait tout ce travail, mais qu'en est-il de nous? On va finir comme ça, et qui va s'occuper de nous? » Nous devons veiller à ce que nos besoins en matière de soins personnels et de bien-être soient pris en compte. On peut faire tellement de choses – on peut crier autant qu’on le peut, on peut courir dans la rue et combattre qui on veut. Mais au final, qui va s'occuper de nous? C'est une chose que nous avons pensé devoir mettre en place. Nous aimerions donc construire un véritable centre de retraite avec un bureau, une salle de conférence, un logement et une clinique pour les personnes âgées. Il n'y a pas de foyer pour personnes âgées ici aux Tonga. Et c'est une chose qui nous tient vraiment à cœur maintenant et que nous devons mettre en place. C'est une réalité, surtout quand vous êtes une minorité et que personne ne veut s'occuper de vous. Notamment pour les personnes vivant avec le VIH, c'est encore une autre question. Nous avons dû nous occuper de deux personnes qui sont décédées, il y a quelques années.

RJ: C'est superbe. En réfléchissant à tout cela et à vos expériences, quelles sont les lacunes dans les priorités des bailleurs de fonds et les besoins des mouvements féministes, selon vous?

JM : C'est la limitation du contexte qu'ils nous donnent. Certaines des choses que nous voulons financer, comme le coût de la vie et tout, ne sont pas permises. C'est frustrant, mais qui va s'occuper d'eux? Nous devons encore sortir cela de notre poche et nous sommes reconnaissant·e·s d'avoir Miss Galaxy pour nous aider de toutes les manières possibles.

RJ : Si vous pouviez dire aux bailleurs trois choses qu'ils peuvent faire pour soutenir les mouvements féministes, que diriez-vous?

JM: : Écoutez-nous. (Rires) Croyez en ce que nous faisons. Réalisez nos rêves et aidez-nous pour que nous puissions aider les autres.

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Category
Analyses
Region
Pacifique