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Où est l’argent pour les droits des femmes ? Les points marquants des travaux de recherche et les tendances durant l’année 2009

Ce dossier du vendredi est la première des deux parties d’un texte concernant l’initiative d’action-recherche de l’AWID "Où est l’argent pour les droits des femmes". Il dégage les tendances générales significatives et les opportunités qui impactent le panorama actuel du financement des organisations. La seconde partie du dossier portera plus précisément sur différents secteurs de financement, et comportera des recommandations et des possibles stratégies pour améliorer la quantité et la qualité des ressources des mouvements féministes et des organisations de défense des droits des femmes. 

LE FINANCEMENT DES ORGANISATIONS POUR LES DROITS DES FEMMES

L’Association pour les droits des femmes et le développement (AWID) a lancé son initiative d’action-recherche « Où est l’argent pour les droits des femmes ? » en 2004, en réponse aux innombrables demandes de ses membres en quête de conseils à propos des levées de fonds et les relations avec les donateurs. Nous avons mis en chantier des enquêtes et des études collaboratives avec divers acteurs pour nous faire une idée précise des tendances et des dynamiques du financement des travaux liés aux droits des femmes, pour réunir une documentation sur la façon dont les organisations de femmes ont procédé ces dix dernières années, et pour entamer un plaidoyer pour que les donateurs leur consacrent plus de ressources et de meilleure qualité.

Les résultats de l’enquête menée par l’AWID entre 2005 et 2008 auprès de plus de mille organisations de femmes, nous ont donné une image précise des défaillances dans les différents secteurs de financement —réductions drastiques dans beaucoup d’agences donatrices ou impossibilité pour la grande majorité des organisations de femmes d’accéder à un certain nombre de sources de financement. Partant du principe que les organisations de femmes ont un rôle vital pour la cause des droits des femmes et pour celle de l’égalité entre les sexes, il était préoccupant de voir qu’entre la moitié et les deux-tiers des organisations de femmes interrogées déclaraient un budget annuel inférieur à 50 000 dollars US.

Les travaux de l’AWID en 2009 ont eu pour principal objet d’étudier certains changements conjoncturels ainsi que les tendances persistantes qui jouent sur les possibilités des mouvements féministes de mobiliser des ressources — en particulier l’impact de la crise financière et de la récession économique sur les donateurs clés. Nous avons récemment présenté les conclusions de notre étude pour avis et commentaires lors d’un séminaire de deux jours réunissant les parties intéressées, organisé à Amsterdam par l’AWID en collaboration avec Hivos et Mama Cash. L’événement a réuni 50 défenseuses des droits des femmes qui représentaient différents secteurs de financement, notamment des agences bilatérales et multilatérales, des fonds pour les femmes, des fondations privées, des organisations non-gouvernementales internationales (ONGI) et des organisations de femmes. Nous mettons en lumière ci-dessous quelques unes des tendances clés en 2009, et leurs implications possibles pour les organisations de femmes et les organismes donateurs qui leur sont alliés. L’étude complète, intitulée Context and Trends Influencing the Funding Landscape for Gender Equality and Women’s Organizations & Movements (Conjoncture et tendances influant sur le panorama du financement de l’égalité entre les sexes et des organisations et mouvements de femmes) sera bientôt disponible sur awid.org.

LE PANORAMA DU FINANCEMENT : TENDANCES & OPPORTUNITÉS MARQUANTES

L’Aide publique au développement (APD) : Nous allons assister à sa diminution, mais pas nécessairement vis-à-vis de l’égalité entre les sexes

La crise systémique contribue à faire baisser le revenu national brut (RNB) dans beaucoup de pays donateurs, et cette baisse va se traduire par une diminution de l’aide (qui est un pourcentage du RNB) que l’on ressentira probablement en 2010 et au-delà. Cependant nous savons aussi que la part de l’Aide publique au développement (APD) consacrée à l’égalité entre les sexes a augmenté ces dernières années (atteignant en 2008 le plus haut niveau qu’elle n’ait jamais eu) et selon les rapports des donateurs, s’il venait à y avoir des coupes dans les budgets, ce serait uniquement dans le cadre d’une réduction générale et en aucun cas ce ne viserait cet objectif précis.

De plus, à l’évidence, il y a eu ces dernières années des avancées positives avec la création dans plusieurs agences donatrices de nouveaux fonds spécifiques ou de nouvelles lignes budgétaires en faveur de l’égalité entre les sexes. D’importants fonds spéciaux ciblant l’égalité entre les sexes ont été reconduits en 2009, notamment le MDG3 Fund néerlandais, le Global Program for Gender Equality de Sida (qui a doublé son budget en 2009 et prévoit une nouvelle augmentation significative en 2010), et le Fund for Gender Equality de l’UNIFEM qui est financé par le gouvernement espagnol.

Les femmes et les filles "Agents du changement" et "Acteurs économiques"

En 2009, il a été porté un très grand intérêt à l’idée "d’investir dans les femmes". Du New York Times Magazine à la Fondation Gates, des documentaires de la BBC au Newsweek Magazine, de la Fondation Nike au livre de Kristoff et WuDunn (Half the Sky), la visibilité du rôle des femmes, en particulier dans le domaine de l’économie a été sans précédent.

On retrouve cette tendance chez plusieurs donateurs qui ces trois dernières années ont augmenté leurs engagements de financement dans ce domaine — par exemple de grandes ONG internationales comme Plan International, Save the Children, CARE prêtent plus d’attention aux femmes et/ou aux filles, et il en est de même pour certaines fondations privées comme Nike et Novo. Même si cette tendance est prometteuse, il est préoccupant de voir que certaines de ces approches privilégient les femmes et les filles prises individuellement, et semblent ignorer tout le système qui est en jeu, ainsi que le rôle clé des mouvements de femmes qui de longue date ont placé les droits des femmes et l’égalité entre les sexes au centre de leurs combats pour la justice sociale et économique.

Une avancée aux Nations Unies : la nouvelle entité concernant le genre

Après des années de plaidoyer de la société civile, le 14 septembre 2009, l’Assemblée Générale des Nations Unies a voté la résolution historique de créer une nouvelle agence pour les droits des femmes qui va agréger les travaux des quatre organismes qui existent déjà (UNIFEM, DAW, OSAGI, INSTRAW) [1]. Si elle est fermement appliquée, cette résolution est le gage d’une agence influente sur le plan politique, indépendante, bien dirigée et qui disposera de moyens accrus pour faire progresser les objectifs relatifs à l’égalité entre les sexes et à l’autonomisation des femmes.

L’un des principaux sujets de préoccupation concernant cette nouvelle entité aux Nations Unies est la façon dont elle sera financée. La campagne GEAR et d’autres pressent les États membres de s’engager sur un financement "ambitieux" — 1 milliard de dollars US — pour montrer qu’ils avalisent pleinement le lancement de la nouvelle entité. Ce budget est considéré « comme crucial pour le succès de la nouvelle agence ; une amplification au niveau global des opérations réalisées au niveau des pays pour remédier à la situation des femmes doit reposer sur un financement de base afin de garantir la haute prévisibilité des travaux de l’agence. » [2]

L’influence de l’agenda de l’efficacité de l’aide sur le financement des OSC

Conformément aux principes de l’efficacité de l’aide mis en avant dans la Déclaration de Paris, les gouvernements donateurs demandent de plus en plus aux OSC du Nord qu’ils financent de s’aligner sur les priorités de la coopération en matière de développement et de "parfaire" le financement des pays bénéficiaires en apportant leur soutien aux OSC du Sud. En outre, les pays donateurs appliquent de plus en plus le principe de "l’appropriation nationale" en mettant directement les fonds à disposition des OSC du Sud, en particulier par le truchement des Ambassades.

Ces changements de politique sont sources d’opportunités mais aussi de défis. Les nouvelles politiques et méthodes de la société civile peuvent avoir des effets salutaires, ce peut être une porte ouverte à ce que plus d’organisations de femmes aient accès à un financement. Mais les financements via les Ambassades seront conformes aux priorités nationales et ceci peut rendre plus difficile la recherche d’un soutien à la cause des droits des femmes. La question de savoir qui définit les priorités des financements va donc demeurer un problème majeur, de même que le fait que les groupes de femmes vont se trouver en compétition avec toutes les autres OSC qui s’adresseront aux Ambassades.Les financements des organisations de femmes sont toujours insuffisants

Les participantes à la dernière réunion des parties intéressées ont été frappées de réaliser qu’à l’évidence il y a des ressources en quantité "à portée de main". En définitive, qui a accès à ces ressources ? Est-ce que ce sont les organisations de femmes qui travaillent depuis 5, 10, 20 ans ou plus, à faire avancer la cause des droits des femmes qui en bénéficient ? Un petit nombre seulement d’entre elles, principalement les plus grandes, ont pu en bénéficier. L’enquête de l’AWID montre combien sont limitées les possibilités — spécialement en ces temps de crise systémique — qu’ont les petites et moyennes organisations (avec des budgets inférieurs à 1 million de dollars US) de bénéficier de cet accroissement des fonds disponibles.

Ceci peut tenir en partie au "souci d’efficacité" de beaucoup d’agences de financement, qui les a conduit à réduire le nombre de pays ou de secteurs qu’elles soutiennent et à diminuer le nombre de bénéficiaires, et qui, en règle générale, accroît les difficultés qu’ont les organisations à convaincre les donateurs avec lesquels elles n’avaient pas noué de relations auparavant. Ceci conduit aussi les agences à donner la préférence aux opérations à grande échelle car ils considèrent qu’elles auront un impact plus important.

À L’AVENIR

L’AWID va poursuivre ses travaux d’observation du paysage du financement pour identifier les défis et les opportunités qui jouent sur l’accès des organisations de femmes à des ressources en quantité et qualité suffisantes. Dans le cadre de ces travaux, nous allons étudier jusqu’à quel point les organisations de défense des droits des femmes ont été touchées par La crise financière et la récession économique, et pour cela nous sommes entrain de collecter des témoignages en anglais, en français et en espagnol. L’objectif est de faire partager aux donateurs les réalités auxquelles les organisations de femme doivent faire face dans ce contexte de crise – afin qu’ils prennent conscience de la pressante nécessité de continuer à investir dans le féminisme. Si vous souhaitez partager une histoire ou une expérience avec nous, nous vous remercions à l’avance d’envoyer vos contributions à fundher@awid.org.

Note : Ce dossier du vendredi est tiré d’un article écrit par l’AWID pour le prochain numéro du Gender and Development Journal d’Oxfam.

Notes [1] Gender Equality Architecture Reform Campaign (GEAR), une coalition de plus de 300 organisations dans 80 pays du monde entier, lancée en 2006 pour influer sur les réformes en cours aux Nations Unies. La campagne a été en particulier axée sur l’institutionalité du genre au sein des Nations Unies.

[2] Bunch, Charlotte, A Powerful Women's Agency: will the UN deliver?, OpenDemocracy, 27 octobre 2009.

Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID