DOSSIER DU VENDREDI: Le Code des Personnes et de la Famille du Mali était adoptée en 2009 par l’Assemblée Nationale, mais sa promulgation par le Président du Mali a été retardée jusqu’à ce jour en raison de la mobilisation par les organisations religieuses musulmanes qui s’y opposent.
L’AWID s’est entretenu avec Djingarey Ibrahim Maiga, présidente de Femmes et Droits Humains et Yaba Tamboura, Membre du comité d'orientation du Collectif des Femmes du Mali (COFEM) au sujet de l’état actuel du nouveau Code des Personnes et de la Famille du Mali (ci-après désigné le Code de la Famille).
Par Massan d’ALMEIDA
AWID: Pouvez-vous nous rappeler un peu l’histoire de la révision de l’ancien Code de la Famille?
D.I.M.: Une large majorité des organisations de la société civile, des confessions religieuses et des structures de l’Etat ont participé au processus d’élaboration du projet du nouveau Code de la famille. Les organisations de femmes, les organisations de droits humains et les leaders religieux dans les villes et villages du Mali ont été impliqués dans le processus de révision à travers des séances de discussions/débats et des ateliers de formation, de sensibilisation ; ces séances ont portées sur les articles de l’ancien Code de la Famille et ont relevé les points de désaccord soulevés lors des débats, qui sont dans la plupart des cas relatifs aux discriminations envers la femme ; ces points ont été révisés et la proposition a été faite afin d’abroger l’ancien Code de la Famille et de le remplacer par un nouveau qui prendra en compte les dispositions des conventions internationales/régionales que le Mali a ratifié et de la constitution malienne qui garantit l’égalité entre tous sans discrimination aucune.
AWID: Quelle est la situation actuelle du nouveau Code de la Famille et pourquoi sa promulgation a-t-elle été différée ?
Djingarey Ibrahim MAIGA (D.I.M.): Le nouveau Code de la Famille a été voté le 3 Aout 2009 par l’Assemblée Nationale. Ce code est un véritable renouveau du droit de la famille et des personnes en comblant certains vides juridiques. Il prend en compte les proclamations constitutionnelles ainsi que les conventions internationales ratifiées par le Mali et applicables à tous de façon égale. De plus, il rétablit l’équilibre entre enfants garçon et fille d’une part, enfants illégitime (naturel) et légitime d’autre part qui héritent désormais sans discrimination aux biens laissés par leurs parents après leur décès. Le code a été renvoyé en relecture car certaines de ses dispositions ont fait l’objet de divergences en particulier venant des organisations religieuses musulmanes.
Yaba Tamboura (Y.T.): Le nouveau Code de la Famille se trouve actuellement à l'Assemblée Nationale pour relecture où le processus de révision se fait par sa sous-commission loi; après qu'elle aura fini son travail, le document sera envoyé au gouvernement pour avis, ensuite les organisations de la société civile (OSC) y compris les organisations de femmes seront consultées. Car les OSC ne siègent pas à la sous commission de l'Assemblée Nationale, mais elles peuvent être entendues en cas de besoin avant que le dossier soit transmis au gouvernement. Les OSC et la Commission nationale des droits de l'homme sont entrain de faire du lobbying afin de s’assurer que les avancées relatives aux droits des femmes soient préservées dans le nouveau Code de la Famille et elles sont accompagnées dans leurs actions par le Ministère de la justice. Il y a aussi un groupe de pression dirigé par le Groupe Pivot Droit et Citoyenneté des Femmes (GP/DCF) constitué par 8 associations de promotion et de protection des droits des femmes. Elles ont approché la sous-commission loi qui les informe sur l'évolution du dossier qui est lente à cause des divergences de point de vue autour de certaines questions. Nous avons confiance en cette sous-commission dont l'influence gène un peu les organisations religieuses musulmanes qui ont de plus en plus du mal à faire passer leurs arguments - ils parlent de déserteurs dans leur rang.
AWID: Quels sont les points de discorde entre les activistes des droits des femmes et les organisations religieuses musulmanes ?
D.I.M.: Les points de discorde portent sur plusieurs articles du Code de la Famille. L’article 5 porte sur l’intégrité de la personne humaine : selon les organisations religieuses musulmanes, cet article pourrait être utilisé dans la lutte contre les Mutilations Génitales Féminines dont le type 2 (l’excision) est la plus répandue au Mali ; or selon la religion musulmane elle n’est ni une obligation ni une recommandation exigée mais un acte facultatif.
L’article 56 porte sur le choix de domicile : selon le nouveau Code de la Famille, ce choix pourrait se faire sur la base de l’exercice des professions par l’un des conjoints. Cela constitue une véritable avancée pour les droits des femmes, car l’ancien code dans son article 34 stipulait que le mari est le chef de famille. En conséquence : les charges du ménage pèsent à titre principal sur lui; le choix de la résidence de la famille lui appartient; la femme est obligée d’habiter avec lui et il est tenu de la recevoir. A cause de cette disposition, beaucoup de femmes ont ainsi perdu leurs activités et sources de revenus pour suivre leur mari.
L’article 281 traite de la laïcité du Mariage ; c’est surtout ce qui a causé toutes les agitations au sein des organisations religieuses musulmanes. En fait 35 pour cent de femmes dépossédées, chassées du domicile conjugal l’ont été parce qu’elles ne possèdent pas d’acte de mariage civil, aussi le mariage musulman n’élabore pas de contrat qui peut servir de preuve concrète de lien de mariage, alors la femme en cas de divorce ou de décès du mari se trouve confrontée à des problèmes vis-à-vis de la loi pour revendiquer leurs droits.
L’article 282 porte sur l’âge minimum du Mariage : il a été révisé et fixé à 18 ans pour les deux sexes.
L’article 311 porte sur le devoir d’obéissance par la femme qui a été remplacé par le respect mutuel. Dans les articles 556 à 573 l’autorité du père a été remplacée par l’autorité parentale.
Les articles de discorde portent donc sur des questions sur lesquelles les activistes des droits des femmes travaillent afin d’améliorer le vécu quotidien des femmes et de promouvoir leurs droits humains fondamentaux. Ce nouveau Code de la Famille est un véritable effort d’harmonisation et de conformité des lois nationales maliennes avec les lois internationales sur les droits des femmes et de l’enfant telle que de la Convention sur l’Elimination des Discriminations à l’Egard des Femmes (CEDEF) ratifiée par le Mali en 1985, le protocole à la charte Africaine relative aux droits des femmes ratifiée par le Mali en 2005 et la convention sur les droits de l’Enfant.
AWID: Les organisations religieuses musulmanes avaient-elles vraiment participé au travail d'élaboration du projet de nouveau code ? Si oui pourquoi ont-elles réagi alors si violemment et se sont-elles opposées à sa promulgation? Et qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur de leur réaction?
Y.T.: Oui, le Haut Conseil Islamique avait deux représentants à la commission qui a travaillé sur le projet du nouveau Code de la Famille. Le problème c’est que les organisations religieuses musulmanes ne s'entendent pas entre eux. J'ai participé à la deuxième relecture du code et ce sont eux qui nous ont retardés dans le travail car ils disent une chose aujourd’hui et demain ils viennent avec le contraire disant que leur base n’est pas d’accord. Je pense qu’elles craignent surtout de voir disparaitre leur pouvoir patriarcal prôné dans l'ancien Code de la Famille.
D.I.M.: Les organisations religieuses musulmanes perçoivent le nouveau Code de la Famille comme une volonté manifeste du gouvernement de servir des visions étrangères à notre société ; elles ont tenu à marquer leur désaccord avec les principes de laïcité du mariage, l’âge du mariage, l’option en matière de succession et ont insisté sur leur volonté de donner un caractère juridique au mariage religieux, d’accorder les mêmes droits et devoirs aux époux dans les unions polygames, de maintenir le devoir d’obéissance de la femme au mari et la contribution des deux époux aux charges du ménage.
Elles se sont donc farouchement opposées à la promulgation du nouveau Code de la Famille à travers une grande mobilisation et une marche ; En réponse à leur mobilisation, la réaction du Président de la République a été de renvoyer le code en relecture afin de revoir les points de discorde et de proposer des changements.
AWID: Selon le conseil islamique, le nouveau Code de la Famille n’était pas approprié pour les valeurs sociétales maliennes. Qu’en dites-vous ?
Y.T.: Je dis bien que cela n’est pas vrai car dans le Code de la Famille il n'y a aucun dispositif qui va contre nos lois et les conventions et traités signés et ratifiés par le Mali. Ils veulent mélanger les choses et semer la confusion dans l’esprit de la population à majorité analphabète (1) en mélangeant coutume, tradition et religion. Il y a des points de vue qu'ils défendent et qui n'existent nulle part dans le Coran.
AWID: Que représente le nouveau Code de la Famille pour les femmes et les droits des femmes au Mali ?
D.I.M.: Ce nouveau code représente un outil précieux pour la promotion des droits des femmes et la lutte contre la discrimination et les violences faite aux femmes et ainsi la promotion de l’égalité des genres au Mali.
AWID: En l’état actuel où sont les choses, y a –t-il des chances que le nouveau Code de la Famille soit bientôt promulgué ?
D.I.M.: Oui, il y a des chances que ce Code de la Famille soit promulgué mais peut être avec des incohérences dans les textes liées à la relecture mais les organisations de promotion et de défense des droits humains et des droits des femmes font de leur mieux pour garder la substance des articles.
Y.T.: Je ne pense pas que la promulgation du nouveau Code de la Famille soit retardée indéfiniment, je suis optimiste que cela verra le jour avant la fin du mandat du Président Amadou Toumani Touré.
Note
(1) Les femmes représentent près de 51 pour cent de la population totale du Mali, selon les résultats provisoires du Recensement général de la population et de l’habitat, rendus publics à la fin de 2009. Plus de 70 pour cent d’entre elles vivent en zone rurale; 83 pour cent n’ont jamais fréquenté un établissement scolaire; 14 pour cent n’ont pas dépassé le niveau de l’école primaire tandis que 0,1 pour cent ont un niveau universitaire et postuniversitaire. (Source : IPS )
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