DOSSIER DU VENDREDI : La crise financière et économique a suscité un regain d’intérêt pour les taxes sur les transactions financières (TTF), louées par leurs partisans tant pour leur potentiel de production de recettes que pour leurs effets en matière réglementaire.(1) La crise,qui a frappé les femmes de manière disproportionnée, a anéanti de nombreux progrès obtenus en matière de développement au cours des 10 dernières années. L’aide au développement officielle recule et ne suffira pas à financer les objectifs de développement adoptés au niveau international, sans compter les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) d’ici 2015. On constate un besoin manifeste d’autres sources de financement pour le développement, et dans ce contexte, les TTF peuvent permettre de réunir des fonds qui manquent lourdement au profit du développement.
Par Natalie Raaber et Masum Momaya
Avec la diminution de l’aide officielle au développement, les TTF apparaissent comme une source potentielle de revenus complémentaires
Au lendemain de la crise systémique, les niveaux de l’aide au développement officielle, qui étaient déjà faibles avant la crise, ont enregistré un recul et le besoin de financements complémentaires en vue d’atteindre les objectifs de développement adoptés au niveau international, y compris les OMD, s’est accentué d’autant plus. Les taxes sur les transactions financières (TTF) font partie des mécanismes visant à produire des financements complémentaires. D’après Alessandra Nilo et Juliana Cesar, membres de l’ONG brésilienne Gestos, certaines estimations suggèrent que les recettes recueillies par les TTF pourraient fournir un financement suffisant pour aborder toutes les dimensions du développement, y compris l’accès aux soins de santé primaire, à une nourriture nutritive, à une eau propre et à l’assainissement, et au traitement et/ou au contrôle de la tuberculose, la malaria et du VIH/SIDA(2).
Les TTF sont des taxes appliquées aux transactions telles que les opérations de change et l’achat et la vente d’actions et de titres. Outre les recettes recueillies par ces taxes, qui pourraient être destinées à des projets de développement, des programmes de lutte contre la pauvreté, des initiatives consacrées au changement climatique et autres, les partisans de cette mesure signalent également que les TTF permettraient aussi de contrôler la volatilité des marchés financiers, par exemple en réduisant la spéculation à court terme et en décourageant les mouvements réalisés par les courtiers pour accroître leurs profits ou manipuler le marché.
À qui devrait s’appliquer cette taxe ? De quelle manière les recettes devraient-elles être dépensées ?
On constate un consensus croissant quant au financement que les TTF pourraient apporter au profit du développement. Cependant, les avis sont partagés lorsqu’il s’agit de définir sur quoi doit s’appliquer la taxe et ce qui doit être fait avec les recettes. Par exemple, certains partisans de cette mesure sont favorables à une taxe appliquée uniquement sur les opérations de change. La taxe Tobin, proposée en 1972, en est un exemple et continue de faire l’objet de débats aujourd’hui. D’autres, y compris ceux qui appuient la campagne Robin des Bois, estiment que les TTF devraient être appliquées à un éventail plus large de transactions financières et de classes d’actifs, dont l’achat et la vente d’actions, d’obligations, de produits de base, de fonds communs de placement et de leurs dérivés.
Le FMI, sans exclure de manière catégorique les propositions relatives à la taxe Tobin et à la taxe Robin des Bois, recommande une taxe bancaire initialement appliquée à l’ensemble des institutions financières à un taux forfaitaire et par la suite ajustée en conséquence afin de refléter le risque et les contributions des institutions individuelles au risque systémique. Cet organisme a également approuvé une « taxe sur les activités financières », une « taxe sur les profits et les primes considérés supérieurs à la norme dans le secteur financier ».(3)
Les recommandations du FMI visent à compenser les gouvernements pour les coûts encourus à l’occasion des mises sous tutelle des banques et à établir un fonds d’assurance pour les mises sous tutelle potentielles futures. De nombreuses organisations de la société civile, y compris les organisations des droits des femmes, signalent cependant que, bien que ce type de taxe soit important, celles-ci ne permettent pas de garantir des fonds consacrés au développement. Ces mêmes partisans affirment que beaucoup d’argent pourrait être tiré en taxant, au minimum, les opérations de change, et un éventail plus large de transactions financières pour obtenir encore plus de recettes. Par exemple, les experts calculent qu’une taxe sur les opérations de change de 0,005% pourrait recueillir plus de 33.000 millions de dollars par an.
Les TTF existent déjà et leur efficacité est avérée
Les taxes sur les transactions financières ne sont pas nouvelles puisqu’elles existent déjà de manière permanente ou temporaire dans plus de 40 pays. Par exemple, le Royaume-Uni applique un droit de timbre de 0,5% sur les opérations de bourse, qui rapporte plus de 3 200 millions de livres sterling par an. L’Argentine applique une taxe sur les débits et les crédits des comptes chèques(4), Taïwan applique une taxe généralisée sur les transactions de titres,(5) et la Turquie applique une taxe sur les transactions bancaires et d’assurance qui est calculée sur le revenu brut des compagnies financières, y compris les compagnies d’assurance(6).
Accroître la volonté politique, le soutien public et autres questions relatives aux TTF
Malgré l’absence de consensus sur un impôt unifié adopté à l’échelon international, de nombreux pays, y compris la France, l’Espagne, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Indonésie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, appuient une certaine forme de TTF(7). Le Fonds monétaire international (FMI), sans directement approuver une TTF, a signalé que cette mesure pourrait parfaitement être mise en œuvre.
La majorité des pays du G77 appuient une TTF en vue de recueillir des recettes pour le financement de leur propre développement. Cependant, de nombreux pays en développement ont également exprimé leurs réserves, et soulevé des questions telles que : 1) quel pourrait être l’impact des TTF pour les investisseurs, les entreprises et les banques des pays en développement ? 2) quelle pourrait être la variation de l’impact des TTF entre les économies de marché émergentes comme la Chine et l’Inde, et les pays à faibles revenus, y compris les paradis fiscaux des îles des Caraïbes ? et 3) existe t-il certaines transactions à éviter en matière de TTF, qui soient particulièrement sensibles pour les pays en développement, telles que les transferts d’argent en provenance de l’étranger ?
D’autres aspects suscitent également une certaine préoccupation, tels que la manière dont les recettes des TTF seront canalisées et distribuées aux pays en développement, si des conditions seront imposées et si le domaine bénéficiaire de financement sera déterminé par le biais d’un processus démocratique et participatif.
Néanmoins, d’après un rapport récent sollicité par le Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement, une taxe sur les opérations de change pourrait être applicable, des points de vue économique et technique.
Le Groupe de travail de haut niveau sur les transactions financières internationales pour le développement du Groupe pilote sur les contributions de solidarité en faveur du développement organise des débats décisifs sur les mécanismes de financement innovants, cependant l’ampleur de la participation dans ce domaine des groupes des droits des femmes et des défenseurs des droits des femmes et de l’égalité des sexes reste floue.
Les groupes des droits des femmes doivent poursuivre leur engagement et soulever des questions
De nombreuses organisations de la société civile, y compris les groupes de femmes, estiment que les TTF sont un impôt très nécessaire qui pourrait être mis en œuvre en vue de produire un financement permettant de soutenir le développement et les droits humains. Par exemple, le Forum ubuntu, ainsi que d’autres plateformes, appuient une taxe sur les opérations de change comme moyen de « contribuer de manière décisive à atténuer le manque de ressources » pour le développement. À l’occasion de la conférence des Nations Unies sur le financement du développement tenue à Doha en 2008, les organisations de la société civile ont également appuyé la mise en œuvre d’une TTF. Social Watch, AFRODAD et la Confédération syndicale internationale (CSI), pour n’en citer que quelques-unes, soutiennent également une TTF et ont appelé les gouvernements à prendre des mesures en vue de leur mise en œuvre. Comme souligné par le Secrétaire général de la CSI Sharan Burrow, « une taxe sur les transactions financières est une mesure non seulement pleine de bon sens économique, sinon également une question de justice et d’équité »(8).
Concernant plus spécifiquement les organisations des droits des femmes, les groupes de femmes ont eu une participation active aux débats élargis sur le financement du développement aux Nations Unies. Le Groupe de travail des femmes sur le financement du développement a appelé à la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières afin « d’aborder et de contrôler la spéculation financière » et d’assurer que « le secteur financier paie pour la crise qu’il a déclenchée »(9).
DAWN (Development Alternatives with Women for a New Era) fut l’un des premiers groupes de femmes à participer aux débats sur les TTF, et à aborder la question à l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur les femmes tenue à Beijing en 1995. Récemment, dans le cadre d’un panel de DAWN intitulé « Interventions féministes et opinions opposées en matière de financement du développement », Gita Sen a abordé les conséquences de la taxe Tobin pour les femmes.
(3) http://robinhoodtax.org.uk/debate/jargon-buster-a-z/
(5) http://www.ubuntu.upc.edu/index.php?pg=13&lg=eng
(8) http://www.ituc-csi.org/ituc-calls-for-un-summit-to.html?lang=en
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.