DOSSIER DU VENDREDI : Presque vingt ans après la Conférence mondiale sur les droits de l’homme tenue à Vienne en 1993, le Dialogue politique de Vienne intitulé « Promouvoir l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes : le rôle de la coopération en matière de développement », s’est tenu à Vienne, en Autriche, du 13 au 14 décembre 2012 [i].
Par Anne Schoenstein [ii]
Ce dialogue fut le premier d’une série de consultations qui s’inscrivent dans le cadre de la préparation du Forum pour la coopération en matière de développement 2014 (FCD) et visent à contribuer au programme de développement pour l’après 2015 des Nations Unies. Il a réuni des organisations internationales, des représentants et des experts de haut niveau de gouvernements nationaux et locaux, des organisations de femmes et d’autres organisations de la société civile (OSC) ainsi que le secteur privé. Son but était de mettre au point des recommandations concrètes en matière de politique visant à promouvoir l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes face aux changements survenus dans la coopération internationale aux fins du développement. L’AWID, ainsi que d’autres défenseures et organisations des droits des femmes, a participé à ce dialogue.
La nécessité d’aborder les causes sous-jacentes de l’inégalité des genres
Dans son discours d’ouverture, Mme Barbara Prammer, Présidente du Conseil national autrichien, a souligné que l’égalité des genres est depuis longtemps reconnue comme un droit humain et un objectif de développement fondamental, et qu’en conséquence, le programme de développement pour l’après 2015 doit non seulement aborder l’élimination des écarts, sinon également transformer les facteurs structurels qui sous-tendent les inégalités persistantes et répandues en matière de genre, la violence basée sur le genre, la discrimination et le développement inégal entre femmes et hommes.
Un grand nombre de défenseures et d’organisations des droits des femmes ont participé au dialogue. Wendy Harcourt, de l’Institut international d’études sociales (International Institute of Social Studies, ISS), a souligné dans son discours d’ouverture la nécessité d’aborder les problèmes sous-jacents qui sont à l’origine des inégalités et favorisent leur augmentation, de reconnaître que le monde a changé au cours des 15 dernières années, et d’assumer que l’ancien cadre des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) a échoué dans cette tâche. Elle a souligné que le patriarcat est bien vivant et qu’il est important de dénoncer énergiquement cette réalité dans les différentes arènes politique, économique, sociale et culturelle. D’autre part, avec l’arrivée de nouveaux intervenants sur la scène mondiale, elle ajoute qu’il est nécessaire de réfléchir à quoi ressemblerait un développement postcolonial décolonisé. Elle a soulevé des points très pertinents relatifs au fait qu’il existe de nouveaux types de citoyens politiques, en soulignant l’importance d’être à l’écoute et de respecter d’autres cultures et connaissances, et de ne pas imposer de modèles et de prescriptions prédéfinis. Elle a également insisté sur le fait que la pérennité doit être au cœur du programme de développement pour l’après 2015.
Les droits humains sont fondamentaux dans le programme de développement pour l’après 2015
Lydia Alpízar Durán et Mayra Moro-Coco, qui ont participé au dialogue en représentation de l’AWID, ont évoqué des aspects essentiels relatifs au programme de développement pour l’après 2015 ainsi qu’à la responsabilisation multiple et à la transparence en faveur de l’égalité des genres. Alpízar a déclaré qu’il était scandaleux que certains acteurs et pays s’opposent à l’inclusion des droits humains comme cadre fondamental orientant le programme pour l’après 2015. Les Nations Unies, et en conséquence le FCD, en disposant d’un cadre normatif des droits humains, ont un rôle décisif à jouer dans la direction de ce processus et doivent donc appuyer l’adoption d’un cadre des droits humains comme base du programme, au même titre que la justice sociale et la pérennité de l’environnement.
Certains objectifs ont été clairement établis et approuvés par les États membres des Nations Unies et sont inclus dans la CEDAW et d’autres accords internationaux relatifs aux droits humains et documents finaux des grandes conférences des Nations Unies, telles que celles du Caire, de Vienne et de Beijing, pour n’en citer que quelques-unes. Les États membres des Nations Unies et d’autres acteurs doivent réaffirmer leur engagement vis-à-vis de la réalisation de ces objectifs et passer de la rhétorique à l’action. Pour ce faire, nous avons besoin d’accords sur la manière d’accélérer cette réalisation, avec des buts et des ressources clairement établis.
Le processus de mise au point du programme de développement pour l’après 2015 des Nations Unies nous donne l’occasion de redéfinir le développement et d’aborder de manière sérieuse les questions structurelles ignorées dans la plupart des interventions des gouvernements pour faire face à la crise financière et à la récession économique. Il s’agit donc d’assurer que la coopération aux fins du développement permette réellement d’avancer en matière de droits des femmes. En premier lieu, la dimension macroéconomique doit être redéfinie, par le biais de la réforme des réglementations et des institutions économiques et financières mondiales afin de s’ajuster aux droits humains. En deuxième lieu, la prise en compte de la pérennité implique un nouvel ensemble de droits (les droits des générations futures et les droits de notre planète) et la cohérence entre le processus de l’après 2015 et les Objectifs de développement durable (ODD) est fondamentale. En troisième lieu, la cohérence des politiques pour le développement doit être au cœur du cadre post OMD. En quatrième lieu, de nouvelles modalités pour définir et mesurer le développement tenant compte de l’économie des soins et du travail non rémunéré sont nécessaires. Enfin, il est indispensable d’aller au-delà de l’intégration de la dimension de genre pour pouvoir avancer dans le domaine des droits des femmes. Cela signifie que l’égalité des genres et les droits des femmes doivent être au cœur de chaque objectif et résultat, et que le travail spécifique en matière de droits des femmes doit être poursuivi. Nous avons besoin d’accords spécifiques allant au-delà du cliché « il convient d’intégrer la dimension de genre » ainsi que d’un cadre de responsabilisation clair afin de pouvoir faire un suivi de la mise en œuvre du document final et que l’ensemble des acteurs pertinents soit tenu de rendre des comptes. Il s’agit d’un aspect essentiel pour que le programme de développement réponde réellement aux besoins des femmes et permette de promouvoir les droits des femmes et l’égalité des genres.
D’après Moro-Coco, maintenant que la fin des OMD approche, que nous engageons des négociations sur les ODD et que nous examinons les processus dits + 20 en vue de définir le programme de développement pour l’après 2015, il devient fondamental d’accroître la cohérence des politiques pour le développement, de mettre en adéquation les ressources avec la rhétorique et d’adapter l’aide et d’autres engagements en matière de ressources financières avec les droits humains des femmes. Il convient de noter qu’il n’existe pas encore un outil permettant d’appréhender de manière exhaustive la performance et la responsabilisation des donateurs en ce qui concerne le financement aux fins de l’égalité des genres et des droits des femmes. Les efforts se centrent essentiellement sur les soi-disant « pays partenaires ». La transparence est une dimension cruciale de la prise en charge démocratique et de la responsabilisation et assure la pleine participation des OSC aux dialogues politiques et stratégiques. Il est en conséquence déterminant que l’ensemble des partenaires du développement, y compris le secteur privé, adopte des politiques de divulgation systématique et totale des informations pertinentes et se soumette aux normes et orientations à suivre des Nations Unies, y compris aux accords sur les droits humains. Nous avons besoin d’une approche de responsabilisation multiple reconnaissant pleinement l’éventail des acteurs de la coopération pour le développement et les dynamiques de pouvoir qui caractérisent l’interaction à différents niveaux.
Leçons apprises et recommandations
John Hendra, d’ONU Femmes, a identifié quatre conditions clés en matière d’égalité des genres et de coopération pour le développement, à savoir : la volonté politique et la mise en œuvre ; des systèmes solides aux échelons national et international ; le renforcement et le partage des connaissances, et ; des OSC passionnées. L’un des sujets abordés fut la manière dont les acteurs du développement pourraient utiliser de façon plus stratégique les mécanismes de responsabilisation disponibles en matière de droits humains, tels que la CEDAW ou les comités des droits économiques, sociaux et culturels, dans le cadre de transparence et responsabilisation pour la coopération aux fins du développement.
Andrea Cornwall, de l’Université du Sussex, a souligné dans ses prises de position que la budgétisation selon le genre est un moyen basé sur les droits important pour que les citoyens exigent des comptes aux gouvernements sur ce qu’ils se sont engagés à faire. Cependant, elle a également été claire en signalant qu’améliorer la condition de la femme en tant qu’individu au sein d’une société patriarcale où règnent l’injustice et l’inégalité ne saurait suffire. Les budgets peuvent jouer un rôle dans la transformation, mais cela dépend en grande mesure de la manière dont cet outil est utilisé. Si cette transformation s’appuie sur une perspective de genre transformative (et non pas sur une perspective instrumentaliste dans laquelle les femmes se retrouvent à travailler encore plus dur pour le développement, sans recevoir grand chose en retour du développement et sans loisirs ou plaisirs en perspective), celle-ci sera alors en mesure d’être transformative.
Dans sa déclaration finale, Irene Dubel, de l’organisation HIVOS, a rappelé une nécessité évoquée dans plusieurs interventions lors de ce dialogue, à savoir la nécessité de s’appuyer sur les hauts-faits historiques : la Déclaration universelle des droits de l’homme, la CEDAW, Vienne, le Programme d’action du Caire, le Programme d’action de Beijing, la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes lors des conflits, les Conventions de l’OIT [iii] et les instruments des rapporteurs spéciaux ainsi que les Examens périodiques universels. Les droits humains pour tous doivent être au cœur du futur programme de développement : non pas comme objectif, non pas comme une variable à intégrer à d’autres indicateurs ici et là, sinon dans la totalité des domaines du développement durable.
L’une des principales recommandations durant le dialogue fut l’organisation d’un colloque de haut niveau sur l’égalité des genres, les droits des femmes et l’autonomisation des femmes dans la coopération pour le développement, avant le FCD de 2014, afin d’assurer la poursuite du débat avec des délégués de haut niveau, des ministres et d’autres décideurs, des défenseur-e-s des droits des femmes et des représentant-e-s des OSC. Il a également été recommandé d’organiser un dialogue sur les formes de responsabilisation à différents niveaux dans le cadre du développement, en considérant le cadre des droits humains comme outil de responsabilisation du programme de développement, y compris son financement.
Cette réunion, ainsi que les débats précédents sur l’égalité des genres au FCD, apporte une base précieuse qui sert de point de départ pour la préparation du Forum pour la coopération en matière de développement 2014 (FCD) en vue de surmonter la situation évoquée par M. Wu Hongbo, Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, dans ses remarques d’ouverture, qui est que trop souvent, les débats sur les femmes et le développement se tiennent en silo.
Pour informations supplémentaires :
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Le résumé officiel du dialogue sera prochainement disponible en cliquant ici ; les documents de fond officiels et certaines des déclarations, des présentations ainsi que le message vidéo de la Directrice exécutive d’ONU Femmes, Michelle Bachelet, sont actuellement disponibles.
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Le lancement du deuxième Rapport sur la coopération internationale pour le développement est prévu pour mars et devrait alors être disponibles en ligne. Trois colloques de haut niveau sont prévus dans le cadre de la préparation du Forum pour la coopération en matière de développement 2014, ainsi que des réunions techniques, des études, etc.
Pour plus d’informations, lisez les deux Dossiers du Vendredi de l’AWID consacrés au FCD :
Consultez également le résumé du Colloque de haut niveau Helsinki tenu en 2010.
Prochainement : la publication de l’AWID Primer 12 sera consacrée au FCD. Restez en contact !
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[i] Le dialogue a été organisé par le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (DAES), en partenariat avec ONU Femmes et le gouvernement autrichien.
[ii] L’auteure remercie Mayra Moro-Coco et Lydia Alpízar pour leurs contributions à cet article et pour avoir partagé leurs impressions sur le dialogue.
[iii] Organisation internationale du travail.