DOSSIER DU VENDREDI : Les chiffres publiés récemment par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) révèlent que, malgré des progrès par rapport à l’année 2009, les pays donneurs sont encore loin de respecter leurs engagements sur le montant de l’aide apportée. Les organisations de femmes se mobilisent pour réaliser des changements profonds dans le système actuel et pouvoir ainsi mieux répondre à la nécessité de développement et garantir le respect des droits des femmes.
Par Ana Ines Abelenda et Anne Schoenstein
Les chiffres de l’OCDE révèlent qu’en 2010, l’Aide publique au développement (APD) des membres du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE atteignait à peine 0,32% de l’ensemble de leur revenu national brut (RNB). Ceci représente moins de la moitié du 0,7 % de leur RNB, montant qu’ils s’étaient engagés à investir dans l’APD il y a 40 ans. D’après une déclaration de BetterAid, plate-forme de plus de mille organisations de la société civile (OSC), si ces engagements étaient respectés, 282 milliards de dollars auraient été mis au service de la lutte contre la pauvreté et du développement durable.
L’un des fondements de l’efficacité de l’aide apportée est sa prévisibilité ; cela signifie que les planificateurs du développement doivent être certains que les engagements seront effectivement tenus. à l’approche du 4ème Forum de haut niveau qui se tiendra à Busan, en Corée du Sud (HLF-4) du 29 novembre au 1
Il est impératif que les mouvements de femmes, les plateformes de la société civile et des droits de l’homme, et les défenseur-e-s de l’égalité de genre marquent leur présence, collaborent entre eux et intègrent l’égalité de genre et les droits des femmes dans le processus de la route à Busan, le FHN-4 lui-même et à tout ce qui en découlera.
Pourquoi les partisans des droits des femmes et de l’égalité de genre devraient-ils participer ou accroître leur engagement?
Bien que le Programme d’Action d’Accra marque d’importants progrès sur le papier en termes d’égalité des sexes et des droits humains, beaucoup reste à faire en ce qui concerne la mise en pratique et le suivi des engagements. Ceci indique aussi l’importance des indicateurs sensibles au genre et spécifiques pour chaque genre, par rapport aux résultats de l’efficacité du développement.
Le problème des plans de développement national est que, souvent, ils ne se font pas l’expression des droits des femmes et de l’égalité des sexes. L’alignement sur les priorités des pays[2] est bien sûr souhaitable, mais il peut avoir un impact négatif sur la vie des femmes et freiner le respect des engagements de développement dans des contextes politiques caractérisés par l’inégalité entre les sexes et la violation des droits humains. Si les priorités des pays en développement sont essentielles, les plans de développement devraient s’aligner sur les accords nationaux et internationaux sur les droits humains et l’égalité des sexes (y compris le Programme d’action de Beijing et la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW)). Les donneurs devraient éviter d’appliquer, implicitement ou explicitement, des conditions de politique ou une aide liée.
L’appropriation démocratique suppose que les opinions et préoccupations des hommes et des femmes sont un des éléments clés des plans et processus du développement national. Les OSC contribuent largement à la réduction de la pauvreté et des inégalités sociales, y compris l’inégalité de genre. Pour maintenir leur rôle stratégique, les organisations de femmes doivent participer à des débats sur la coopération pour le développement, de façon à ce que des fonds prévisibles, à long terme, et d’origines diverses soient disponibles pour le travail en faveur des droits des femmes. Ceci assure aussi que leur expérience et leurs connaissances feront partie intégrante des débats et des prises de décisions.
Entre 1 500 et 2 000 délégués d’organisations de développement, parmi lesquels environ 300 représentants d’OSC, devraient assister au forum FHN-4 de Busan. Il y a là des occasions de mettre au point un cadre de coopération pour le développement légitime et multipartite, et de poser le problème du déséquilibre dans les relations entre donneurs et « récipiendaires » qui continue à saper, entre autres choses, l’appropriation démocratique et le droit au développement. Il est urgent que les groupes de droits des femmes et autres OSC soient entendus et pris en compte, et l’histoire a montré que ceci est beaucoup plus facile collectivement sous forme d’alliances.
En quoi « l’efficacité du développement » diffère-t-elle de « l’efficacité de l’aide » ?[3]
Selon la Déclaration de Paris, l’efficacité de l’aide se réfère à la façon dont l’aide est apportée et à ses bénéficiaires. Cette notion se réfère également à la relation entre donneurs et bénéficiaires. L’efficacité du développement, par contre, est un concept beaucoup plus vaste sur lequel le débat est toujours ouvert. Du point de vue des OSC, il inclut l’impact des actions des acteurs du développement sur la vie des citoyens ; il couvre aussi l’examen des causes profondes et des symptômes de la pauvreté, de l’inégalité, de la marginalisation et de l’injustice. Les OSC, y compris les organisations de femmes, marquent un changement dans leur discours et tendent à remplacer la notion d’ « efficacité de l’aide » par celle d’une efficacité du développement et de la coopération au développement basée sur le respect des droits humains.
Il est urgent de dépasser le processus mécanique de la discussion politique sur la manière d’accorder et de répartir des ressources qui auront un impact réel sur la vie de tous les citoyens, hommes et femmes. Pour les OSC qui remettent en cause les méthodes définies par la Déclaration de Paris et le Forum d’Accra[4], il ne peut exister d’aide efficace sans développement efficace. Cela signifie que l’égalité des sexes, les droits de l’homme, la justice sociale et la durabilité de l’environnement doivent être reconnus comme des éléments cruciaux pour l’efficacité du développement et en tant que tels, comme coopération au développement.
Comment les OSC, en particulier les organisations de femmes, influencent-elles les espaces de coopération au développement ?[5]
Il existe plusieurs espaces dans lesquels la coopération au développement et les politiques de développement sont discutés, ce qui permet différents niveaux de participation pour les organisations de la société civile (OSC). Le G20 (Groupe des vingt), par exemple, est un forum qui n’est pas ouvert pour la participation des OSC et, de par sa nature même, n’est pas en mesure de prendre des décisions ayant un impact sur la vie des populations dans le monde. Le Groupe de travail sur l’efficacité de l’aide de l’OECD-CAD – l’entité responsable du contrôle de l’application de la Déclaration de Paris et l’AAA qui fournira son rapport au FHN-4 – a accordé le statut de membre aux OSC par le biais de la plate-forme BetterAid à l’issue du 3
En contraste avec le processus d’efficacité de l’aide mis en œuvre sous la houlette de l’OECD, le Forum pour la coopération en matière de développement des Nations Unies (FCD NU) est un forum biennal au sein du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC). Il soutient et stimule la mise en œuvre des objectifs de développement concertés à l’échelon international, y compris les objectifs du Millénaire pour le développement, en favorisant le dialogue. Le caractère multipartite du FCD, l’accent qu’il met sur le dialogue et sa représentation à part égale des pays développés et en développement en fait un espace unique.[6] La Plaquette de l’AWID sur « The Road to Korea » (la Route vers la Corée) souligne que « les OSC voient dans le FCD une opportunité pour établir une architecture multilatérale équitable pour déterminer les politiques et les priorités pour les donneurs et les gouvernements des pays en développement, bien qu’il faille revoir les mécanismes d’une participation ouverte et significative, en particulier pour ce qui concerne la participation des OSC, y compris des organisations des droits des femmes ».
Le Women's Working Group on Financing for Development (WWG on FfD) (Groupe de travail des femmes pour le financement du développement (GTF pour le FD)), une alliance composée principalement d’organisations de femmes et de réseaux en faveur des progrès dans l’égalité de genre, du pouvoir des femmes et des droits de l’homme, a participé activement au FCD, de même que BetterAid, qui voit le FCD comme un espace de grande importance et y participe.
La route vers le FHN-3 de 2008 a marqué le début d’une série d’entretiens entre organisations de femmes de différentes régions et le renforcement des alliances entre OSC, ce qui a eu comme conséquence certaines avancées en termes d’égalité de genre. Cependant, les progrès dans le langage ont pâti de l’absence de nouvelles cibles ou d’engagements temporels permettant de mesurer les effets de ces actions. Quelques secteurs clés, tels que le travail décent, les conditionnalités des politiques, l’aide liée, la responsabilité mutuelle et la réforme du système de gouvernance ont été laissés de côté ou peu mis en valeur[7]. Par conséquent, le travail de plaidoyer des groupes se consacrant aux droits des femmes et autres OSC devra continuer dans la même direction au cours du FHN-4 de Busan.
Beaucoup d’OSC ont rejoint[8] la plate-forme BetterAid gérée par le Groupe de coordination de BetterAid (GCBA) dont le but final est de contrôler et d’orienter les accords pour l’efficacité de l’aide internationale tels que la Déclaration de Paris et l’AAA (en mettant l’accent sur les thèmes liés à l’appropriation démocratique). Elle vise aussi à élargir les programmes établis par l’AAA pour y inclure l’efficacité du développement, ainsi qu’une réforme substantielle de l’architecture de l’aide internationale. BetterAid, en coopération avec Open Forum, a mis en place des messages et propositions clés des OSC sur la route de Busan.
Des groupes de femmes[9] du GCBA s’appliquent également à fortifier la position de genre et encouragent une participation plus active des défenseur/es des droits des femmes dans les régions. Récemment, au cours d’une rencontre de stratégie internationale à New York[10] regroupant environ 20 organisations de femmes de différentes régions, des défenseurs de l’égalité des sexes et des droits de l’homme, ont partagé des informations sur le processus et souligné les éléments en jeu pour les droits des femmes. Les participantes ont établi des stratégies pour faire avancer la perspective de l’égalité des sexes et des droits de la femme dans des débats sur la coopération pour le développement, et défini leurs objectifs pour le FHN-4 de Busan et ce qui suivra.
Sur la base de cette réunion, les groupes de femmes du GCBA organiseront une Consultation internationale sur la coopération pour le développement, les droits de femmes et l’égalité de genre: « De nouveau sur la route : visions féministes et stratégies pour Busan et au-delà », 9 – 10 Juin 2011, Bruxelles, Belgique, hébergée par WIDE.
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.
[1]Le terme de « coopération pour le développement » s’emploie parfois indifféremment c comme « aide » ou « assistance au développement », mais il inclut plus que le transfert de ressources de l’AOD. Par exemple, BetterAid utilise « coopération au développement » pour désigner toute une série de relations internationales entre des gouvernements ou des personnes pour atteindre les Objectifs de Développement pour le Millénaire dans les pays en développement.
[2] Le principe « d’alignement » dans la Déclaration de Paris se réfère à l’engagement des donneurs à apporter leur aide générale aux stratégies, institutions et procédures pour le développement national des pays bénéficiaires.
[3] Plus d’informations et d’opinions dans « La coopération au développement au-delà du paradigme de l’efficacité de l’aide : perspective des droits des femmes », (AWID, 2011, p.12). Disponible sur la page : www.awid.org/Development-Cooperation-Beyond-the-Aid-Effectiveness-Paradigm-A-women-s-rights-perspective
[4] Ibid.3
[5] Pour plus d’information sur les acteurs clés de la « Route vers Busan, Corée », voir le texte 9 de la série de Coopération au Développement et Droits des Femmes : « The Road to Korea 2011: Key official and civil society actors »
[6] Voir le dossier du vendredi « Le Forum Pour La Coopération En Matière De Développement Est Prometteur Pour Les Défenseurs Des Droits Des Femmes », du 4 août 2010
[7] Voir le texte 8: « The Accra Agenda for Action: A brief review from a women’s rights perspective » et BetterAid: « “An assessment of the Accra Agenda for Action from a civil society perspective »
[8] Seules les organisations de la société civile peuvent être membres de BetterAid, par le lien http://betteraid.org/en/about-us/join-betteraid/registers.html
[9]Le Réseau du développement et de la communication des femmes africaines (FEMNET), Le Forum Asie-Pacifique sur les femmes, le droit et le développement (APWLD), l’Association pour les droits de la femme et le développement (AWID), WIDE Network, Coordinatrice de la femme/Bolivie.
[10] L’assemblée s’est tenue les 26 et 27 février 2011, et a été co-organisée en coopération par AWID, FEMNET et WIDE avec l’appui d’ONU Femmes.