DOSSIER DU VENDREDI – Les femmes défenseures des droits humains (défenseures) travaillent dans des conditions précaires et mettent souvent leur vie en danger pour défendre et protéger les droits économiques, sociaux et culturels des femmes dans le monde.
Par Katherine Ronderos
Le 13 juin 2012, Yolanda Oquelí, une défenseure travaillant pour Frente Norte del Área Metropolitana – organisation qui proteste contre l’impact du projet minier El Tambor, jugé négatif sur l’économie et la santé de la communauté – a été blessée par balle tandis qu'elle rentrait chez elle en voiture après une manifestation devant le site minier, dans les communes deSan José del Golfo et San Pedro Ayampuc, au Guatemala.
Au Cambodge, des femmes qui défendaient le droit à la terre et au logement, Yorm Bopha et Tim Sakmony, ont été arrêtées début septembre 2012 pour des chefs d’accusation douteux. Fin décembre 2012, elles ont été jugées séparément, déclarées coupables et condamnées sur la foi d’accusations infondées. Il semblerait que les défenseures soient la cible des autorités cambodgiennes qui se servent d’accusations apparemment forgées de toutes pièces pour intimider les défenseur-e-s des droits humains et les militant-e-s sociaux au Cambodge.
Le 9 octobre 2012, tandis qu'elle se trouvait à bord d’un car scolaire, Malala Yousafzai, une défenseure du droit à l'éducation des filles au Pakistan âgée de 14 ans a été atteinte à la tête d’une balle. L’attaque a été revendiquée par des membres du Tehreek-e-Taliban Pakistan. Une vague d'attaques ciblées perpétrées par les talibans et d'autres groupes a coûté la vie à Farida Afridi et à Zarteef Afridi qui œuvraient également pour la promotion de l'éducation des femmes et des filles au Pakistan.
Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux cas de défenseures confrontées à de graves menaces et violences pour faire avancer et défendre certains droits essentiels pour une vie libre et digne. Dans le monde entier, les défenseures sont désormais plus visibles et participent activement à différents mouvements, manifestations et organisations de la société civile de défense des droits économiques, sociaux et culturels, tels que le travail, la santé, l'éducation, l'alimentation, l'eau, les installations sanitaires, le logement, la terre, la sécurité sociale, l’environnement et la culture, parmi d’autres.
Défendre les droits économiques, sociaux et culturels des femmes
Les droits économiques, sociaux et culturels sont des vecteurs d'autonomie et de changement, car ils donnent aux femmes l'autonomie et l'indépendance économique dont elles ont besoin au cours de leur vie pour jouir d'autres droits, dont les droits civils et politiques. La garantie de ces droits permet notamment de mettre en question les rôles stéréotypés, les caractéristiques et les capacités imputées aux femmes et aux hommes pour déterminer les activités que les uns et les autres sont autorisés à réaliser dans une société donnée.
Autrefois vue comme un élément marginal des problématiques des droits humains, l'indivisibilité des droits humains des femmes (civils, politiques, économiques, sociaux et culturels) est de plus en plus reconnue. Des problématiques telles que la violence à l’égard des défenseures, le non-respect de l’égalité des droits à la propriété et à l'héritage, la discrimination envers les femmes et les filles dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'emploi et de la participation politique, le non-respect des droits reproductifs et sexuels des femmes, les expulsions forcées qu’elles subissent, l'impact de l'épidémie de VIH et de sida, ou encore l'accès limité des femmes à l'eau et à la sécurité alimentaire sont des éléments intrinsèquement liés. Les droits économiques, sociaux et culturels doivent impérativement être respectés dans le quotidien des femmes. Leur violation et les violences subies par les défenseures lorsqu'elles défendent ces droits sont propres à leur genre et réaffirment le statut inégal des femmes au sein de leur famille, de leur communauté et de la société.
D'après la définition de la Coalition internationale des femmes défenseures des droits humains, les défenseures font face à des risques liés à leur identité et à leur activité. Le rapport mondial sur la situation des femmes défenseures des droits humains examine l'impact de la mondialisation sur les droits économiques, sociaux et culturels et la vulnérabilité croissante des défenseures face à la violence qui en découle. Le rapport souligne notamment que l’augmentation constante du pouvoir et de l'influence exercés par le secteur privé, avalisé par les Etats aux fins de profits économiques, pose un grand nombre de difficultés aux défenseures »[1].
Le rapport mondial souligne que « les politiques économiques dans le cadre de la mondialisation ont encouragé une production intensive dans certains pays où les femmes sont insuffisamment protégées, mal rémunérées et vues comme une force de travail bon marché, formant ledit ‘avantage économique’ » [2] d'un pays. Aux Philippines, par exemple, la marginalisation dont souffrent les défenseures autochtones dans la défense de leurs terres ancestrales et les violences perpétrées à leur égard dans le cadre de la mise sur pied de mégaprojets miniers est exacerbée lorsqu'elle s'accompagne de l’incapacité des démocraties à amener les acteurs économiques à répondre de leurs actes. Les défenseures s’attaquent de plus en plus à certaines problématiques du travail, telles que le droit des travailleuses à une rémunération juste et égale à celle des hommes, le droit de se syndiquer et le droit à de meilleures conditions de travail.[3]
Mécanismes internationaux de garantie des droits économiques, sociaux et culturels
Le système international des droits de l'homme fixe un cadre commun de valeurs universelles, de normes et de jurisprudence pour que les Etats et un nombre croissant d’acteurs non étatiques soient redevables des violations commises et pour mobiliser des efforts collectifs de promotion de la justice économique et sociale, la participation politique et l'égalité. Les droits économiques, sociaux et culturels sont entérinés dans les traités internationaux au niveau mondial et régional. La Déclaration universelle des droits de l'homme reconnaît l'interdépendance et l'indivisibilité de tous les droits humains : une vision qui garantit la liberté civile et politique des peuples ainsi que leur bien-être économique et social.
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) est le premier instrument, au sein des Nations Unies, à protéger les droits économiques, sociaux et culturels. Le PIDESC impose des obligations juridiquement contraignantes aux Etats qui l'ont ratifié ou signé. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels fait un suivi de l'application du PIDESC et veille à ce que les normes soient respectées. Le Protocole facultatif se rapportant au PIDESC établit quant à lui un mécanisme pour traiter des plaintes individuelles ou collectives, ce qui permet aux victimes de violations des droits économiques, sociaux et culturels de réclamer justice au sein des Nations unies.
Reconnaissance croissante des défenseures, de leur rôle et de leur besoin de protection
La violence et l'intimidation croissantes dont souffrent les défenseures actuellement prouvent l’importance du rôle joué par ces femmes dans la défense, la protection et la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels des femmes. Les avancées enregistrées dans les enceintes clés du système onusien donnent un message clair : ces femmes doivent être soutenues et protégées.
Cette année, la 57ème session de la Commission sur la condition de la femme (CSW 57) a permis un grand pas : les défenseures ont pour la première fois été formellement reconnues dans les conclusions concertées, où il est notamment demandé aux Etats de « soutenir et protéger les personnes engagées pour l’éradication de la violence à l’égard les femmes, notamment les femmes défenseures des droits humains qui sont particulièrement exposées à des risques de violence ». La Coalition internationale des femmes défenseures des droits humains, a souligné que cette « reconnaissance est cruciale, car les défenseures sont ciblées en raison de leur activisme et de leur sexe ». Les défenseures militent pour un ensemble de problématiques liées aux droits humains, dont les droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux. Elles sont un apport essentiel aux droits humains dans le monde »[4]. Néanmoins, malheureusement, les conclusions ne contraignent pas les Etats à faire en sorte que les défenseures puissent travailler à la défense des droits humains sans craindre les représailles, la coercition, l'intimidation et autres attaques de ce type.
Lors de sa dernière session (22ème), le Conseil des droits de l'homme des Nations unies a adopté au consensus une résolution historique pour protéger les femmes défenseures des droits humains, soulignant que l'utilisation et les abus des lois nationales pour altérer, restreindre et criminaliser le travail des défenseur-e-s des droits humains sont des violations de la loi internationale auxquelles il faut mettre fin. Surtout, la résolution appelle les Etats à soutenir le travail des défenseur-e-s des droits humains et à les protéger du harcèlement, des menaces et des attaques.
Bien que ces engagements récents des Nations Unies soient essentiels pour sensibiliser la population sur les violences spécifiques subies par les défenseures et qu'il s'agisse d’un pas important vers une reconnaissance du travail des défenseures et des risques qu’elles encourent, il reste beaucoup à faire pour concrétiser ces engagements en actions et mettre en œuvre des mesures de protection concrètes pour garantir un environnement de travail sûr aux défenseures, à l’abri de persécutions, poursuites en justice, stigmatisations, menaces de mort, assassinats et violences sexuelles.
Ressources utiles :
Anglais : A primer on women’s economic and cultural rights
[1] Kaavya Asoka, « Global Report on the Situation of Women Human Rights Defenders », Coalition internationale des femmes défenseures des droits humains, janvier 2012
[2] Kaavya Asoka, « Global Report on the Situation of Women Human Rights Defenders », Coalition internationale des femmes défenseures des droits humains, janvier 2012
[3] En 2012, 4.191 cas en lien à des violations des droits du travail – femmes licenciées sans être rémunérées, victimes de mauvais traitements ou percevant des salaires inégaux, entre autres plaintes – ont été accueillis et résolus par l'organisation des femmes du Nicaragua Mouvement Maria Elena Cuadra de défense des femmes travailleuses et au chômage (MEC).
[4] http://www.defendingwomen-defendingrights.org/whrd_are_given_official_recognition.php