Agrupación Ciudadana por la Despenalización del Aborto terapéutico ético y eugenésico.
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Le Salvador: La grâce accordée à Guadalupe est une victoire, mais il reste encore un long chemin à parcourir

DOSSIER DU VENDREDI: Le 18 février, Guadalupe Vázquez, l’une des 17 femmes de l’affaire des “17” condamnées pour s’être prétendument faites avortées, est sortie de prison après avoir été graciée par l’Assemblée législative du Salvador.

Par Gabby De Cicco

L’AWID s’est entretenue avec Morena Herrera, Présidente de Agrupación Ciudadana para la despenalización del aborto (Regroupement citoyen pour la dépénalisation de l’avortement) sur l’importance de cette grâce et la marche à suivre en vue de la libération des femmes qui demeurent incarcérées.

Sur les 30 années de prison auxquelles elle avait été condamnée suite à des complications de grossesse qui causèrent la mort de son enfant, Guadalupe Vázquez en purgea sept. La République du Salvador fait partie des sept pays[1]d’Amérique latine et des Caraïbes dotés de législation interdisant toutes les formes d’avortement.

Avant 1998, l’avortement était permis dans trois cas de figure : lorsque la grossesse mettait la vie de la femme en danger, quand la grossesse de la femme était le fruit d’une violence sexuelle ou lorsque la femme était enceinte d’un produit porteur d’anomalies incompatibles avec la vie extra-utérine. Mais en 1997[2], les Accords de paix instaurèrent un nouveau Code pénal, dont le chapitre II (“Des délits relatifs à la vie de l’être humain en formation”) pénalise de manière absolue l’avortement. Deux ans plus tard, des modifications sont apportées à la Constitution nationale, et suite au plaidoyer porté par les dirigeants de l’Église catholique et quelques groupes évangélistes, l’article 1 reconnaît l’embryon comme un être humain dès l’instant de sa conception. Sur le plan juridique, la réforme constitutionnelle a été interprétée comme un verrou visant à empêcher la réforme du Code Pénal. Si le Code Pénal était réformé, il entrerait en contradiction avec la Constitution.

Agrupación Ciudadana para la despenalización del aborto a recensé au moins 17 femmes dont l’incarcération actuelle est imputable aux réformes juridiques qui ont été menées au Salvador, et dont certaines d’entre elles sont condamnées jusqu’à 40 ans de prison à cause de complications obstétriques. Sara García avait mentionné à l’AWID en septembre dernier, “nous avons pu trouver un profil commun à ces 17 femmes. Tout d’abord, elles étaient toutes des femmes jeunes, elles ont toutes été dénoncées par les hôpitaux publics et certaines ignoraient parfois même qu’elles étaient enceintes.” Le 1er avril 2014 marqua le début de la campagne pour “les 17”, avec l’organisation d’une marche partant de la prison de femmes en direction de l’Assemblée législative, où Agrupación Ciudadana para la despenalización del aborto remit les 17 demandes de grâce.

AWID: Pourriez-vous nous parler du contexte dans lequel les incarcérations des 17 ont eu lieu?

Morena Herrera (MH): Peu de temps avant la réforme du Code Pénal, certaines tranches politiques conservatrices ont orchestré une persécution contre les cliniques privées pratiquant des avortements pour la plupart thérapeutiques, qui étaient des services payants. Celle-ci entraîna la fermeture des cliniques et poussa la pratique à une plus grande clandestinité, qui devint alors plus onéreuse, moins accessible aux femmes et plus dangereuse pour leur santé.

Les modifications législatives et la fermeture de ces cliniques encouragèrent la naissance d’une culture d’incrimination à l’égard des femmes, qui se répandit avant tout à partir de l’enquête réalisée par le ministère public dans les centres de santé publique, c’est-à-dire ceux où vont les gens qui n’ont pas les moyens de payer une assurance maladie privée. Ils ont menacé les hommes et femmes médecins en leur disant que s’ils refusaient de dénoncer, ils couraient alors le risque d’être dénoncé-e-s à leur tour pour ces infractions pénales qu’ils et elles couvraient. L’intimidation fut efficace, et l’on commença à emprisonner les femmes pour avortement.

Les femmes qui arrivaient dans les hôpitaux en présentant des signes manifestes de fausses couches ou d’accouchements prématurés extrahospitaliers étaient immédiatement accusées d’avortement et arrêtées dans les salles d’urgence mêmes. Les condamnations pour avortement s’élèvent à 4 ou 8 années de prison ; mais une fois entamée la procédure juridique, ils modifiaient le type d’infraction établie pour les accuser non plus d’avortement sinon d’“homicide aggravé par une personne ayant un lien de parenté”, que le Salvador condamne de 30 à 50 années de prison, quand bien même les causes de la mort du fœtus ne peuvent être établies.

AWID: Quelle démarche avez-vous suivi pour obtenir l’accord de la demande de grâce de Guadalupe?

MH: La pression sociale, tant nationale qu’internationale, qui a accompagné notre campagne était énorme ; des universitaires états-uniens ont réalisé des études analysant les dossiers de chacune des “17” qui prouvent qu’aucune d’entre elles n’aurait dû être emprisonnée, dans la mesure où les preuves présentées visant à les condamner ne possédaient pas la cohérence propre à une expertise légale susceptible d’entraîner une condamnation à 30 ou 40 années de prison. Toute cette pression les a finalement acculés à réagir, pour le moins dans le cas de Guadalupe.

La Cour suprême de justice a prétendu que la grâce n’avait pas uniquement été accordée pour des raisons de taille telles que la justice et l’équité, mais aussi pour des raisons d’ordre juridique telles que, par exemple, le non-respect du principe selon lequel toute personne est innocente jusqu’à preuve du contraire, et qu’en cas de doutes fondés, la personne devait bénéficier de la décision la plus favorable à son encontre. Pour moi, la grâce lui a été accordée parce que son cas est l’un des cas d’erreur judiciaire les plus évidents, comme le reconnaît d’ailleurs elle-même la Cour[3].

Nous pensons que ce qui vaut pour le cas de Guadalupe vaut pour le reste des cas, mais nous imaginons que les réactions des groupes fondamentalistes à l’annonce de la grâce accordée à Guadalupe ont été tellement féroces ici que les juges ont décidé de n’approuver aucune des 15 autres demandes[4].

AWID: En quoi la grâce qui vient d’être accordée est-elle si importante?

MH: c’est la première fois que la grâce est accordée à une femme depuis la création de la “Loi spéciale sur les demandes de grâce” en 1998. Le Salvador n’accorde en général que peu de demandes de grâce, mais ces dernières n’avaient jusqu’alors été accordées que pour des hommes, jamais pour une femme.

Ensuite, c’est la première grâce dans le contexte de laquelle il est clairement reconnu que l’incarcération de Guadalupe était absolument infondée, c’est-à-dire qu’il a été reconnu que le système judiciaire n’est pas infaillible. Il faut encore attendre de voir sur quelles raisons se basera le refus de grâce des autres cas, alors que nous pensons que les raisons invoquées pour le cas de Guadalupe devraient pouvoir s’appliquer à toutes les autres.

AWID: Qu’allez-vous faire face à cette nouvelle situation de non-grâce pour les 15 autres femmes?

MH: La libération de Guadalupe et le refus d’octroyer la grâce aux 15 autres femmes marquent la fin d’une étape de notre travail. Nous nous sommes engagées vis-à-vis de ces 15 femmes plus cinq autres que nous défendons. Nous allons suivre différentes stratégies. Dernièrement, certains magistrats et également quelques député-e-s, de façon extra-officielle, nous ont dit d’explorer des mesures administratives de substitution à la peine d’emprisonnement, ou des avantages pénitenciers. Nous allons évaluer ce qui convient le mieux à chacun des cas.

Nous avons récemment tenu une réunion de travail avec le Centre des droits en matière de reproduction et le Centre pour la justice et le droit International, car nous avons commencé à travailler en nous orientant vers la justice internationale et le système interaméricain de droits humains, tandis qu’une autre équipe de bénévoles se penche sur des options de mesures substitutives. Nous allons donc prendre deux directions en même temps.

D’ici six mois maximum, nous introduirons un recours. Nous avons la demande de Manuela envers l’État du Salvador devant la Commission : elle a vécu une expérience semblable à celle de Guadalupe, sauf qu’elle avait un cancer et que ce dernier lui a fait perdre son bébé et a provoqué sa propre mort. Nous souhaitons par ailleurs solliciter un per saltum, qui consiste en un mécanisme de priorité au sein de la Commission, mais avec les 20 autres cas accumulés.

A: Comment allez-vous faire pression sur les partis politiques afin qu’ils modifient le Code Pénal?

MH: Nous travaillons sur une proposition, mais nous ne pensons pas pouvoir la soumettre dans le contexte électoral de ce mois de mars. Il règne une peur terrible de la stigmatisation parmi l’ensemble des politicien-ne-s, y compris ceux qui approuvent la nécessité de changer la loi. Le pouvoir médiatique des groupes fondamentalistes est immense, car ils ont pour eux le pouvoir économique, et le pouvoir médiatique au sein des médias de masse.

Le Front Farabundo Martí pour la libération nationale (Frente Farabundo Martí para la Liberación Nacional, FMLN), qui est le parti officiel, admet la nécessité d’apporter des modifications à la loi ; nous en avons parlé ensemble, et des députés plutôt de droite nous ont même dit approuver l’avortement thérapeutique, mais ils ne feront rien dans le contexte des élections. Lorsque ces dernières seront passées, les politiques n’auront plus la pression du vote, et nous aurons la possibilité de les pousser à faire bouger les choses.

[1] Avec le Chili, le Honduras, Haïti, le Nicaragua, le Surinam et la République Dominicaine.

[2] Le Code Pénal est entré en vigueur en 1998.

[3] Texte de la Cour: “Il est impossible d’avérer sa culpabilité. Il est démontré qu’il existe dans le cas présent non seulement des raisons considérables de justice et d’équité, mais aussi d’ordre juridique liées aux droits et aux garanties fondamentales de l’intéressée, telle que la garantie conforme à la loi d’être présumée innocente tant qu’elle n’est pas prouvée coupable, et qu’en cas de doutes fondés l’on considère la décision la plus favorable à son endroit ; par ces motifs nous recommandons qu’elle soit graciée de la condamnation à trente ans de prison qui lui avait été imposée”

[4] En octobre 2014, une première grâce avait été accordée, mais la procédure s’est tellement éternisée que Mirna, l’une des 17, était alors déjà en train d’achever sa peine.

Category
Analyses
Source
AWID