DOSSIER DU VENDREDI : Le projet de loi sur la prévention et le contrôle du VIH et du sida qui pénalise la transmission du VIH et du sida lorsqu'une personne est consciente d'être séropositive a été présenté au Parlement de l'Ouganda en 2010. Ce projet de loi présente plusieurs implications négatives en termes de droits humains et de droits des femmes
Par Kathambi Kinoti
L’Ouganda est un pays enclavé de l’Afrique orientale avec une population de 34,6 millions de personnes[1], dont 1,2 million (6,4 %) vit avec le VIH et le sida. Les femmes sont plus infectées et affectées par le VIH et le sida que les hommes et à un plus jeune âge, et elles représentent environ 57 % de tous les adultes qui vivent avec le VIH et le sida[2]. L’Ouganda a été l’un des premiers pays à adopter une attitude agressive pour aborder le problème de la pandémie à ses débuts dans les années 1980 et 1990, et la prévalence du VIH est tombée de 15 % en 1991 à 5 % en 2001. Ce taux de prévalence est aujourd’hui en hausse en raison de la convergence d’une série de facteurs, notamment une certaine passivité vis-à-vis de l’apparition de médicaments antirétroviraux (ARV). Les États-Unis sont le principal bailleur de fonds des programmes de lutte contre le VIH et le sida en Ouganda dont le gouvernement a dû, à partir de 2003, mettre l’accent sur les politiques basées uniquement sur l’abstinence pour continuer à recevoir des fonds
L’AWID s’est entretenue avec Lillian Mworeko, coordinatrice régionale de la International Community of Women Living with HIV/AIDS East Africa, (Communauté internationale des femmes vivant avec le VIH/sida en Afrique orientale) à propos des implications du Projet de loi de contrôle de prévention du VIH et du sida pour les droits humains et les droits des femmes.
AWID: Quelles sont les raisons données par le gouvernement pour présenter ce projet de loi ? Les cas où certaines personnes ont transmis le VIH « en connaissance de cause/volontairement » sont-ils si nombreux ?
LM: Selon les auteurs du projet de loi, celui-ci a pour intention de « réduire la transmission du VIH, fournir des services de conseil et des tests de VIH, créer des obligations gouvernementales en matière de gestion du VIH, établir des dispositions pour la protection des droits des personnes vivant avec le VIH et créer le délit de transmission intentionnelle du VIH. »
LM: Au début, les autorités faisaient preuve d’une grande volonté politique. Le Président a manifesté son intérêt pour la lutte contre le VIH et le sida, ce qui a encouragé d’autres dirigeants politiques à le rejoindre dans ce combat. Cet effort s’est traduit par une approche multisectorielle qui a réuni toutes les parties prenantes, y compris les organisations confessionnelles, les organisations de la société civile, les personnes touchées par le VIH et le sida et les communautés.
Bien qu’à l’époque, les ressources disponibles pour attaquer la pandémie aient été plus limitées, toutes les parties prenantes faisaient preuve d’un esprit de volontarisme et d’abnégation. Le peu de ressources disponibles était utilisé pour répondre aux besoins et aux priorités.
Aujourd’hui, la volonté politique a fléchi. Les méthodes appliquées pour lutter contre la pandémie ont été commercialisées et les programmes ne sont pas toujours les plus adéquats pour s’attaquer aux facteurs de causalité. Malgré la féminisation du VIH et du sida, très peu de programmes et de financements sont destinés à certaines questions comme la santé sexuelle et reproductive, ou encore la violence familiale et d’autres formes de violence basée sur le genre. Le financement pour les groupes de femmes qui vivent avec le VIH et le sida est très restreint.
Le financement et les programmes ne sont pas fondés sur des données empiriques. Nous savons depuis longtemps que les méthodes de prévention de la transmission de la mère à l’enfant sont extrêmement efficaces pour réduire les taux de transmission. Toutefois, quelque 50 % des femmes enceintes porteuses du VIH en Ouganda n’ont pas accès à ces méthodes de prévention et le taux de nouvelles infections chez les bébés restent de 20 %[4] environ. Nous savons également que le traitement contribue énormément à la prévention; or, plus de 500.000 personnes qui ont besoin de médicaments antirétroviraux n’ont pas accès à ce traitement. Nous savons en outre que l'abstinence est inefficace pour la majorité des femmes en Ouganda, où les taux de pauvreté sont très élevés, où les femmes n'ont pratiquement pas voix au chapitre dans leur ménage et où la violence familiale est omniprésente. Cependant, la majorité des ressources est investie dans cette stratégie, plutôt que sur des méthodes qui ont fait leurs preuves.
AWID: Quelles sont les implications du projet de loi sur le contrôle et la prévention du VIH et du sida en termes de droits humains et des droits des femmes ?
LM: L’exigence de divulgation obligatoire de la séropositivité fragilise les efforts de prévention du VIH et du sida et crée une incitation perverse à la réalisation des tests. Cela encourage la stigmatisation à l'égard des personnes qui vivent avec le VIH et le sida et les oblige à assumer le poids de cette divulgation tout en exonérant ceux qui ignorent leur statut sérologique, puisqu'une personne qui connaît sa séropositivité peut être pénalisée pour avoir eu des relations sexuelles avec une autre personne. La santé personnelle doit être la responsabilité de chaque individu et doit être au cœur de tous les efforts de prévention et de traitement.
Dans le cadre des soins prénataux, un test de routine est pratiqué pour détecter le VIH, raison pour laquelle les femmes connaissent souvent leur situation avant leurs partenaires. Conformément aux propositions de ce projet de loi, dès qu’une personne est informée de sa séropositivité, elle doit en faire part à son partenaire ; dans le cas contraire, le fonctionnaire médical devra informer ce dernier. Si les femmes ne révèlent pas leur situation à leur retour de la clinique prénatale, leur partenaire a le droit de demander l’information au professionnel de la santé. La conséquence est que les partenaires et les communautés rejettent sur les femmes la responsabilité d’avoir contracté le VIH. Le test obligatoire pratiqué sur les femmes enceintes n’a pas de raison d’être; il est possible d’obtenir les mêmes objectifs de santé publique moyennant un test pratiqué sur la base d’un consentement informé.
Les données empiriques confirment que la stratégie qui privilégie la divulgation volontaire, associée à des conseils intensifs et à l’assurance de confidentialité des résultats du test, permet d’obtenir de très bons résultats, sans enfreindre les droits à la vie privée. Ce projet va probablement miner la relation de confiance entre le médecin et le patient qui est indispensable pour gérer la propagation du VIH et du sida et va probablement dissuader beaucoup de personnes de chercher un traitement dans des centres médicaux autorisés.
Les dispositions en matière de tests obligatoires vont accentuer la marginalisation des consommateurs de drogues injectables et des travailleurs/euses du sexe. Les conseils effectifs, le consentement, la confidentialité, ainsi qu'un accès accru aux traitements sont les meilleurs moyens de traiter ces groupes.
Ce projet de loi cherche à prévenir les discriminations à l’égard des personnes qui vivent avec le VIH et le sida mais reste muet sur les discriminations au foyer et au sein de la communauté qui sont les principales discriminations dont souffrent les personnes qui vivent avec le VIH et le sida en Ouganda.
Le VIH et le sida constituent une menace pour les droits à la vie et à la santé et pourtant, ce projet de loi adopte un langage ambigu (par exemple « mettre au point des mesures pratiques » ou « dans la limite des ressources disponibles ») à propos des obligations de l’État Il ne mentionne nulle part un élément crucial dans le contrôle de la prévention du VIH, à savoir la sensibilisation de l'opinion publique. Le droit à l’information implique que les gens reçoivent les connaissances nécessaires pour assumer leurs propres responsabilités en matière de santé personnelle.
L’expérience d’autres pays d’Afrique démontre que la pénalisation de la transmission du VIH par des personnes conscientes de leur séropositivité ne freine pas la propagation du VIH et, bien au contraire, compromet les efforts de prévention du VIH et du sida. Cette pénalisation conspire contre la réalisation des tests car l’ignorance de la séropositivité est la meilleure défense en cas d’accusation pénale. En fait, dans les juridictions où sont appliquées ces lois de pénalisation spécifiques au VIH, les conseillers en tests de VIH se voient souvent dans l’obligation de prévenir les gens du fait que se soumettre à un test du VIH peut impliquer une responsabilité pénale si, en cas de séropositivité, ils continuent d'avoir des relations sexuelles sans en informer leurs partenaires. Ces conseillers sont parfois amenés à fournir des preuves de la séropositivité d’une personne dans une procédure pénale. Ces situations entravent la prestation de soins de santé ainsi que les efforts consentis pour encourager des gens à se soumettre au test.
L’inclusion d’une disposition relative à la tentative de transmission du VIH rend le thème encore plus complexe. Ce projet de loi ne tient pas compte des circonstances spécifiques des couples sérodiscordants, ainsi que des mères et des femmes enceintes séropositives. Toute femme séropositive souhaitant avoir un enfant pourrait être accusée de « tenter » de transmettre le VIH à son enfant si elle choisit de l’allaiter. Elle peut prendre la décision d’allaiter, non pas dans l’intention de transmettre le virus, mais par crainte de la stigmatisation sociale liée à l'impossibilité ou au refus d'allaiter l’enfant et/ou en raison des avantages nutritionnels réputés de l'allaitement maternel pour les bébés. La décision d’allaiter peut être également motivée par le manque d’alternatives, en particulier en raison des niveaux élevés de pauvreté après les conflits qui ont touché surtout le nord de l’Ouganda et la région du Teso dans le nord-est du pays.
La pénalisation de la transmission du VIH ne peut être justifiée que dans les cas très rares où les individus transmettent le VIH dans l’intention de faire du mal à d’autres personnes. Ce type de comportement doit être sanctionné par la législation pénale en vigueur, notamment celle qui concerne le meurtre et l’agression.
AWID: Comment les organisations des droits des femmes se mobilisent-elles pour faire pression contre ce projet de loi et quelles sont les chances de succès ?
LM: L’année dernière, nous avons formé une coalition d’organisations de la société civile afin de faire connaître le projet de loi et ses implications parmi les membres du Parlement et dans l’opinion publique. Il s’est avéré que la plupart des membres du Parlement n’avait aucune idée de ses implications négatives.
Nous avons établi des partenariats avec différentes parties prenantes, y compris les médias. Grâce à ce travail de divulgation sur le projet de loi, nous avons gagné la première bataille de cette guerre. À la suite de cette pression soutenue, le gouvernement a dû mener une série de réunions consultatives et le projet de loi n’a pas été inscrit à l’ordre du jour de la dernière séance parlementaire. Nous cherchons actuellement à établir un point de contact avec le nouveau parlement.
Le plaidoyer est souvent une quête longue et apparemment interminable, mais nous savons que, grâce à la persistance de nos efforts, plusieurs membres du Parlement sont désormais plus sensibles à cette question et pourront participer au débat sur le projet de loi d’une manière plus informée.
Partagez vos réflexions/idées avec nous:
Pensez-vous que la loi peut être utilisée comme un moyen pour prévenir la transmission du VIH? Y a-t-il d’autres approches plus efficaces ?
[1] http://www.indexmundi.com/uganda/population.html
[2] http://www.avert.org/aids-uganda.htm
[3] Ibid.
[4] "Uganda HIV Prevention Response and Modes of Transmission Analysis, mars 2009
------------
Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.