Informez-vous

Votre source d’information par excellence sur les dernières tendances touchant la justice de genre et les droits des femmes dans le monde

Le programme de développement pour l’après-2015 – En quoi consiste-t-il et comment y participer ?

DOSSIER DU VENDREDI – À l’approche de l’échéance de 2015 fixée pour la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), les Nations Unies, les États membres et la société civile ont lancé une série de consultations en vue de l’élaboration d’un nouveau cadre du développement, appelé à succéder aux OMD.

L’AWID s’est entretenue avec Laura Turquet, d’ONU Femmes, afin de mieux comprendre en quoi consiste le programme de développement des Nations Unies pour l’après-2015, ainsi que les processus y afférents.

Au cours des prochaines semaines, un autre Dossier du Vendredi sera consacré à une analyse critique du processus mené jusqu’à présent, avec à la clé des informations essentielles sur la manière dont les groupes féministes et des droits des femmes sont impliqués dans ce processus.

Par Susan Tolmay

AWID : En quoi consiste le programme de développement des Nations Unies pour l’après-2015 et de quelle manière ce processus est-il lié : 1) aux objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), et ; 2) à la mise au point d’objectifs de développement durable (ODD), suite au processus de Rio+20 ?

Laura Turquet (LT) : L’échéance fixée pour la réalisation des OMD est 2015, et bien que l’attention demeure centrée sur la manière d’atteindre la totalité de ces objectifs, des débats commencent à avoir lieu entre les gouvernements, les Nations Unies, les milieux universitaires, les responsables des politiques et la société civile sur le cadre de développement qui pourrait succéder aux OMD. Le Secrétaire général des Nations Unies a nommé un Panel de haut niveau chargé d’analyser cette question.

De manière parallèle, le Document final de Rio+20 appelle à mener un processus intergouvernemental en vue de mettre au point des objectifs de développement durable (ODD). Dans ce but, un groupe de travail ouvert, composé de 30 représentants désignés par les États membres et provenant des cinq groupes régionaux des Nations Unies, sera prochainement établi.

Les débats qui sont en cours dans le cadre de ces deux processus constituent ce que l’on appelle le programme de développement pour l’après-2015. Les Nations Unies, la société civile et les États membres souhaitent que ces deux processus, à savoir post-OMD et ODD, se fondent en un seul processus cohérent et intégré, si possible à l’occasion de l’ouverture de l’Assemblée générale en septembre 2013, bien que la modalité de cette fusion n’ait pas encore été clairement établie.

AWID : Pourquoi avons-nous besoin d’un cadre du développement pour l’après-2015 ? Quels seront les enseignements que ce processus pourra tirer des points faibles des OMD ?

LT : Les OMD ont suivi et sont basés sur la Déclaration du Millénaire, et malgré la réticence initiale des États membres et de la société civile, ils sont devenus un outil puissant pour attirer l’attention du monde entier et galvaniser l’appui international en vue de promouvoir le développement et répondre aux besoins des groupes les plus défavorisés de la planète. De nombreux pays les ont adoptés dans le cadre de leurs plans nationaux de développement. Les cibles spécifiques aux échéances clairement définies et les indicateurs mesurables (en dépit de leurs carences) fournissent des points de référence précieux et efficaces pour le suivi des progrès accomplis et l’obtention de résultats concrets.

À l’approche de l’échéance fixée pour les OMD, notre objectif est d’assurer que le nouveau cadre du développement contribue à porter l’attention mondiale sur la réalisation des droits humains, du développement durable, de la paix et de la sécurité, en tenant compte des insuffisances des OMD pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Les OMD ayant été mis au point selon une approche non-inclusive et descendante, il existe un large consensus sur la nécessité de baser le nouveau cadre sur un vaste processus de consultations auprès de différentes parties prenantes, y compris les organisations de la société civile et de femmes.

Il conviendrait que le nouveau programme soit basé sur trois principes fondamentaux, à savoir : les droits humains, l’égalité et la pérennité. Ce programme devrait tenir compte des enseignements tirés des OMD et aborder de nouvelles questions qui n’étaient pas prises en compte dans le cadre des OMD, telles que le changement climatique et la hausse des inégalités, y compris l’inégalité de genre, et mettre en rapport l’éradication de la pauvreté avec le développement durable. Ce programme devrait être exhaustif et universel. Indépendamment du modèle proposé, il est important que les intérêts stratégiques des femmes et l’ensemble des droits humains y soient abordés (en plus de répondre aux besoins concrets immédiats des femmes).

AWID : Dans le contexte du processus post-2015 en cours, quels sont les acteurs clés ?

LT : En juillet 2012, le Secrétaire général a nommé un Panel de haut niveau des éminentes personnalités sur le programme de développement pour l’après-2015, dont la première réunion s’est tenue le 25 septembre à New York. Ce Panel doit présenter son rapport au Secrétaire général au cours du deuxième trimestre 2013[1].

Tout en s’appuyant sur les OMD, ce rapport présentera des recommandations relatives à l’élaboration d’un programme de développement pour l’après-2015 qui permettra de répondre aux défis mondiaux pour mettre fin à la pauvreté. Le rapport fournira des principes clés pour la refonte du partenariat mondial pour le développement et le renforcement des mécanismes de responsabilisation. Il présentera également des recommandations sur la façon de construire et de maintenir un large consensus politique sur un programme de développement pour l’après-2015 ambitieux mais réalisable, construit autour des notions de croissance économique, d’équité sociale et de durabilité environnementale, en tenant compte des défis spécifiques des États en situation de conflit et post-conflit.

Le Secrétaire général a également établi une équipe de travail post-2015 composée de plus de 60 agences des Nations Unies ainsi que des institutions de Bretton Woods, co-présidée par le Département des affaires économiques et sociales (DAES). L’équipe de travail a produit un rapport intitulé « Réaliser l’avenir que nous voulons pour tous » qui expose la pensée du système des Nations Unies pour l’après-2015. Le rapport de l’équipe de travail présente une vision claire, fondée sur trois principes essentiels, à savoir les droits humains, l’égalité et la pérennité, devant servir de base au programme de développement pour l’après-2015. En s’appuyant sur ces principes, il suggère quatre dimensions interdépendantes qui pourraient servir de base pour la définition des objectifs et des cibles : le développement économique inclusif, le développement social inclusif, la pérennité de l’environnement, et la paix et la sécurité. Le rapport appelle également à élaborer un programme post-2015 afin d’identifier les principes communs permettant d’orienter les décisions en matière de politique et de mobiliser des actions à tous les niveaux, non normatifs et reconnaissant les différentes conditions à l’échelon national. D’autre part, une équipe de soutien technique inter-agences sur les ODD contribuera initialement aux travaux du groupe de travail ouvert en consultation avec les gouvernements nationaux.

Le Groupe des Nations Unies pour le développement (GNUD) a élaboré un cadre pour la réalisation de consultations nationales visant à promouvoir une « conversation mondiale » sur l’après-2015, disposant d’un financement lui permettant de mener plus de 50 consultations nationales, sous la direction des coordonateurs résidents et des équipes de pays des Nations Unies.

D’autre part, onze consultations thématiques mondiales sur des sujets considérés fondamentaux pour le cadre post-2015, à savoir Inégalités, Population, Santé, Éducation, Croissance et emploi, Conflits et fragilité, Gouvernance, Durabilité environnementale, Faim, Sécurité alimentaire et nutrition, Eau et énergie, sont également en cours et se poursuivront durant les prochains mois, chacune étant codirigée par deux agences des Nations Unies.

ONU Femmes et UNICEF sont responsables de la consultation sur les inégalités. Un panel consultatif a été établi, un appel à contributions a été lancé (qui a obtenu plus de 300 propositions) et un débat en ligne a débuté le 3 octobre 2012. Au cours des prochains mois, des débats en ligne auront lieu sur différents aspects de l’inégalité, y compris les inégalités basées sur le genre, l’ethnie, le handicap, ainsi que sur le développement des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI). Il s’agit d’une collaboration entre la Consultation thématique mondiale pour combattre les inégalités, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et l’organisation de défense des droits des personnes LGBTI ARC International. La discussion en ligne sur les inégalités et les personnes handicapées, co-animé par l'UNICEF et l'International Disability Alliance (IDA) se tient du 14 Novembre au 5 Décembre.

Une synthèse des documents et des débats virtuels sera présentée à l’occasion d’un atelier de haut niveau qui se tiendra à Copenhague (Danemark), en février 2013, auquel participeront des décideurs et des membres du Panel de haut niveau, ainsi que la société civile et des membres du panel consultatif.

Enfin, dans le cadre d’un processus séparé actuellement en cours, un groupe de travail ouvert composé de 30 représentants gouvernementaux, dont il est question dans le document final de Rio+20, sera établi et devra soumettre un rapport à la 68èmesession de l’Assemblée générale, qui se tiendra en 2013, comprenant une proposition d’objectifs de développement durable (ODD)[2]. Jusqu’à présent, les États membres ne sont pas encore parvenus à s’entendre sur la liste finale des membres du groupe de travail ouvert, compte tenu des 100 nominations reçues. Ce groupe de travail ouvert représente l’unique processus gouvernemental clairement défini à ce stade en ce qui concerne l’après-2015.

AWID : Compte tenu de la diversité des espaces de création des politiques de développement, en quoi ce processus est-il important et politiquement pertinent pour les défenseur-e-s et les organisations des droits des femmes ?

LT : D’un point de vue historique, les OMD ont exigé un appui sans précédent en matière d’objectifs de développement, qui a mobilisé des gouvernements nationaux, des ONG et des organisations intergouvernementales, y compris les agences des Nations Unies, les organismes régionaux et les institutions financières internationales. La seule création de l’OMD 3, Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, a joué un rôle décisif en mettant et en maintenant la question de l’égalité de genre à l’ordre du jour du développement mondial.

Dans la mise au point du programme de développement pour l’après-2015, nous avons la possibilité de regarder en arrière, d’évaluer les points forts et les points faibles, et d’avancer dans l’élaboration d’un nouveau programme visionnaire, basé sur l’égalité, les droits humains et la pérennité. Les droits des femmes doivent être au cœur de ce programme, et pour ce faire, les organisations féministes et de femmes jouent un rôle déterminant pour assurer qu’un éventail de voix féminines le plus vaste possible soit entendu lors des consultations.

Les défenseur-e-s de l’égalité de genre ont la possibilité de soulever des questions prioritaires en matière d’égalité de genre, qu’il conviendrait d’intégrer au cadre du développement pour l’après-2015. L’inégalité et la discrimination basées sur le genre constituent des barrières fondamentales pour avancer dans les domaines des droits humains, du développement, et de la paix et de la sécurité, et doivent en conséquence occuper une place de premier plan dans le programme post-2015, en reconnaissant que l’inégalité de genre est liée à toutes les autres formes d’inégalité. Un engagement explicite est également indispensable en ce qui concerne la mise en œuvre des accords relatifs aux droits humains, y compris la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et le Programme d’action de Beijing.

Il convient d’aborder la question de la responsabilisation et de définir clairement le rôle que la société civile pourrait jouer aux côtés des décideurs dans la définition de priorités et le suivi des progrès enregistrés. Ce sont les priorités qui doivent déterminer les mesures et non pas l’inverse. Le cadre pour l’après-2015 doit susciter la collecte et l’analyse de nouvelles données avec l’appui des partenaires du développement et des agences des Nations Unies. Les indicateurs doivent refléter l’ensemble des inégalités, en ventilant les données par sexe, revenu, localisation, ethnie et race, handicap, âge, etc. Les questions liées à la gouvernance et à la responsabilisation doivent être abordées, et une plus grande attention doit être accordée à l’application des lois.

AWID : De quelle manière les défenseur-e-s et les organisations des droits des femmes peuvent-elles s’impliquer davantage dans ce processus afin de s’assurer que l’égalité de genre, les droits humains des femmes et l’autonomisation des femmes soient au cœur du nouveau programme de développement ?

LT : Jusqu’en septembre 2013, les opportunités de consultation et de participation seront nombreuses pour un éventail de parties prenantes. Ce processus servira par ailleurs de base pour la prochaine étape, allant de l’automne 2013 à 2015, au cours de laquelle les efforts s’intensifieront en vue d’atteindre des consensus intergouvernementaux sur le programme post-2015, y compris des objectifs et des cibles concrets. Afin d’assurer la prise en compte résolue de l’égalité de genre dans un nouveau cadre, les défenseur-e-s des droits des femmes doivent être pleinement impliqué-e-s dans ce processus et participer aux consultations aux échelons national, régional et international pour que leurs propres priorités et préoccupations puissent être prises en compte.

Il sera fondamental que la société civile et d’autres parties prenantes concernées développent leur réflexion et leurs connaissances, qui auront vocation à orienter le nouveau programme de développement, et les utilisent pour influencer les processus intergouvernementaux. Cela inclut la préparation d’analyses et la compilation de meilleures pratiques pour aborder les causes profondes et les formes structurelles de la discrimination et l’inégalité ; l’identification de mécanismes de responsabilisation et de systèmes de suivi ; une vaste communication de ces activités et la réalisation d’efforts en vue d’atteindre les divers mécanismes relatifs au programme de développement pour l’après-2015.

Informations complémentaires:

Points d’entrée et actions pour les organisations de femmes suggérés par Laura Turquet, d’ONU Femmes :

  • Collaborer avec les membres du Panel de haut niveau ;

  • Collaborer avec les gouvernements nationaux ;

  • Contribuer au travail mené par les réseaux de la société civile (par exemple, une coalition émergente de femmes sur l’après-2015, au-delà de 2015)

  • Participer au travail mené par les réseaux de femmes, élaborer des documents de prise de position et des messages clés ;

  • Influencer les consultations thématiques (un grand nombre d’entre elles comprend des groupes consultatifs/de référence intégrés par des membres de la société civile) ;

  • S'impliquer dans les consultations nationales (contacter les Coordonnateurs résidents du PNUD et les bureaux d'ONU Femmes). Aller à http://www.worldwewant2015.org/sitemappour des informations sur les points focaux des consultations nationales.

  • Participer aux consultations nationales (contacter les Coordonnateurs résidents du PNUD et les bureaux d’ONU Femmes)

  • Organiser des consultations de femmes et/ou contribuer aux consultations à l’échelon national/organisées par les réseaux de la société civile et d’autres parties prenantes ;

  • Assurer que les débats sur le programme de développement pour l’après-2015 bénéficient d’une vaste diffusion et atteignent différents groupes de femmes.

Calendrier

  • Actuellement : consultations en ligne sur des questions thématiques.

  • Mars 2013: présentation au Panel de haut niveau d’un rapport sur les résultats des consultations nationales et thématiques.

  • Mai 2013 : présentation du rapport du Panel de haut niveau.

  • Automne 2013 : le Secrétaire général présentera à l’Assemblée générale son rapport annuel sur l’accélération des progrès en vue de la réalisation des OMD ainsi que des propositions concernant le programme de développement pour l’après-2015.

  • Septembre 2013 : évènement spécial organisé par le Président de la 68èmesession de l’Assemblée générale. Cet évènement sera consacré au thème de l’accélération des progrès en vue de la réalisation des OMD dans la dernière ligne droite avant 2015.

  • 68ème session de l’Assemblée générale : le groupe de travail ouvert sur les ODD doit présenter son rapport (au plus tôt en septembre 2013, mais cela pourrait se produire bien plus tard durant cette session).

[1] Le Panel est co-présidé par le Président Susilo Bambang Yudhoyono (Indonésie) ; la Présidente Ellen Johnson Sirleaf (Liberia), et le Premier Ministre David Cameron (Royaume-Uni). Mme Amina J. Mohammed (Nigeria) a été nommée par le Secrétaire général Conseillère spéciale pour la planification du développement après-2015 pour superviser le processus. Elle est membre de droit du Panel de haut niveau.

[2] Les sections 245 à 251 du document final exposent les aspirations des ODD.

------------

Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID