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Le premier Traité sur le commerce des armes reconnait la violence fondée sur le genre

DOSSIER DU VENDREDI – Le 2 avril 2013, une campagne longue de dix ans a abouti à la signature du Traité sur le commerce des armes (TCA) à l’Assemblée générale des Nations Unies. Le TCA interdit la vente d'armes lorsqu'il existe un risque que les armes soient utilisées pour violer le droit international humanitaire ou les droits de l'homme.

Par Amanda Shaw

La Women's International League for Peace and Freedom a fait campagne, dans le cadre de son programme Reaching Critical Will (WILPF) pour s'assurer que la disposition du traité portant à la violence fondée sur le genre soit juridiquement contraignante. L’AWID s’est entretenue avec Ray Acheson, Directeur de Reaching Critical Will a propos de ce traité et de sa signification pour les droits des femmes.

En quoi consiste le Traité sur le commerce des armes (TCA)?

Ray Acheson (RA): Le TCA est le premier accord international juridiquement contraignant adopté par l'Assemblée générale des Nations unies pour réglementer les transferts internationaux d'armes classiques et de munitions. C'est également le premier traité à reconnaître l'existence de liens entre le commerce international d'armes et la violence fondée sur le genre. De par ces deux aspects, il représente une avancée considérable pour le droit humanitaire international, les droits humains et pour la paix et la sécurité. Toutefois, les lacunes que présente le traité peuvent le rendre susceptible de manipulation et d'abus de la part de ceux qui cherchent à continuer à profiter du commerce d'armes. Pour garantir que l’adoption du texte le 2 avril 2013 fasse une différence dans la pratique, les gouvernements, la société civile et les Nations Unies doivent éviter de légitimer le commerce international d'armes et les transferts irresponsables dans cette phase initiale de la mise en œuvre et de l'interprétation du traité.

Le traité aborde également la question du commerce illégal d'armes par le biais des dispositions relatives à la prévention du détournement d'armes vers le trafic illicite qui viennent s’ajouter au Programme d'action des Nations Unies sur le trafic illicite des armes légères et de petit calibre, qui est un accord juridiquement non contraignant adopté par les états membres des Nations Unies en 2001.

Comment la campagne en faveur du TCA a-t-elle commencé et comment les organisations de défense des droits des femmes ont-elles été impliquées ?

RA: En 1996, un groupe de lauréats du prix Nobel de la paix et d'ONG ont élaboré un Code de conduite international relatif au transfert des armes. Depuis, la société civile a mené une forte campagne prônant la négociation d'un traité solide, holistique et juridiquement contraignant qui établisse des normes et des restrictions sur le commerce international d'armes classiques.

La Women's International League for Peace and Freedom (WILPF), ainsi que le Réseau des femmes du Réseau d'action internationale contre les armes légères (IANSA), ont participé au processus du traité depuis son commencement en 2006 au sein des Nations Unies. Nous n'avons pas cessé de plaider en faveur d'une disposition juridiquement contraignante sur la violence fondée sur le genre ainsi que sur la reconnaissance des contributions des femmes au désarmement, au contrôle des armes et à la paix et la sécurité. La WILPF a collaboré avec le réseau des femmes de l’IANSA et Amnesty International dans l'élaboration de documents de position communs, de même que pour réunir les signatures de groupes de femmes du monde entier en faveur de l’inclusion de la violence fondée sur le genre dans le traité. Ce plaidoyer a reçu le soutien de plus de 200 organisations de la société civile et, pour la fin des négociations, d'au moins 100 délégations des gouvernements.

Que signifie dans la pratique de la signature du TCA ?

RA: La signature du TCA reflète l'intention d'un État de chercher à ratifier le traité par le biais de son parlement ou d'un autre organisme législatif. Après la signature du traité, les pays sont généralement liés par les dispositions du traité même si celui-ci n'entrera officiellement en vigueur qu'une fois ratifié par le gouvernement.

Conformément aux dispositions de mise en œuvre du traité, tout état l'ayant ratifié doit adopter une législation et des procédures nationales pour garantir cette mise en œuvre de façon adéquate. Il est également prévu de tenir des conférences entre les états parties pour réviser son application, malgré l'absence d'un mécanisme international de mise en œuvre.

Comment les droits des femmes (et humains) subissent-ils l'influence du commerce des armes ?

RA: Le commerce des armes a un impact sur de nombreux droits humains, y compris les droits socio-économiques, les droits à la participation politique, les droits à l'accès à la santé, l'alimentation, etc. ainsi que les droits à la vie et au bien-être. Mais avant tout, les armes sont des instruments de violence et de répression aux mains de ceux qui les utilisent et des instruments permettant d'obtenir des gains financiers pour ceux qui les fabriquent et qui les vendent. Les armes classiques, en particulier celles dont le transfert n'est pas réglementé, tuent et mutilent encore des civils; violent les droits; facilitent la violence sexuelle et le trafic; font obstacle au développement économique et social, notamment par la perte de moyens d'existence; empêchent la réhabilitation et la reconstruction postérieures au conflit; retardent ou empêchent le retour de réfugiés et des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays; exercent des effets négatifs sur les efforts de construction de la paix et d'assistance humanitaire déployés à l'échelle nationale et internationale; et ont de graves conséquences qui perdurent dans le temps.

Comment le TCA aborde-t-il le thème de la violence fondée sur le genre ?

RA: Le TCA est le premier traité à reconnaître les rapports existants entre le commerce international des armes et la violence fondée sur le genre. Aux termes du paragraphe 4 de l'article 7, la prévention de la violence basée sur le genre est considérée comme partie intégrante du processus d'évaluation obligatoire des exportations et peut donc faire l'objet d'un refus de transfert.

En d'autres termes, les états qui exportent des armes ont l'obligation de tenir compte du risque que ces armes soient utilisées pour commettre ou pour faciliter des actes graves de violence fondée sur le genre ou de violence à l'égard des femmes et des enfants. Les états ne seront pas autorisés à procéder au transfert lorsqu'il existe un « risque majeur » de violence fondée sur le genre, quand ce transfert constitue une violation du droit humanitaire international ou des droits humains, lorsqu'il va à l'encontre de la paix et de la sécurité ou lorsqu'il s'inscrit dans le cadre de la criminalité transnationale organisée. Les états doivent également agir avec la diligence voulue pour garantir que le transfert d'armes ne soit pas détourné vers des acteurs non étatiques, tels que les escadrons de la mort, les milices ou les bandes qui commettent des actes de violence fondée sur le genre. De plus, la violence fondée sur le genre lié au conflit peut effectivement être considérée comme crime de guerre, comme crime contre l'humanité ou comme une violation grave du droit international conformément aux critères d'interdiction du texte du TCA.

Le TCA aborde-t-il et réglemente-t-il les nouvelles technologies comme les drones ?

RA: La portée du TCA se prête peu à l'incorporation de nouvelles technologies mêmes s'il laisse une marge de flexibilité à l'introduction éventuelle d'un amendement dans ce domaine. À son entrée en vigueur, le TCA utilise les définitions d'armes et de technologie telle qu'elles ont été établies dans le Registre des armes classiques des Nations Unies. Par conséquent, les définitions concernent des systèmes d'armes connus depuis plus de deux décennies. L’article relatif à la Conférence des états parties stipule que ces derniers doivent être attentifs à « l'évolution dans le domaine des armes classiques » mais n'autorise pas de façon explicite des actualisations du champ ou des définitions. Nombreux sont toutefois les états qui ont déjà signalé qu'ils adopteraient un champ beaucoup plus vaste que celui prévu dans le traité et qu'ils saisiront l'occasion de réunions futures pour demander à ce que ce champ soit adapté de façon à englober les technologies émergentes.

Que va-t-il se passer si les principaux exportateurs d'armes du monde ne ratifient pas le traité ?

RA: La Russie et la Chine se sont abstenues lors du vote d’adoption du TCA à l'Assemblée générale des Nations Unies. Les États-Unis ont voté en faveur de son adoption et ont même coparrainé la résolution par laquelle le traité a été soumis à la considération de l'Assemblée générale des Nations Unies après l'échec de la conférence sur le TCA où il avait été impossible d'arriver à un consensus. Néanmoins, les États-Unis et les autres grands exportateurs devront signer et ratifier le traité pour que ses dispositions deviennent contraignantes. S’ils ne ratifient le traité, leurs actions resteront en marge de la légalité de ce traité.

Néanmoins, avec le soutien de la majorité des états exportateurs et importateurs, ce traité fixera une norme pour les transferts internationaux d'armes classiques. En fait, cette norme avait déjà été établie durant le processus de négociation du TCA. Il ressort clairement qu’une norme a été adoptée contre le transfert des armes là où existe un risque important que les armes soient utilisées pour commettre des violations des droits humains ou du droit international humanitaire, ou pour commettre des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, des génocides etc. Si les principaux exportateurs se maintiennent en marge du traité, ils devront quand même affronter la condamnation des états parties du TCA en cas de violation de ce traité.

Ceci est déjà le cas avec les conventions qui interdisent les mines terrestres antipersonnel et les sous-munitions: bien que les États-Unis, la Russie, la Chine et d'autres pays n'aient pas ratifié ce traité, ils sont quand même obligés de financer les activités de nettoyage et d'assistance aux victimes et, dans la plupart des cas, de s'abstenir d'utiliser ou de vendre ce type d'armes. Il est important de faire remarquer que l'élaboration et le renforcement des normes sont des aspects importants dans la mise en place de traités et qu'elles peuvent se dérouler en marge de la lettre du traité en soi.

Pour en savoir plus sur le traité, cliquez ici.

Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID