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Le Japon, puissance économique : Et qu’en est-il des droits des femmes?

DOSSIER DU VENDREDI : Le Japonest un pays riche, pourtant son bilan en matière de droits des femmes est relativementmédiocre. Comment s’en sortent les femmes?

Par Kathambi Kinoti

Le Japon est unepuissance industrielle et économique dont les ressortissants représententenviron deux pour cent de la population mondiale . Ce pays est membre du G8, qui réunit les états les plus avancés du mondedu point de vue industriel et économique. Cependant, la performance du Japon enmatière de droits des femmes arrive loin derrière les succès remportés dansd’autres domaines. Son succès économique y est-il pour quelque chose? Ou bienconsidère t-on qu’à partir du moment où les besoins fondamentaux des citoyenssont assurés et que le pays est moderne et industrialisé, il va de soi qu’unbilan positif en matière de droits est garanti? Le fait que le japonais nefasse pas partie des langues les plus parlées à l’échelon mondial, à savoirl’anglais, le français, l’espagnol, le portugais et l’arabe, est-il à l’originedu manque de connaissances et d’activisme au sein même des mouvements mondiauxde femmes en ce qui concerne les droits des japonaises?

Le Japon détient unrecord admirable de scolarisation des filles et de maintien de celles-ci ausein des structures éducatives. Cependant, une fois sorties de l’école, s’ilest vrai que les femmes japonaises peuvent trouver un emploi, il est rarequ’elles réussissent à faire carrière et accèdent à des fonctions à plus hauteresponsabilité. Un article de Christian Science Monitor fournit un aperçu de la réalité à laquelle sontconfrontées les japonaises :

«Chie, ex vendeuse d’une société japonaise, se souvient lorsqu’ellefaisait ses classes au bureau. Elle a supporté des hommes qui avaientl’habitude de donner des tapes sur les fesses des femmes. Elle portait ununiforme et se présentait avec les 15 minutes d’avance exigées pour préparer lecafé. Enfin, après cinq ans, elle a signalé à son supérieur qu’elle désirait assumerles responsabilités de deux vendeurs sur le départ.

Chie, qui n’a pas souhaité utiliser son nom complet, sesouvient : «Lors de la réunion suivante, il a déclaré qu’il embauchaitdeux types pour assurer le travail des postes vacants. J’ai décidé dedémissionner. C’est alors que mon supérieur m’a demandé si je parlaissérieusement lorsque je lui avais exprimé mon souhait d’assumer davantage deresponsabilités». 

En tant que professeureet activiste des droits des femmes, Kozue Akibayashi signale : «Le Japon est hautplacé en matière d’IDH (indice de développement humain) et de GDI (indicateur sexospécifique du développement), mais pour cequi est de l’IPF (indice de participation des femmes), la chute estconsidérable». En 2009, le Forum économique mondial a situé le Japon en101ème position sur 134 pays dans son rapport sur l’égalité entreles hommes et les femmes. La richesse du pays voile t-elle les difficultés quiexistent en matière de droits des femmes?

La constitution japonaise interdit la discrimination fondée sur la croyance,la race, le sexe ou le statut social. Tout comme dans tant d’autres pays dumonde, d’un point de vue juridique, les femmes ont effectivement des droits,mais les interprétations actuelles de l’ancienne culture japonaise remettentsouvent en cause ces droits. Akibayashi signale d’ailleurs qu’un grand nombredes «valeurs» qui maintiennent les femmes au second plan proviennent de l’étatmoderne et ne font pas réellement partie de la culture japonaise historique.

Au Japon, la loigarantit aux femmes le droit à l’égalité et à la protection contre la discrimination,mais en réalité, le harcèlement sexuel et l’inégalité salariale sexospécifiquesont monnaie courante. D’après Akibayashi, l’écart salarial entre hommes etfemmes est très élevé et de nombreuses femmes compétentes travaillent à mi-temps,en particulier quand elles se marient ou ont des enfants. En fait, le nombre defemmes travaillant à plein temps est en baisse. D’après le Christian Science Monitor :

«Entre 1985 et 2008, le nombrede femmes travaillant à plein temps a chuté de 68,1 pour cent à 46,5 pour cent.Autrement dit, 53,5 pour cent des femmes qui travaillent le font à mi-temps ou souscontrat, tandis que pour les hommes ce chiffre est de 19,1 pour cent».

Un autre exemple d’inégalité évoqué par Akibayashi est le fait que lors dumariage, 90 pour cent des couples choisissent d’adopter le nom du mari et ilexiste une forte opposition au sein du parlement japonais, la Diet, quant àpermettre l’utilisation des deux noms de famille. L’argument généralementavancé est que cette mesure pourrait «détruire la famille».

La violence sexuelle est très peu dénoncée. D’après Akibayashi, «les peinesappliquées aux délits sexuels sont légères et les victimes ont la lourde responsabilitéde prouver le délit. A moins de porter plainte auprès de la police, aucuneenquête ne sera menée». Un rapportde Freedom House signale que «la violence à l’égard de lafemme est rarement dénoncée par peur de nuire à la réputation de la famille etd’autres mœurs sociales».

Le Japon n’a pas une culture très forte en matière d’organisations desdroits des femmes. Akibayashi signale que malgré l’existence de nombreuxgroupes de femmes dans tout le Japon, ceux-ci restent concentrés dans sacapitale, Tokyo, ainsi que dans d’autres zones urbaines. De même que dans denombreux autres pays du monde, les femmes rurales sont les plus touchées par lapauvreté et la sous-représentation.

Au cours de ces dernières années, la détresse des «femmes de réconfort» aattiré l’attention du monde entier. Il s’agit de jeunes femmes kidnappées surles territoires occupés par les japonais, et contraintes à se prostituer pour satisfaireles soldats pendant la seconde guerre mondiale. Ces femmes étaientprincipalement chinoises, coréennes, philippines et même japonaises, etcertaines d’entre elles ont poursuivi en justice le gouvernement japonais afind’obtenir de celui-ci la reconnaissance de cette politique de prostitutionforcée et une indemnisation. Le rapport du Freedom House signale qu’en 2007, lecongrès des États-Unis a appelé le gouvernement japonais à assumer saresponsabilité dans l’esclavage sexuel des «femmes de réconfort» et à leurpayer une indemnisation. Cependant, les cours japonaises ont répondu que cettequestion avait été résolue dans les traités post-guerre.

Le trafic de filles et de femmes reste un problème au Japon et FreedomHouse signale que «le Japon est principalement un pays de destination devictimes du trafic de personnes pour la réalisation de travaux forcés etl’exploitation sexuelle».

La société japonaise, comme toutes lesautres sociétés, n’est pas égalitaire. D’après le rapport de Freedom House :

«Bien que laconstitution interdise la discrimination fondée sur la race, la croyance, lesexe ou le statut social, certains groupes restent confrontés à unediscrimination non officielle. Au Japon, les trois millions de burakumin, quisont les descendants de marginaux de l’époque féodale, et la minoritéautochtone Ainu souffrent d’une discrimination sociétale profondément ancrée, quiles empêche de bénéficier d’un accès égalitaire au logement et aux opportunitésd’emploi. D’une manière générale, les étrangers, et plus particulièrement lescoréens, subissent des inégalités semblables».

Les japonaises sont titulaires des droits humains établis dans laconstitution du pays et les nombreux traités auxquels l’état est partie. Cependant,les interprétations culturelles erronées de la position de la femme au sein dela société constituent un obstacle à l’exercice de leurs droits. En tant que membreproéminent de la communauté mondiale, du puissant G8 qui réunit les nations lesplus riches, et grand donateur pour les pays pauvres, le Japon se doit dedonner un meilleur exemple en soutenant les droits de ses femmes et en mettantfin aux stéréotypes sexospécifiques.

Le mouvement des femmes au Japon, qui est relativement petit, gagneraitbeaucoup à échanger davantage avec les mouvements des femmes mondiaux, qui ontencouragé la mise en œuvre de changements positifs dans de nombreux pays dumonde entier.

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Note: Cetarticle fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (FridayFile en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants àpartir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir lalettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article aété traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Asie
Source
AWID