Informez-vous

Votre source d’information par excellence sur les dernières tendances touchant la justice de genre et les droits des femmes dans le monde

Le 4e Forum de Haut Niveau sur l'Efficacité de l'Aide aux yeux des féministes

DOSSIER DU VENDREDI: Le 4e Forum de Haut Niveau sur l'Efficacité de l'Aide (FHN-4) s’est tenu à Busan, en Corée, du 29 novembre au 1er décembre 2011. Bien que des avancées vers une meilleure efficacité de l'aide au développement ont été réalisées, de nombreuses problématiques non résolues subsistent.

Par Anne Schoenstein et Nerea Craviotto

Pour la première fois, ce FHN a vu la participation d'organisations de la société civile (OSC) réunies en un groupe participant formellement au Forum et dont un sherpa a pris part aux négociations. Près de 300 OSC faisaient partie des près de 3 000 délégués qui se sont réunis à ce FHN-4 et parmi lesquels figuraient des ministres et directeurs d'organisations internationales. Le forum a donné naissance au Partenariat de Busan pour une coopération efficace au service du développement. Tandis que le nouveau partenariat a été favorablement accueilli par les OSC, le document final de Busan (DFB) a suscité des sentiments partagés et fait l’objet de critiques.

En route vers le FHN-4

Des féministes, défenseures de l'égalité des genres et des droits des femmes ont travaillé conjointement pour influencer l'efficacité de l'aide au développement en amont du forum de Busan et au cours de celui-ci, en se préparant individuellement ou collectivement avec d'autres OSC pour garantir que leurs voix, critiques et propositions soient entendues et intégrées au processus. Des groupes de défense des droits des femmes ont largement participé au processus de renforcement de l'efficacité de l'aide mené par l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) et se sont engagés à ce niveau au fil des années, en participant notamment à plusieurs réunions en 2011 telles que la Consultation internationale sur la coopération aux fins de développement, les droits des femmes et l'égalité de genre.

Cet engagement a notamment abouti au document « Exigences clés des organisations des droits des femmes et de l’égalité de genre » qui, entre autres, demande que le FHN produise un document final jetant les bases d'une nouvelle architecture de la coopération aux fins de développement, inclusive, juste, responsable et tenant compte des droits des femmes et de l'égalité de genre et introduite au sein des Nations Unies.

En outre, des messages clés et propositions ont été rédigés au cours du processus. Ensemble, des groupes de femmes et autres OSC ont défendu leurs demandes, propositions et une vision de l'efficacité du développement axée sur les droits humains ainsi que celle d'un système de coopération aux fins de développement juste, notamment en participant officiellement au Groupe de travail sur l'efficacité de l'aide (WP-EFF) en tant que membres à part entière par l’intermédiaire de BetterAid.

Les femmes s’organisent à Busan

À l’aube du FHN-4 officiel et dans le cadre du Forum mondial de la société civile - Busan[1], un groupement d'organisations de défense des droits des femmes [2] ont coorganisé le Forum mondial des femmes pour préparer et élaborer des stratégies en faveur de l'égalité de genre.

La déclaration politique issue du Forum mondial des femmes lance un appel pour faire de l’appropriation démocratique au niveau local le principe central de l’efficacité de l’aide au développement. La déclaration souligne qu’il est crucial d’aller au-delà de l’efficacité de l’aide et évoluer vers une coopération au service du développement fondée sur les droits humains comme une nouvelle plateforme internationale de solidarité pour faire avancer le développement et l’éradication de la pauvreté de manière cohérente conformément aux normes internationales des droits humains et accorder une attention particulière aux droits des femmes, au droit au développement et à la justice environnementale.

En outre, un appel est lancé à la création d’un forum multilatéral, équitable et inclusif de dialogue politique et d’élaboration de normes sur la coopération au développement, créé au sein de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et assurant la légitimité à travers l'adhésion de tous les acteurs du développement et comptant une représentation complète de tous les points de vue des pays en développement. La déclaration traduit également la nécessité de créer des mécanismes clairs et efficaces pour la participation des OSC dans la coopération internationale au développement à tous les niveaux, y compris la coopération Sud-Sud et triangulaire.

On rappelle aussi que l’accent mis sur la croissance économique comme un axe de développement n'a pas abouti à l'émancipation des femmes dans toute leur diversité, en particulier les plus marginalisées et qu'une approche fondée sur les droits se veut indispensable pour stimuler le développement chez les femmes. [3]

Premières réflexions sur les résultats du FHN-4

Pour la société civile, les résultats du FHN-4 sont mitigés. Bien que d'importants progrès aient vu le jour, un grand nombre de demandes des OSC et liées aux droits des femmes restent en suspens.

En termes d'avancées, dans sa déclaration sur le Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement, BetterAid reconnaît que pour la première fois depuis la Déclaration de Paris, l'appropriation démocratique est reconnue comme principe fondamental de la coopération aux fins de développement, un principe devant être mis en œuvre par des partenariats inclusifs. Le nouveau partenariat met fin à une approche orientée sur l'efficacité technique de l'aide et amorce une approche fondée sur l'efficacité du développement, plus inclusive, plus politique et centrée sur les résultats en tant qu’effets du développement basés sur les droits plutôt que sur la fourniture d'aide. De plus, par le biais du partenariat de Busan, un nouveau cadre mondial de gouvernance va orienter le développement vers un cadre de travail plus large et inclusif impliquant non seulement les membres du Comité de l'aide au développement de l'OCDE, mais aussi les Nations Unies, les acteurs de la coopération Sud-Sud, les parlementaires et autorités locales, la société civile et le secteur privé. Le document de Busan promeut aussi fortement un environnement favorable fondé sur les droits pour la société civile et appuie les Principes d’Istanbul des OSC.[4]

L’inclusion d'un paragraphe spécifique (§20) sur l'égalité de genre et l'autonomisation des femmes est également un point positif à applaudir. Cependant, bien que les groupes de femmes aient en général accueilli favorablement ledit paragraphe, ils travaillent actuellement à une version améliorée dans la mesure où ce paragraphe ne va pas assez loin et ne peut donner de résultats que s'il s'accompagne d'une approche du développement intégrée et axée sur les droits humains et la coopération au service du développement en général et s’il est effectivement mis en œuvre.

Busan a élargi le partenariat de développement pour y inclure des économies émergentes, devenues de nouveaux acteurs et bailleurs de fonds de la coopération au service du développement, mais dont les actions restaient en marge des engagements de Paris et d’Accra. Néanmoins, des difficultés ont entravé le processus et la Chine n'a pas voulu s'engager à un DFB renforcé. Ce pays n'a signé le partenariat qu'à la dernière minute, à condition que « les principes, engagements et actions convenus dans le document final de Busan soient une référence pour les partenaires Sud-Sud à titre volontaire » uniquement (par.2).

La société civile et les défenseures des droits des femmes ont été particulièrement déçues par le fait que le DFB ne s'engage pas explicitement à adopter des approches de développement et de coopération au service du développement fondées sur les droits humains.

Par ailleurs, comme il est souligné avec inquiétude dans la déclaration de BetterAid, les quelques engagements, cibles et échéances concrets inclus dans les projets du DFB ont ensuite été supprimés.

L'absence d'accords de mise en œuvre et de suivi dans le DFB tout comme le report de décisions clés du processus posent problème et demanderont l'attention de tous les partenaires au cours des mois à venir. Il sera également indispensable d'évaluer comment l'invitation lancée au Forum pour la coopération en matière de développement des Nations Unies afin qu'il « assiste la mise en la mise en œuvre des accords atteints à Busan » sera honorée et mise sur pied dans la pratique.

Parmi les demandes clés des groupes de défense des droits des femmes, on peut citer celle d'un nouveau système de coopération aux fins de développement équitable, placé sous l'égide des Nations Unies, ainsi que le souhait que la responsabilité ne se fonde pas sur un nouveau système de suivi de l'OCDE mais aille au-delà des effets mesurés (aide fournie) pour examiner la portée des effets (résultats). Les systèmes de suivi de la coopération et de l'aide aux fins de développement devraient être améliorés par la création de nouveaux indicateurs ou l'amélioration des indicateurs existants et des mécanismes de reddition de comptes.

Le plan d’action conjoint de Busan pour l’égalité de genre et le développement

Les réunions des OSC tenues à l'aube du FHN-4 et au cours de celui-ci ont également porté sur une problématique essentielle pour l'égalité des genres et les défenseures des droits des femmes : le plan d'action conjoint de Busan sur l'égalité des genres et le développement, amorcé par les gouvernements de la Corée et des États-Unis. Le plan d'action a fait l'objet de critiques de groupes de femmes présents à Busan qui ont décidé de ne pas approuver le projet de plan d'action sous sa forme actuelle.

Dans le document de prise de position, les groupes de femmes ont reconnu l'effort des gouvernements de Corée et des États-Unis pour produire ce plan d'action et reconnu les efforts déployés par le gouvernement coréen pour promouvoir l'égalité des genres en tant que principe au cœur du FHN-4 et du DFB. Ces groupes ont aussi salué les efforts faits par les États pour renforcer le financement des mouvements pour les droits et l'autonomisation des femmes et exhortent les gouvernements à s'engager financièrement pour des avancées en matière de droits des femmes. Cependant, ils n'ont pas pu accepter ce plan d'action sous sa forme actuelle, car il ne promouvait pas suffisamment la jouissance des droits fondamentaux et d'une véritable égalité des genres. De plus, les groupes de femmes s’inquiétaient particulièrement du fait que le plan mette l'accent sur les économies en développement plutôt que sur la véritable jouissance des droits des femmes. Ce processus reste en attente et une consultation sur la mise en œuvre du plan se tiendra lors de la séance de la Commission sur la condition de la femme de cette année.

Et maintenant ?

Il est impératif que les défenseures des droits des femmes et de l'égalité de genre continuent de prôner un paradigme inclusif, durable et juste qui reconnaisse et valorise le travail de reproduction et de soins fourni par les femmes et promeuve le travail décent et l'autonomisation des femmes et des filles et des êtres humains dans leur ensemble, au détriment du discours prédominant axé sur le développement.

Les groupes de femmes sont impliqués dans le travail d'évaluation et de suivi post-Busan conduit par les OSC et AWID publiera des réflexions détaillées sur le FHN-4 et ses résultats dans la prochaine plaquette 11 dans le cadre de la série « Efficacité de l'aide et droits des femmes ».

[1] Coorganisé par BetterAid, le Forum de la société civile coréenne sur la coopération internationale aux fins de développement (KoFID) et le Forum Ouvert, du 26 au 28 novembre 2011.

[2] Le Forum Asie-Pacifique sur les femmes, le droit et le développement (APWLD), l’Association pour les droits de la femme et le développement (AWID), le Réseau de développement et de communication pour les femmes africaines (FEMNET), le réseau WIDE et Coordinadora de la Mujer/Bolivia.

[3] Cet article est une ébauche des demandes et propositions. Veuillez consulter l'intégralité de la déclaration politique du Forum mondial des femmes de Busan.

[4] Ibid 4.

------------

Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID