Informez-vous

Votre source d’information par excellence sur les dernières tendances touchant la justice de genre et les droits des femmes dans le monde

'L’autonomie comme résistance': Entretien avec Chayanika Shah

Article et interview par Tenzin Dolker 
Édité par Muna Gurung 
Illustrations par Priyanka Singh Maharjan

Introduction

Au cours des dernières années, je me suis entretenue avec un certain nombre d’activistes féministes incroyables provenant de différentes régions du monde. Elles m’ont fait part de profondes réflexions sur l'état passé et actuel de l'organisation et du financement féministes et ont évoqué les moyens complexes, multisources et souvent invisibles par lesquels les mouvements financent leur travail. Nous avons discuté des formes de ressourcement autonomes ou en dehors des modèles philanthropiques et gouvernementaux, que nous avons appelées « ressourcement autonome ». Nous avons également discuté de la gamme de stratégies et de priorités que les activistes et les mouvements identifient pour financer le changement social féministe. 

Pour lancer la première d'une série d'entretiens, j’ai discuté avec Chayanika Shah, une activiste féministe et des droits des homosexuel·le·s qui participe depuis longtemps à la construction de mouvements féministes autonomes en Inde. La lutte pour l’« autonomie », dans tous les sens du terme, a été au cœur de leur organisation féministe. Chayanika a mis en place l’organisation dans les années qui ont suivi une période sombre en Inde, appelée « l'urgence », de 1975 à 1977 : « L'autonomie était définie en termes d'autonomie par rapport aux partis politiques, d'autonomie par rapport au financement, d'autonomie par rapport à l'État, et d'autonomie dans une certaine mesure par rapport aux hommes. C'est la nature de l'autonomie dont nous parlions, et nous étions très conscient·e·s de ce fait. » 
Vous trouverez ci-dessous notre conversation de 2019, éditée plus récemment pour plus de détails et de clarté. 

Tenzin Dolker:
Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de votre parcours féministe?

Chayanika Shah: 
J'ai essentiellement fait partie de collectifs urbains et autonomes dans la ville de Bombay. L'un d'entre eux est le Forum contre l'oppression des femmes (Le Forum) fondé en 1979, et l'autre est LABIA, un collectif queer féministe LBT, qui a été formé en 1995. Les deux collectifs ont choisi de ne pas s'enregistrer, ce qui signifie que nous ne sommes inscrit·e·s nulle part dans les registres de l'État. 

Le Forum existe depuis plus de 40 ans et nous nous réunissons au moins une fois par semaine. Au départ, il s’agissait d’un forum contre le viol, mais au cours de ces quatre décennies, nous avons abordé des questions allant du viol à la violence domestique, en passant par les lois personnelles, les lois familiales, les questions de santé, le communautarisme et bien d'autres sujets. Dernièrement, nous nous sommes retrouvé·e·s à aborder les questions de droits civils et de libertés en raison du climat qui est celui dans lequel nous vivons aujourd'hui en Inde. 

TD: 
Comment avez-vous réussi à trouver des financements tout au long de ces années d’organisation féministe? 

CS: 
Au cours des 40 dernières années, le Forum n'a bénéficié d'un financement indirect qu'à une seule reprise. Il s'agissait de mener des enquêtes et des recherches pour compléter le travail de la Commission Sachar, dont le but était de mieux comprendre la situation socio-économique des communautés musulmanes en Inde. Nous nous sommes concentré·e·s sur le sort des femmes musulmanes et avons cherché à savoir ce que l'État pouvait faire afin de mettre en œuvre les recommandations de la commission. 

TD: 
Le reste du temps, les membres travaillaient bénévolement? 

CS: 
Oui, essentiellement. En 1980, lorsque nous avons commencé à traiter les cas de violence domestique, il n'existait pas de lois ou de mécanismes autour de ces questions; nous avons donc dû créer nos méthodes au fur et à mesure. Lorsqu’une personne venait nous voir pour les violences qu’elle subissait à la maison, nous lui donnions un abri, nous la conseillions et nous affrontions même sa famille. Nous faisions tout ce qui est prescrit par la loi aujourd'hui, mais qui n'était pas encore applicable à l'époque. Mais ce que nous avons compris à ce moment-là, c'est que le simple bénévolat ne nous ne permettrait pas de poursuivre notre travail. C'est alors que nous avons décidé de créer le Women's Center qui, comme on peut certainement l’imaginer en 1982, allait être une organisation financée fournissant des services et dotée d’un personnel à plein temps. Le Forum, quant à lui, resterait sous forme bénévole et non financé ou non enregistré, mais les membres pourraient travailler bénévolement au Centre afin de maintenir une synergie entre les deux. 

Mais cela n'a duré que de 1982 à 1985. De part et d’autre, la responsabilité, la prise de décision et le fonctionnement collectif posaient problème. Il était clair que les personnes qui travaillaient à plein temps dans l'organisation avaient l'impression d'être chargées de toutes les responsabilités, alors que les bénévoles étaient libres d'aller et venir à leur guise. De leur côté, certain·e·s bénévoles avaient l'impression que les mêmes structures et hiérarchies qu'ils·elles contestaient étaient reproduites au Centre. De nombreux problèmes ont ainsi surgi en 1985, après quoi beaucoup d'entre nous, membres du Forum, avons cessé d'être bénévoles au Centre. La plupart des membres du Centre étaient également membres du Forum et vice-versa, mais à un moment, il a fallu que les gens choisissent leur camp et prennent position. Finalement, le Forum et le Centre se sont mis à fonctionner comme deux organisations indépendantes. Mais ce genre d’histoire n'est pas rare en Inde ou ailleurs. 

TD:
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les intentions et les décisions du collectif concernant l'obtention ou non d'un financement?  

CS:
Ce volet des mouvements de femmes, dans ses premières années, était composé de personnes qui venaient principalement de la gauche politique, où elles avaient le sentiment de ne pas être entendues. Et cela était vrai, même au-delà de Bombay; à Delhi, Calcutta, Chennai, Hyderabad et d'autres grandes villes indiennes, la même histoire se répétait. Nous avons compris que nous devions être autonomes, c’est-à-dire autonomes par rapport aux partis politiques, autonomes par rapport au financement, autonomes par rapport à l'État et, dans une certaine mesure, autonomes par rapport aux hommes. Telle était la nature de l'autonomie que nous envisagions, et nous en étions très conscientes.

De 1975 à 1977, l'Inde a connu le régime très répressif des années d’« urgence ». Nous avons commencé à nous organiser juste après la fin de l'état d'urgence, et donc à un moment où nous reconnaissons l'État et son pouvoir. Des choix clairs ont ainsi dû être faits pour ne pas se retrouver dans le collimateur de l'État.  À cette époque, l'argent étranger n'entrait pas aussi facilement dans le pays, du moins pas pour les mouvements sociaux. Nous avons donc initié plusieurs collectes de fonds par le biais de spectacles de charité, de projections de films, en recueillant des dons individuels de 

personnes à travers la ville pour faire vivre le Centre. Cela a fini par créer un capital suffisant qui nous a permis d’acheter un appartement à Bombay, ce qui représente une somme importante car l'immobilier est toujours cher à Bombay. Les frais de fonctionnement quotidiens de l'organisation et le peu d'argent que percevait le personnel permanent étaient couverts par des bailleurs de fonds. 

Protesting in the streets of Mumbai in 1980
Manifestation dans les rues de Mumbai en 1980

TD:
Qui étaient ces « bailleurs de fonds » du Centre?

CS:
Le Centre était financé par des petits donateurs américains qui avaient une compréhension du féminisme. Nous avions pleinement conscience d’où provenait cet argent. Il est intéressant de noter que le débat en cours dans les mouvements de femmes sur le financement donne l'impression qu'il y a deux camps qui s’affrontent : le camp antifinancement et le camp profinancement. Mais la plupart du temps, nous réussissions à nous entendre au-delà de nos divergences, et il nous est souvent arrivé de réaliser qu’il fallait que nos organisations soient financées pour mener certaines actions. La présence de collectifs non financés contribue elle aussi à alimenter la tension. Parmi les collectifs non financés qui ont vu le jour en 1980, seuls deux sont encore valides aujourd'hui : le Forum et Saheli à Delhi. Les autres ont cessé leurs activités ou se sont divisés en plus petites organisations.  

TD:
Mais le Centre pour les femmes installé dans le vieil appartement à Mumbai est toujours opérationnel, n’est-ce pas?

CS:
Au cours des 10 dernières années, le financement du Centre s'est tari mais il y a encore une personne qui s’occupe de maintenir l'appartement. Par une étrange tournure des événements, les réunions du Forum ont à nouveau lieu au Centre. Nous avons fait un tour de piste pour revenir à notre point de départ. Mais l'appartement appartient au Centre et non au Forum. Durant toutes ces années, nous nous sommes réuni·e·s chez les gens et dans des espaces publics, alors aujourd’hui, cet appartement ne représente qu’un lieu de plus pour nous. En ce qui concerne la tension, l’atmosphère est plus sereine car nous avons compris au fil des ans qu’il nous était nécessaire de travailler ensemble.  

TD:
Et comment la communauté et cette énergie ont-elles évolué? 

CS:
La distinction entre le Centre, qui s'occupait principalement de fournir des services aux survivantes de la violence domestique, et le Forum, qui gérait davantage le travail de campagne, existe toujours. Au fil des ans, de plus en plus d'organisations ont créé leurs propres centres de conseil ou d'accueil, de sorte qu'au milieu des années 80, le Centre n'était plus le seul espace de ce type. Plus tard, d'autres types de campagnes autour des lois relatives à la violence domestique ou aux droits des personnes ont permis de nous rejoindre. Le Forum a donc été impliqué dans ces campagnes, mais pour ce qui est d'atteindre réellement les femmes en situation de violence domestique, nous avons constaté que les cas les plus difficiles - ou ceux qui étaient considérés comme difficiles à l'époque - étaient traités au Forum. 

Je me souviens qu'à la fin des années 80, une femme divorcée était tombée amoureuse d'un homme marié sur son lieu de travail, ce qui lui avait fait perdre son emploi. Cette affaire avait été portée devant le Forum. Plus tard dans les années 90, deux femmes étaient amoureuses l'une de l'autre, mais l'une de leurs mères les avait menacées de poursuites judiciaires. Elles s’étaient donc présentées au Forum. Les gens qui arrivaient avec ce genre de cas pensaient que les autres organisations seraient moralisatrices à leur égard ou ne s'en occuperaient pas, car ces organisations étaient devenues des ONG traditionnelles. 

TD:
L'autonomie vous permet-elle d'une manière ou d'une autre de faire ce que vous n'auriez pas été en mesure de faire, si vous aviez eu recours à des formes traditionnelles de financement?

CS:
Cela exige beaucoup de concessions mutuelles. D'après ce que j'ai vu, en ce qui concerne le travail dans le domaine de la violence domestique, la plupart des organisations financées sont incapables d’adopter une position radicale en raison de leur statut de financement. Mais je ne voudrais pas négliger les types d'interactions qui ont eu lieu entre les organisations, ou qui ont permis d’opérer des changements innovants. 

C'est là qu'entre en scène l'histoire de LABIA. Lors de la création de LABIA, nous avons de nouveau décidé de ne pas nous enregistrer, un débat qui est en l’occurrence souvent revenu à LABIA. Il y a déjà tant d'organisations qui traitent de la violence domestique, que nous avons pensé que le travail de 

LABIA devrait finalement consister à équiper ces organisations, de façon à ce qu'elles prennent en charge les cas de femmes lesbiennes et de personnes transgenres en particulier - essentiellement des cas qui nous ont été transférés, mais peut-être aussi des cas qui avaient besoin de plus de soutien au moment d’interagir avec l'État ou la police. 

A protest in 1986 against beauty pageants.
Une manifestation en 1986 contre les concours de beauté.

TD:
Il semble que vous ayez été claire sur le fait que vous ne vouliez pas créer une autre ONG.

CS:
Dans le climat politique indien actuel, aucune personne saine d'esprit ne voudrait s'enregistrer auprès de l'État. Le type de répression que tout le monde a affronté au cours de la dernière décennie a été sans précédent dans notre histoire. Avez-vous vu comment sont traités les gens qui élèvent la voix ou affirment toute forme de dissidence? 

TD:
Oui, nous notons beaucoup plus de surveillance et de contrôle.

CS:
La crainte qui a fait que nous commencions à nous organiser de manière autonome dans les années 80 est une réalité aujourd'hui. Les comptes des organisations se font contrôler et si une facture est égarée ici ou là, les fonds qui viennent de l’étranger sont bloqués ou on suspend leur enregistrement. De plus, l'État ne cesse de changer ou d'ajouter de nouvelles règles; se tenir informé des exigences actuelles pour le fonctionnement d'une institution relève d’un travail à plein temps.

TD:
Je comprends que le Forum et les membres de LABIA sont largement autofinancés. Pouvez-vous nous parler de la manière dont vous financez votre organisation de manière autonome? 

CS:
Au sein de LABIA, le principe a été de collecter de petits fonds au fur et à mesure de nos besoins auprès de ceux·celles qui sont financièrement plus aisé·e·s au sein de la communauté queer. Au cours des 24 années pendant lesquelles j'ai été active au sein de LABIA, nous avons mobilisé des ressources importantes, car lorsque les personnes viennent à vous, il faut vous assurer que vous saurez où les loger, comment assurer leur survie, leur donner accès à l'éducation ou à une formation pour qu'elles puissent reprendre leur vie en main. 

Afin de rassembler des fonds, nous avons déployé différents moyens, comme organiser des fêtes - ce que les gays savent très bien faire! - au cours desquelles nous avons orchestré des jeux et des activités créatives afin de récolter encore plus d'argent. L'argent amassé lors de ces événements était utilisé pour la cause spécifique pour laquelle il avait été collecté, et le reste était mis de côté pour constituer un « fonds de crise ». Nous avons collecté des fonds pour les couples mais aussi pour l'éducation, et chacun·e d'entre nous à LABIA apportons également notre contribution de temps à autre. En dehors des demandes de la communauté au sens large, qui ne font pas partie en réalité de LABIA, il existe d'autres personnes homosexuelles autour de nous, un réseau au sein duquel nous avons la possibilité de puiser et essayons de générer autant que nous le pouvons. 

Nous avons également recueilli des fonds pour financer le voyage de certaines personnes. Les gens sont éparpillés un peu partout dans l'État ainsi qu’à l'intérieur du pays; nous avons eu bon nombre de ces personnes au téléphone mais ne les avons jamais rencontrées. Elles nous disent qu'elles sont très isolées là où elles sont. C'est vrai pour tout le monde, mais encore plus pour les personnes homosexuelles; il est important de leur faire rencontrer d'autres personnes comme elles. Pour tous ces types de dépenses, nous avons collecté des fonds par nous-mêmes. En 2009, nous avons officiellement reçu de l'argent en tant que LABIA pour une étude de recherche qui nous a fait voyager à travers le pays afin de recueillir les récits de personnes queers. 

7th Women’s Conference truck rally, Kolkata, 2006.
Rassemblement de camions à l’occasion de la 7ème Conférence des femmes, Kolkata, 2006.

TD:
Pouvez-vous nous fournir plus de détails?

CS:
Ce projet nous est parvenu par l'intermédiaire d'une autre organisation financée qui l'hébergeait. Il s'agissait d'une étude de grande envergure, et la première année, onze d'entre nous y avons travaillé ensemble. Plus tard, quatre d'entre nous, qui faisions partie de l'équipe de recherche, avons pris le temps de finir d’écrire ce livre, lequel a été publié sous le titre de No Outlaws in the Gender Galaxy.

TD:
Quelle est la situation financière des deux organisations aujourd'hui?  

CS:
Au cours des années, nous avons réalisé que si certaines choses n’ont pas pu être réalisées, ce n'était pas par manque d’argent mais bien par manque de temps. Les personnes qui travaillent au sein de ces organisations veulent continuer à vivre leur vie. J'ai été professeure de physique pendant très longtemps, et beaucoup de membres du Forum gagnaient leur vie ailleurs. Pour les dépenses courantes, le Forum collecte 50 roupies par mois auprès de ses membres; un total de 750 roupies par mois pour 15 membres, ce qui équivaut à presque rien en réalité. Mais au final, quelles sont les dépenses? C’est extrêmement difficile pour la jeune génération d’aujourd'hui car les dépenses en ville augmentent et le travail bénévole devient de moins en moins viable. 

TD:
Le modèle d’adhésion à 50 roupies que vous proposez au Forum est vraiment significatif et symbolique, et cela rejoint vos propos lorsque vous dites que ce n’est pas une question d’argent. Mais en même temps, comment peut-on faire pression pour le changement, lorsqu’on tente tout juste de survivre dans ce contexte socio-économique néolibéral capitaliste privatisé? 

CS:
Cela renvoie à la nature des collectifs. Ces deux collectifs ont des membres qui sont autonomes, des gens de la classe moyenne urbaine qui ont de l'argent à dépenser. Nous n'avons donc pas de personnes qui sont déjà accablées par des responsabilités économiques ou autres. La classe sociale de l'organisation est très évidente. Aucun fonctionnement volontaire n'est possible sans ce type de privilège de classe que beaucoup d'entre nous avons. Le privilège de caste va également très souvent de pair avec le privilège de classe. Ainsi, les groupes deviennent très homogènes et correspondent à une minorité qui ne représente ni ne reflète les populations plus larges qui nous entourent. 

Chayanika Shah seen here in a sari as a part of a play in 1984.
Chayanika Shah, vue ici dans un sari dans le cadre d'une pièce de théâtre en 1984.

TD:
Comment pensez-vous que l'écosystème actuel des ressources pourrait être transformé pour que les fonds parviennent effectivement aux mouvements féministes correctement? 

CS:
Le problème ne vient pas tant des bailleurs de fonds que de la vigilance de l'État. Il s'agit donc d'une question interne et les organisations doivent être plus intelligentes. Le Forum, au même titre que LABIA, travaille avec des personnes qui font partie d'organisations financées. Lorsque nous menons ces actions et que le nom de l'autre organisation financée n'apparaît pas dans les actions anti-étatiques, ce sont les noms des collectifs que nous utilisons à la place. 

L'un des problèmes tient au fait que les bailleurs de fonds ne sont pas chauds à l’idée de distribuer de petites sommes. L'argent destiné aux organismes liés au VIH/SIDA, qui représentait une somme importante, a été acheminé par quatre grandes ONG. Ces ONG ont ensuite créé des organisations communautaires de plus petites tailles et servi d’intermédiaires pour leur transférer l'argent. Par ailleurs, les bailleurs de fonds bénéficient aussi de programmes spécifiques pour leur argent, et ceux-ci disent : « Bon, cette année, la tendance est à l'adolescence ». Et puis, tout le monde se démène pour que les choses aillent dans le sens de ces critères. En tant que mouvements, cela ne nous permet pas de soutenir des programmes à long terme. 

D’un point de vue positif, les gens collectent des fonds au niveau national. Le financement interne peut contribuer à endiguer la répression de l'État. Mais le problème réside dans le fait que la plupart de l'argent mobilisé dans le pays est destiné à la charité explicite, comme la construction de temples, d'hôpitaux et d'écoles, et très peu pour le travail de justice sociale. En ce sens, les gens travaillent autant que possible avec l'État pour fournir des services. Pour ce qui est de la violence domestique, par exemple, les organisations ne seront pas toujours là et c’est pourquoi nous devons travailler à la mise en place de mécanismes étatiques. Au cours des quarante dernières années, nous avons réussi à mettre en place un système, si bien que de nombreuses organisations s'efforcent aujourd'hui de s'assurer que les personnes embauchées sont bien formées, que des supports sont créés, que des ateliers sont organisés, etc. 

TD:
Tous les mouvements ou collectifs autonomes y participent-ils? 

CS:
Les organisations qui fournissent des services sont des agences nodales qui travaillent avec l'État. Un groupe comme le Forum œuvre donc légèrement en retrait. Nous comprenons le cadre général d'une loi, et faisons campagne pour que cette loi soit défendue dans le cadre institutionnel approprié. En revanche, les organisations qui s'occupent de la mise en œuvre quotidienne de cette loi sont toujours celles qui abordent ces questions du point de vue des services. Beaucoup d'entre elles sont donc actives et spécialisées. 

Il est encourageant de constater que la dernière décennie a vu naître de nouveaux mouvements et collectifs autonomes, tels que Femmes contre la violence sexuelle et la répression d'État (WSS, Women Against Sexual Violence and State Repression), qui est un réseau national de femmes issues de divers milieux politiques et sociaux, ou Féministes en résistance (Feminists in Resistance), un collectif basé à Calcutta. Ces collectifs, et bon nombre d'autres collectifs comme eux, s’attaquent plus ouvertement à l'État et permettent aux féministes d’amplifier leurs voix. 

7th Women’s Conference,“Towards Politics of Justice,”Kolkata, 2006.
7ème Conférence des femmes, “Vers une politique de justice”, Kolkata, 2006.

Lire la version hindi

Category
Analyses
Region
Asie du Sud
Source
AWID