DOSSIER DU VENDREDI: Le financement destiné aux femmes et jeunes a été au centre des débats de l’Assemblée générale annuelle du Centre européen des fondations (CEF), tenue du 26 au 28 mai à Cascais, Portugal, à l’occasion d’une recherche prospective stratégique réalisée par Mama Cash et le Centre des fondations (CF).
Par Amanda Shaw et Veronica Vidal Degirogis
« Un potentiel inexploité : le financement des fondations européennes pour les femmes et les jeunes filles » est une étude toute récente qui aborde un sujet relativement peu exploré, à savoir l'objet, le pourquoi et la modalité du financement apporté par les fondations européennes.
En Europe, il existe actuellement quelque 110 000 fondations actives dont les dépenses annuelles représentent 100 milliards d’euros, ce qui en fait un secteur très florissant. Dans le même temps, il est surprenant de constater à quel point la nature de leur action, leurs priorités en matière de financement ou les secteurs ciblés par celui-ci sont très peu connus.
Pour mieux appréhender l'ampleur, la répartition et la diversité du financement destiné aux femmes et aux jeunes filles à partir de l'Europe, Mama Cash, la doyenne des institutions internationales d’assistance financière aux femmes, a commandé une étude réalisée par le CF et Weisblatt & associés, en collaboration avec le CEF. Outre le fait qu’elle est centrée uniquement sur les femmes et les jeunes filles, l’étude « Potentiel inexploité » constitue également la recherche la plus exhaustive effectuée jusqu’à présent, sur un plan plus général, à propos des activités philanthropiques des fondations européennes.
En tout, la recherche a porté sur 145 fondations (pour la plupart indépendantes ou privées) de 19 pays, grandes et petites, et poursuivant différents objectifs. L’étude cherchait à déterminer l’ampleur du financement accordé par ces fondations aux femmes et aux jeunes filles, quels sont les problèmes touchant les femmes et les jeunes filles qui suscitent le plus grand intérêt des fondations dans l'allocation des fonds, et quelles sont les approches adoptées dans l’action qu’elles mènent.
Dons des fondations européennes
D’une manière plus générale, comme l’indique le rapport « Potentiel inexploité », les dons des fondations européennes vont en priorité au secteur de l’éducation (73 %). D'autres domaines importants en termes de financement des fondations européennes sont la santé (pour la moitié des institutions qui ont participé à l’enquête), le développement communautaire (46 %) et les arts et la culture (49 %). Les dons des fondations sont moins importants en matière de religion (8 %), d’affaires publiques (9 %), et de paix (11 %). En ce qui concerne l’orientation dans le secteur de l’éducation, les principaux bénéficiaires visés par les fondations ayant participé à l’enquête sont les enfants et les jeunes (74 % mène une action auprès des jeunes), suivis des personnes économiquement défavorisées et des handicapés (représentant, respectivement 50 % et 48 %). Etant donné cette tendance nette aux efforts ciblés sur la jeunesse et sur l’éducation, l’étude souligne l’importance de la prise en compte de la problématique homme-femme dans tous les programmes afin de garantir que les jeunes filles reçoivent une part équitable de ce financement.
En ce qui concerne les dons des fondations spécifiquement ciblés sur les femmes et les jeunes filles, l’étude « Potentiel inexploité» met en évidence l’écart profond qui existe entre les intérêts des fondations européennes et leurs financements réels. En effet, selon les données collectées par l'étude, 90 % des fondations participantes ont exprimé leur intérêt à soutenir des programmes favorisant les femmes et les jeunes filles. Les fondations portent un intérêt particulier au financement de l’action visant à lutter contre la violence faite aux femmes (74 %), contre la pauvreté des femmes et/ou de jeunes filles (73 %), et à favoriser l'accès des femmes et/ou des jeunes filles à l'éducation (71 %). Toutefois, 37 % seulement des fondations ayant participé à l’enquête centre délibérément leurs efforts de financement dans certains domaines favorables aux femmes et aux jeunes filles. En fait, 4,8 % seulement des dépenses des fondations est explicitement consacré aux programmes ciblés sur les femmes et les jeunes filles, dont 1/5 seulement sur les droits humains. Ce constat indique que les fondations européennes ont une vaste marge de manœuvre pour accroître leur soutien à l’action en faveur des droits humains des femmes.
Il est toutefois préoccupant de constater que les populations lesbiennes, bisexuelles et transgenres sont au bas de l’échelle des activités des fondations (9 %), juste après les porteurs du VIH/sida (12 %) En effet, dans l'enquête sur leur intérêt pour les problèmes qui touchent les femmes et les jeunes filles, les fondations participantes ont placé les droits des lesbiennes, bisexuelles et transgenres en toute dernière place. 30 % d’entre elles se sont montrées disposées à financer une action dans ce domaine, contre 74 % pour le financement, par exemple, de la lutte contre la violence faite aux femmes. Ce manque d’intérêt pour le financement de la défense des droits des lesbiennes, bisexuelles et transgenres reflète les graves difficultés rencontrées par les minorités sexuelles et autres communautés marginalisées pour financer leur action ainsi que les obstacles qui entravent le financement d’un changement plus profond en matière de justice sociale et d’agenda des droits.
Différents types de financement accordés par les fondations européennes en faveur des femmes et des jeunes filles
Le soutien apporté par les fondations européennes aux femmes et aux jeunes filles est très variable étant donné que certaines fondations financent des missions ou des programmes ciblés sur les femmes et les jeunes filles alors que d’autres assurent tenir compte de la perspective de genre dans l’ensemble de leur action. Parmi les fondations ayant participé à l’enquête, 19 % matérialisent leur engagement vis-à-vis des femmes et des jeunes filles au niveau des missions, et 18 % financent intentionnellement certains aspects de la problématique des femmes et des jeunes filles pour faciliter la réalisation de leurs objectifs primaires. Les fondations dont l’action est spécifiquement ciblée sur les femmes et les jeunes filles sont plus susceptibles d’accorder un financement dans le domaine des droits humains et de la justice sociale.
La recherche d'AWID Où est l’argent pour les droits des femmes a, depuis longtemps, mis l’accent sur l’importance de canaliser directement les ressources vers les organisations et les mouvements de promotion des droits des femmes à tous les niveaux pour remettre en question et transformer la dynamique et les structures de rapports de force. Toutefois, nombreux sont les bailleurs de fonds qui continuent de préférer le financement de la prestation de services plutôt que d’un changement en profondeur au niveau des droits. En effet, en examinant les subventions octroyées par 42 fondations, l’étude « Potentiel inexploité » constate que près de la moitié du financement destiné aux femmes et aux jeunes filles est concentré dans le secteur des services à la personne (45 %) et 21 % seulement dans les droits humains. Le financement des services à la personne est certes important mais il faut aller au-delà des méthodes traditionnelles afin de promouvoir l’autonomisation et les droits des femmes, notamment à l’aide du micro crédit, de la prise en considération de la problématique de genre et des systèmes de quotas, etc., approches qui tendent à situer la personne comme moteur de changement. Le financement de modalités innovatrices et porteuses de changement implique de reconnaître qu’il existe un rapport entre les problèmes individuels et les problèmes systémiques, et qu’une action collective s’impose pour parvenir à une réalisation plus vaste des droits économiques, sociaux et politiques.[1]
Avenir du financement des fondations en faveur des femmes et des jeunes filles
Pour amorcer le dialogue et forger des alliances dans ce domaine, certaines fondations participantes ont déterminé certaines stratégies pour aborder la question des droits des femmes et des jeunes filles :
Renforcer le leadership des conseils d’administration et des hauts fonctionnaires afin qu’ils comprennent l’importance du financement destiné aux femmes et aux jeunes filles ;
Fournir une formation professionnelle continue au personnel afin de renforcer les capacités organisationnelles dans les domaines concernant les femmes et jeunes filles.
Mettre en place, au niveau de la fondation, des pratiques, des politiques et des stratégies flexibles et adaptées aux besoins spécifiques des organisations qui s’occupent de la problématique des femmes et des jeunes filles, et
Porter une plus grande attention à l’importance et à l’impact des données.
En outre, les fondations dotées de programmes efficaces en faveur des femmes et des jeunes filles devraient encourager et susciter l’intérêt d’autres fondations dans ce domaine. Les bénéficiaires des programmes destinés aux femmes et aux jeunes pourraient également travailler en partenariat avec les fondations afin de mettre en vitrine l’impact du soutien accordé par celles-ci sur leur action et sur les programmes en faveur des droits des femmes.
Reconnaissant que les tâches à venir devront viser à transformer l’intérêt des fondations pour le financement des femmes et des jeunes filles en action, l’étude suggère plusieurs étapes :
Élaborer, à l’intention des fondations européennes, un guide du savoir-faire dans la mise en œuvre de programmes ciblés sur les femmes et les jeunes filles.
Mettre au point un programme de formation par les pairs portant sur la façon d'incorporer la problématique de genre à leur action.
Créer un groupe d’intérêts sur le genre au sein du Centre des fondations européennes afin de mettre au point des messages et des stratégies destinés à promouvoir un financement sensible au genre.
Rédiger une charte, au sein du Centre des fondations européennes et avec d’autres partenaires, visant à encourager les fondations à s’engager à un niveau minimum de sensibilisation vis-à-vis du financement tenant compte du genre, soit en tant que charte unique ou dans le cadre du concept plus large de « diversité ».
Le CEF pourrait lui-même jouer un rôle clé pour promouvoir l’intérêt pour le financement en faveur des femmes et des jeunes filles et la mise en œuvre de ces suggestions. Le lancement de cette étude à l'occasion de l'assemblée du CEF au Portugal a permis de révéler l’intérêt des fondations à en savoir plus sur le financement en faveur des femmes et des jeunes filles ainsi que le potentiel d’analyse de ce financement dans ce genre d'instance.
Les organisations qui ont sollicité et produit cette recherche espèrent qu’elle encouragera la discussion sur le soutien des fondations en faveur des femmes et des jeunes filles étant donné le souhait manifesté par ces fondations d’intensifier leur action dans ce domaine. Nicky McIntyre, directrice de Mama Cash et Gerry Salole, directeur exécutif du Centre européen des fondations ont signalé à propos du suivi de cette étude : « L’objectif ultime est de stimuler le financement de façon à ce que les femmes et les jeunes filles, et en particulier les organisations des droits des femmes, acquièrent le pouvoir et les ressources nécessaires pour participer pleinement et sur un même pied d'égalité à la création d'un monde pacifique, juste et durable. »
L’AWID se réjouit de la publication de cette étude qui met en valeur le potentiel des fondations privées en termes d’accroissement du financement des organisations et des mouvements de promotion des droits des femmes et des jeunes filles. Cette étude fait également ressortir certains écarts importants entre, d’une part, les politiques des fondations européennes en faveur des femmes et des jeunes filles et, d’autre part, le faible niveau de dépenses consenties dans ce domaine. Ces écarts avaient déjà été signalés dans la recherche de l’ AWID sur l’initiative Où est l’argent pour les droits des femmes qui avait mis l’accent sur la difficile situation de beaucoup d’organisations de femmes dans le monde en matière de financement.[2] Qui plus est, le rapport souligne également le manque d’intérêt préoccupant, en matière de financement, pour les questions liées aux lesbiennes, bisexuelles ou transgenres, malgré les menaces qui pèsent sur les droits des LGBTQI dans différents contextes.
Pour ce qui est de l’avenir, l’AWID collabore avec Mama Cash et le Centre des fondations dans la diffusion de ce rapport auprès des bailleurs de fonds de toute l’Europe et remercie Mama Cash et le Centre des fondations de cette importante contribution à la question de savoir « où est l’argent pour les droits des femmes ? »
Lire le rapport intégral (en anglais)
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.
[1] Arutyunova, Angelika, The Gender Factor: How women’s organizations further sustainable social change, Effect Magazine, Centre des fondations européennes, Vol.5, numéro 1, 2011.
[2] AWID (2006) Clark, Cindy et al, Évaluation des ressources et du rôle des donateurs dans la promotion des droits des femmes et le soutien aux organisations des droits des femmes; AWID (2007) Kerr, Joanna, Le deuxièpme rapport Finance-LA: Durabilité Financière pour les mouvements des femmes dans le monde et AWID (2008) Hopenhaym, Fernanda et al, Rapport Finance-LA 2008: Surveillant l’argent pour les mouvements et les organisations des droits des femmes.
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