DOSSIER DU VENDREDI : Dans l’environnement actuel des crises systémiques qui sévissent à l’échelle mondiale, les défenseurs, les organisations et les mouvements de promotion des droits des femmes s’efforcent de trouver des options possibles au modèle économique néolibéral dont l’effet est si néfaste sur la vie de millions de personnes, et en particulier sur celle des femmes.
Par Diana Aguiar et Natalie Raaber
Il est essentiel, pour élaborer un programme féministe commun susceptible de transformer le pouvoir économique et promouvoir les droits des femmes et la justice, de jeter des ponts entre les universitaires et les militantes féministes. L’importance de ce processus de rapprochement a été au cœur des débats de la Conférence annuelle de l’Association internationale pour l’économie féministe (IAFFE) tenue à Hangzhou en Chine du 24 au 26 juin 2011. Dans cette instance féministe éminemment académique, l’AWID et Women in Development Europe (WIDE), avec le Center for Women's Global Leadership (CWGL) ont réuni des féministes issues de différentes sphères d’activité pour favoriser un échange de vues sur la crise systémique et le scénario mondial post-2008 à l’occasion d’une table ronde intitulée Critiques féministes, options de politique et alternatives à une économie en crise.
Renforcer les liens entre les universitaires et les militantes féministes
L’IAFFE a été créée en 1992 pour servir d’espace de construction, de discussion et de promotion d’une économie féministe. L’IAFFE qui, au départ, était essentiellement composée d’universitaires, regroupe aujourd’hui différents types de membres tels que des étudiants, des travailleurs des ONG, des militant-e-s et des décideurs. Un des objectifs essentiels de l’IAFFE est de servir de point de rencontre de cette constellation de féministes pour favoriser le dialogue et contribuer ainsi au renforcement des liens entre les féministes qui évoluent dans différents domaines.
Les identités féministes sont diverses et complexes en fonction des expériences variées du travail réalisé au sein des différentes instances du mouvement féministe. Il n’existe pas nécessairement de contradiction entre le fait d’être universitaire féministe ou militante féministe ; en fait, ces identités coexistent souvent dans la réalité. Si certaines féministes évoluent indifféremment dans ces deux domaines, pour y travailler, partager des informations et élaborer des stratégies, la connexion avec d’autres féministes travaillant dans d’autres sphères d’activité n’est pas toujours aussi féconde qu’on le voudrait. Dans le contexte de l’aggravation de la crise systémique, il est particulièrement important d’améliorer les liens et d’instaurer un dialogue constructif entre les féministes présentes dans différents domaines et de cristalliser ces voix et ces vues diverses dans des programmes communs.
Les débats entre militantes et universitaires tenus au sein de l’IAFFE, ainsi que dans d’autres instances féministes, ont permis de détecter un certain nombre de facteurs qui semblent expliquer cette déconnexion entre les militantes et les universitaires féministes. Le travail des universitaires et des militantes s’inscrit généralement dans le cadre d’horizons temporels très différents. Celui des universitaires féministes se déroule souvent dans le cadre de programmes de recherche à plus long terme qui permettent de réaliser des analyses plus détaillées alors que les militantes féministes évoluent souvent dans des environnements particulièrement sensibles du point de vue temporel qui exigent une réponse immédiate aux événements dès qu’ils se produisent. Ces différences en termes de temporalité et d’exigences en fonction de la priorité qui doit être accordée aux activités réalisées expliquent pourquoi certain/es considèrent parfois que l’analyse militante manque de rigueur, ou que la recherche universitaire est peu pratique à des fins politiques. Ce type d’opinion peut se traduire par l’absence d’un terrain d’entente entre les militantes et les universitaires qui leur permettrait de renforcer mutuellement leur action. Étant donné les combats qu’elles doivent mener chaque jour, les féministes ne peuvent se payer le luxe de perdre ainsi des ressources, des forces et de l’impulsion politique.
Dans son allocution inaugurale de la conférence de l’IAFFE, la présidente sortante Dr. Stéphanie a souligné l’importance d’un dialogue régulier et constant entre universitaires et militantes féministes dans le cadre d’un processus politique continu. Il existe plusieurs exemples d’engagement fécond entre féministes issues de ces différentes sphères d’activité. Le travail de type académique sert souvent de base aux arguments des militantes dans les enceintes politiques et au sein des instances spontanées des mouvements sociaux. De même, les militantes peuvent constituer une source très riche d’informations actualisées et pertinentes pour les universitaires dans la réalisation de leurs recherches.
La réunion annuelle de l’Association internationale pour l'économie féministe
Le thème de la conférence annuelle de l’IAFFE pour cette année était Reorienting Economic Theory, Policies and Institutions: Feminist Perspectives in the Aftermath of the Global Economic Crisis. Un large éventail de sujets a été abordé dans les débats, y compris la définition exacte de la façon dont les économies devraient être construites et à quoi correspond le domaine de l’économie. Lors d’une séance intitulée quel est le type d’action pouvant être considéré comme économie féministe ?, les militantes ont favorablement accueilli le thème de la déconstruction de l’économie féministe comme domaine de recherche clairement délimité. De nombreuses participantes, y compris plusieurs universitaires, ont considéré que le concept d’économie féministe est relativement flou. D’autres ont affirmé que le concept d’économie féministe est encore en construction et que le caractère transformateur de l’action féministe est un élément clé de sa définition. L’économie féministe doit traiter la question du changement requis pour parvenir à l’autonomisation économique des femmes et se poser la question de savoir quelles sont les implications de l’émancipation des femmes, en quoi doit consister une économie fondée sur les droits humains des femmes et ce qu’il faut faire pour matérialiser un tel changement.
AWID à l’IAFFE
La table ronde organisée conjointement par l’AWID et Women in Development Europe (WIDE) avec le Center for Women’s Global Leadership (CWGL) a servi de lieu de rencontre à diverses féministes, universitaires, militantes et journalistes, qui ont contribué au débat sur les origines, les conséquences de la crise systémique et les réponses qu’elle exige, ainsi que sur les options possibles. Les interventions ont fait ressortir le besoin d’une réorientation radicale de la politique économique prédominante sur la base d’une perspective féministe. En tant que féministes, nous sommes confrontées à deux tâches concomitantes pour faire face à la crise et remettre en question le système économique en place. La première consiste à produire des connaissances sur les critiques féministes du néolibéralisme ainsi que d'élaborer des options concrètes de politique. La seconde consiste à envisager les possibilités de transformation systémique : en quoi consiste l’économie à partir d’une perspective féministe ?
AWID a présenté une critique féministe des réponses de politique apportées à la crise par les gouvernements depuis 2008 – sur la base de la série actualisée relative aux Impacts de la crise sur les droits des femmes : perspectives sous-régionales (en anglais) et a proposé des options de politique susceptible de promouvoir l’égalité de genre et les droits humains. Comme d’autres l’ont fait, nous avons remis en question les définitions étroites de la « crise » et nous avons conclu que, pour transformer un système en crise, il est indispensable de continuer à explorer le vécu des femmes, la résistance féminine au modèle économique prédominant et les options possibles en matière d’économie.
Radhika Balakrishnan du CWGL a abordé la question d’un nouveau cadre normatif en matière de droits humains qui permettrait de comprendre la crise et d’élaborer des réponses pour y faire face, et a notamment souligné le travail réalisé par le CWGL sur le thème macroeconomics and human rights policies in the U.S.(macroéconomie et politiques de droits humains aux États-Unis) présenté au Conseil des droits de l’homme à Genève. Christa Wichterich, représentante de WIDE, a évoqué un cadre de crise systémique et a décrit la crise comme un problème qui ne relève pas seulement du domaine financier ou économique, mais qui est associé au système économique et au modèle de développement prédominants, qui requiert un changement systémique. Elle a encouragé les participantes à penser autrement, à s’éloigner de la structure économique actuelle et à imaginer une nouvelle structure fondée sur les principes des soins, de l’égalité des sexes et des droits humains.
Jeter des ponts en vue du Forum 2012 de l’AWID et au-delà
La participation de l’AWID à la conférence de l’IAFFE est un pas important sur la route qui nous conduira au forum 2012 de l’AWID qui a pour thème Transformer le pouvoir économique pour promouvoir les droits des femmes et la justice. Cette participation est l’un des mécanismes utilisés par l’AWID pour faciliter les connexions entre les groupes très bigarrés qui se sentent concernés par les questions liées au pouvoir économique. Le Forum de l’AWID constituera une instance majeure pour poursuivre ce dialogue et renforcer les liens entre universitaires et militantes, défenseurs, organisations et mouvements de promotion des droits humains et de la justice, afin d’être à même, tous ensemble, d'améliorer l'efficacité des stratégies de promotion des droits des femmes et de la justice..
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.