Suite à la récente publication du rapport intitulé « Il ne faut pas réveiller le lion qui dort. Cartographie juridique de la situation des personnes LGBTQ en Afrique de l’Ouest francophone », l’AWID s’est entretenue avec Pierre Meyer, conseiller juridique au sein du Queer African Youth Network et rédacteur du rapport, pour en apprendre davantage sur les défis auxquels se confrontent les personnes et les activistes LGBTQ en Afrique de l'Ouest, ainsi que leurs aspirations.
AWID : A quels besoins répond le Queer African Youth Network (QAYN), réseau des jeunes LGBTQ d’Afrique de l’Ouest ? De qui le réseau se compose-t-il et quelles sont ses activités?
Pierre Meyer (PM) : Nous nous sommes rendu-e-s compte qu’il existait dans cette région un certain nombre d’associations dont le mandat consistait à protéger des groupes dits « vulnérables » ou « populations clés » dans le cadre de la lutte contre le VIH et le SIDA. Ces groupes étaient notamment constitués de gays masculins dont l’activisme se tournait essentiellement sur des questions de santé, et notamment de lutte contre le VIH et le SIDA des populations masculines. Rien n’était fait pour les autres composantes des communautés Lesbiennes, Gays, Bisexuel-le-s, Trans* et Queer (LGBTQ) – qui n’étaient pas représentées dans ces mouvements – et les autres problématiques que celles de la santé pour ces populations n’étaient pas abordées. QAYN a donc été créé en 2010 pour répondre à deux besoins : représenter d’autres composantes des communautés LGBTQ, c’est-à-dire pas exclusivement les gays masculins, et élargir la problématique LGBTQ au-delà de la seule question du VIH et du SIDA.
QAYN est un réseau d’associations œuvrant en Afrique de l’Ouest – notamment au Burkina Faso, Togo, Bénin et Sénégal – mais aussi au Cameroun. La majorité de nos membres sont des activistes de moins de 30 ans, car l’une des particularités en Afrique de l’Ouest est que la mobilisation au niveau communautaire LGBTQ est relativement récente. Ce qui ne veut surtout pas dire que l’orientation sexuelle est liée à l’âge ou que les personnes LGBTQ n’existent pas depuis toujours, mais l’affirmation d’une communauté LGBTQ en tant que telle et sa mobilisation est le fait de jeunes activistes.
Les activités de QAYN se concentrent donc principalement sur la mobilisation communautaire et la production d’études à caractère sociologique, médical ou juridique1. Le réseau exerce également des activités de plaidoyer au niveau interafricain dans le cadre de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, au niveau national auprès des autorités nationales et au niveau social auprès des autorités religieuses ou sociales.
AWID : QAYN a décidé de collaborer en priorité avec des mouvements LGBTQ francophones. Pourquoi ?
PM : QAYN était initialement composé d’associations aussi bien anglophones que francophones de la région. Mais lors de réunions de plaidoyer au plan international ou régional africain, nous nous sommes rendu-e-s compte que les communautés LGBTQ des pays anglophones étaient beaucoup mieux formées et avaient une pratique du plaidoyer qu’on ne retrouvait pas dans les pays francophones ; avec un décalage de formation et d’activisme entre ces pays. QAYN privilégie les mouvements LGBTQ des pays francophones car le besoin de formation se fait davantage sentir dans ces pays, où les mouvements sont moins structurés et la pratique plus récente et moins dynamique que celle que l’on peut trouver dans certains pays anglophones. Il existe aussi de très grandes différences dans l’activisme et les mobilisations communautaires entre les différents pays d’Afrique de l’Ouest francophone, entre par exemple un mouvement LGBTQ ivoirien qui a une expérience notamment dans la pratique de l’observation des violations de droits humains et du plaidoyer juridique et l’absence de ce type d’expérience au Mali, au Togo, au Bénin ou au Burkina Faso.
AWID : Quelles sont les discriminations/marginalisations actuellement subies par les personnes LGBTQ en Afrique de l’Ouest francophone ? En quoi celles-ci sont plus importantes pour les femmes lesbiennes, bisexuelles et queer ?
PM : Les discriminations et les stigmatisations se trouvent à tous les niveaux, aussi bien familial – avec des réactions qui peuvent être très violentes – que social, que ce soit en matière d’éducation, de santé ou de travail. Même en ce qui concerne les personnes appartenant aux associations, il y a dans leur vie sociale et familiale une certaine invisibilité de leur orientation sexuelle pour éviter leur stigmatisation. Il est difficile de faire l’état des discriminations spécifiques aux femmes, car à part en Côte d’Ivoire où il existe un observatoire chargé de collecter les données relatives aux discriminations subies par les personnes LGBTQ2, il n’y a pas dans les autres pays d’institutions chargées de cette collecte. Donc il est difficile d’établir statistiquement les violences lesbophobes. Cela dit, d’une façon générale, il est extrêmement fréquent dans la société d’entendre des personnes parler du viol de femmes lesbiennes, comme une pratique dite « corrective », ce qui prouve une violence extrême répandue socialement. De plus, au sein même des communautés LGBTQ, les femmes étaient totalement exclues et rendues invisibles par la communauté gay masculine qui travaillait dans le cadre de la lutte contre le VIH et le SIDA3. Les personnes trans* sont, de loin, celles qui subissent la plus grande discrimination et stigmatisation.
AWID : De quoi traite votre dernier rapport « Il ne faut pas réveiller le lion qui dort4. Cartographie juridique de la situation des personnes LGBTQ en Afrique de l’Ouest francophone » ?
PM : L’objectif de l’étude était d’abord de décrire l’état de la législation en termes de discriminations basées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, aussi bien du point de vue pénal, que des libertés et des droits civils, économiques et sociaux, dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest, à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali et le Togo. A partir de l’analyse de cette législation, le rapport analyse comment celle-ci est pratiquée par les acteurs publics, c’est-à-dire les tribunaux ou les forces de sécurité, ainsi que par les acteurs privés relatifs par exemple à la famille, l’entourage professionnel ou l’entourage de quartier.
A l’exception du Togo, la législation n’est globalement pas explicitement discriminatoire, mais c’est dans la pratique de la législation par les acteurs qu’on observe des discriminations sociales à tous les niveaux. Par exemple, dès qu’une association se forme et met ouvertement en avant sa revendication LGBTQ, elle est refusée à l’enregistrement par l’Etat, ce qui montre une application discriminatoire de la législation sur les associations. Il faut assurer l’égalité des libertés et des droits civils, économiques et sociaux, non seulement dans les textes, mais aussi dans la pratique. Dans la législation de ces différents pays, il y a des garanties de droits civils et politiques sans aucune discrimination, où sont énumérés par exemple la race et le sexe, mais jamais l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. La première recommandation est donc d’arriver à une modification de la législation pour introduire expressément l’interdiction de la discrimination basée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre pour tous les droits et libertés garantis par les textes juridiques.
Une autre recommandation est de créer dans tous ces pays un observatoire des violences et des discriminations à l’encontre des personnes LGBTQ et de former juridiquement un certain nombre de personnes au sein des communautés LGBTQ de ces pays pour renseigner sur la violation des droits ; ainsi que de former les personnels de justice et de police aux questions d’interdiction de discrimination.
AWID : Quels sont les obstacles freinant la réalisation des aspirations communes des mouvements LGBTQ d’Afrique de l’Ouest francophone ?
PM : L’une de nos aspirations communes est de poser la problématique LGBTQ de façon transversale dans ces pays en vue de l’émergence d’une identité LGBTQ en Afrique de l’Ouest francophone. L’un des obstacles réside dans le fait qu’un très grand nombre d’associations de droits humains dans ces pays refusent ou sont réticentes à intégrer la problématique LGBTQ dans leurs revendications. Il y a même par exemple au Togo des associations de droits humains qui demandent le renforcement de la pénalisation des relations entre personnes de même sexe. Au Burkina Faso par exemple, le Balai citoyen a été un mouvement pro-démocratique en pointe dans la chute du système Compaoré et dans la lutte contre le putsch du mois de septembre. Mais lorsque nous avons tenu en mars 2015 une réunion nationale sur l’émergence de l’identité homosexuelle au Burkina Faso, cette association a décliné l’invitation à y participer.
Au niveau des Etats, il n’existe pas de politiques structurées sur les questions LGBTQ ; la réception de ces questions est très aléatoire et dépend de la personne à laquelle on s’adresse. Pour justifier l’absence de lutte contre les discriminations LGBTQ, les Etats recourent souvent à un argument pervers, notamment au sein d’espaces comme le Conseil des droits de l’homme, selon lequel ils ne peuvent rien faire en raison de l’opinion publique dans leur pays. Mais en même temps, ils ne font rien pour réduire cette stigmatisation ou cette hostilité et il n’y a pas d’actions de sensibilisation. Bien au contraire, le seul discours autorisé publiquement sur les questions LGBTQ est celui des autorités religieuses ou traditionnelles, un discours fondé des condamnations morales. Donc non seulement l’Etat ne parvient pas à réduire la stigmatisation à l’encontre des personnes LGBTQ, mais empêchent aussi les associations qui pourraient le faire de mener leurs activités.
AWID : Dans ce contexte, quels sont les risques et dangers auxquels peuvent être confrontés les activistes de votre réseau pour mener leurs activités ?
PM : Les risques sont différents en fonction des pays. Au Cameroun, il y a une répression des activistes LGBTQ, alors qu’au Burkina il s’agit plutôt de risques d’intimidations. QAYN a introduit une demande d’enregistrement en tant qu’association conformément à la législation sur les associations. Lorsque notre coordinatrice s’est rendue sur place pour voir où en était notre demande, elle a été menacée par le fonctionnaire en charge du dossier de « viol correctif » et le dossier n’a jamais été traité. La police est aussi venue questionner les fondateurs-rices de l’association pour les intimider.
Au niveau social, il arrive fréquemment que lors de réunions, il y ait des violences et des attaques commises par des personnes du quartier et assez souvent, les forces de sécurité n’interviennent pas pour assurer la protection des personnes.
AWID : Pourriez-vous nous parler de l’idée de créer un Fonds LGBTQ de l’Afrique de l’Ouest ?
PM : Actuellement, les financements extérieurs des associations LGBTQ sont gérés essentiellement depuis l’étranger, en particulier des Etats-Unis, ce qui empêche la professionnalisation des associations locales sur le plan de la gestion financière. De plus, puisque le financement provient seulement de l’extérieur, les associations ont tendance à accepter des financements même si l’action liée ne correspond pas vraiment à une priorité pour la communauté. QAYN et d’autres associations souhaitent donc créer un mécanisme de financement qui soit géré directement au niveau des associations LGBTQ d’Afrique de l’Ouest afin de renforcer la mobilisation communautaire et la création de communautés professionnalisées dans cette région. Ce Fonds devra faire l’objet d’une gestion de la part d’un ensemble d’associations d’Afrique de l’Ouest. Il ne sera surement pas opérationnel avant fin 2016 et nous allons nous réunir ce mois-ci pour continuer les discussions en ce sens.
1 Pour consulter la liste de publications produites par QAYN (en anglais et en français), voir : http://www.qayn.org/research-publications/
2 Lire le rapport alternatif « Les violations des droits de l’Homme sur la base de l’orientation sexuelle et identité de genre en la République de Côte d’Ivoire » présenté à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en 2012.
3 Lire les rapports « Seules contre tous: Les difficultés vécues par les femmes qui ont des rapports sexuels avec des femmes au Burkina Faso, Ghana et au Nigeria » et « Entre nous: Les débuts difficiles de la mobilisation communautaire avec et au sein des groupes de lesbiennes, bisexuelles, et femmes queer en Afrique Francophone Sub-Saharienne » pour en savoir plus sur les difficultés relatives aux femmes LBQ en Afrique de l’Ouest francophone.
4 Au Togo, le Code pénal punit dans son article 88 les relations entre personnes de même sexe, mais cette disposition n’est jamais appliquée, explique Pierre Meyer. Cette expression est alors couramment utilisée lorsqu’il y a de l’activisme LGBTQ au Togo, pour menacer de façon voilée cet activisme.