Construire des alliances, c'est de l'art
Co-organisée par la Fédération internationale des travailleurs domestiques (IDWF) et l'AWID, cette conversation privée a réuni des travailleurs·ses domestiques (TD) et des allié·e·s féministes de toutes les régions afin de partager des connaissances sur les TD et les modes de soutien à leurs stratégies d'émancipation. Ce premier échange a principalement porté sur l'importance des alliances pour soutenir les préoccupations immédiates et les initiatives de plaidoyer actuelles des affilié·e·s de l'IDWF - puisque nos luttes communes se situent à l'intersection des luttes féministes historiques pour l'émancipation vis-à-vis de l'hétéropatriarcat, du racisme, du colonialisme et de l'exploitation au travail au sein des sociétés capitalistes.
Cela est d’autant plus important dans un contexte de poids économiques et de risques pour la santé engendrés par la COVID-19. Non seulement les TD se sont toujours vu refuser des emplois sécurisés, des salaires appropriés et des protections au travail; iels sont en plus en première ligne de la crise des soins, préservant leurs moyens de subsistance et leurs économies, et courent un risque plus élevé d'être affecté·e·s à la fois par la pandémie et par les réponses politiques qui y sont apportées, comme la fermeture des frontières, le confinement et les couvre-feux.
Durant la première partie de cette conversation, les travailleurs·ses domestiques du monde entier ont partagé des exemples positifs d’alliances et de relations stratégiques soutenant leur organisation au sein de syndicats des travailleurs·ses domestiques.
En interne, de nombreux petits syndicats de TW établissent des alliances stratégiques au sein de leur secteur, prenant part à de plus grandes plateformes nationales ou fédérations syndicales, ce qui est particulièrement important pour « faire entendre la voix des petits syndicats » (Gita) et faire pression pour une législation appuyant les droits des TW. D'autres intervenant·e·s ont souligné l'importance des alliances internationales externes, par exemple avec l'IDWF, l’Organisation internationale du Travail (OIT), Femmes dans l'Emploi Informel : Globalisation et Organisation (WIEGO, pour son sigle en anglais) ou l’AWID, ainsi que leur rôle essentiel dans le soutien, l'orientation, l'autonomisation et l’offre de formation aux petits syndicats (Namibie et Jamaïque) - ce qui permet à de nombreux·ses travailleurs·ses domestiques leaders de continuer à faire pression sur les gouvernements et à lutter pour la ratification de la Convention C189 de l'OIT sur les travailleurs domestiques (Nellie). Cependant, une intervenante (Wendy) a également rappelé aux participant·e·s l'importance d'avoir des alliances interpersonnelles, de ne pas perdre de vue le niveau local en travaillant à l'échelle nationale ou transnationale, et de continuer à favoriser les connexions et les relations individuelles avec tou·te·s les travailleurs·ses domestiques, car « chaque problème a ses propres particularités ».
Une intervenante (Shirley) a souligné l'importance du dialogue social et du renforcement des capacités des syndicats locaux pour s'engager dans un dialogue social, en particulier pour ceux qui utilisent des modèles tripartites (impliquant une collaboration avec le secteur privé et le gouvernement). Cela s’est avéré extrêmement utile pour un des syndicats (la Jamaican Workers Association, Association des travailleurs·ses de Jamaïque) pendant la COVID-19. Grâce à leurs alliances avec des ONG, le secteur privé et le gouvernement, celui-ci a eu accès à des formations ainsi qu'à des ressources précieuses telles que des ordinateurs, des trousses et des tablettes pour les travailleurs·ses domestiques et leurs enfants. Deux syndicats (la Namibia Domestic Workers Union, Syndicat des travailleurs·ses domestiques de Namibie, et la Jamaican Workers Association) ont également engagé des relations avec les médias, afin d'accroître la visibilité des luttes des travailleurs·ses domestiques et d'obtenir plus de soutien du grand public : « Nous sommes libres d'aller sur les chaînes nationales pour annoncer, pleurer et relever nos têtes pour les travailleurs·ses domestiques, et de sortir pour dire “c'est cela que nous voulons”, “la vérité est détenue par les travailleurs·ses domestiques” ». (Nellie)
En externe, une intervenante (Nasrikah) soulignait que la collaboration entre différents secteurs pouvait souvent s'avérer difficile, car les autres secteurs ne comprennent pas nécessairement les particularités, les problèmes, les difficultés et les obstacles sociaux, économiques et ceux liés au travail auxquels se confrontent les travailleurs·ses domestiques, dont beaucoup sont des femmes de couleur, des femmes autochtones et des femmes migrantes. C'est pourquoi, comme le résumait la modératrice, il faut sensibiliser davantage à la vie et aux luttes des travailleurs·ses domestiques, non seulement durant la collaboration avec d'autres secteurs, mais aussi durant celle avec les gouvernements et le secteur privé.
En interne, au sein d'un même secteur d'activité, les réalités et les identités des personnes diffèrent aussi - ce qui peut conduire à certaines difficultés et incompréhensions. En effet, une intervenante (Gilda) mentionnait le défi de faire de la place et de répondre aux besoins de chaque organisation affiliée à une fédération ou un syndicat national plus large, en particulier lorsqu'une alliance nationale se développe très rapidement, car il existe un risque pour l'espace de devenir moins accessible à certaines communautés. C'est pourquoi, dans un cas (la National Domestic Workers Alliance, Alliance nationale des travailleurs·ses domestiques, aux États-Unis), des programmes spéciaux ont été créés pour cibler des communautés laissées de côté (par exemple les communautés noires et les diasporas).
Sur les différents contextes locaux qui peuvent empêcher la formation d'alliances, certains gouvernements (comme le gouvernement malaisien) ne reconnaissent pas les travailleurs·ses domestiques comme des travailleurs·ses (il les qualifie toujours de domestiques), ce qui signifie que les travailleurs·ses domestiques ne peuvent pas bénéficier de droits essentiels, comme un salaire minimum, la sécurité sociale ou des jours de congés (Nasrikah). Cela signifie également que les travailleurs·ses domestiques ne peuvent pas formellement créer de syndicat ou s'engager dans des accords tripartites. De manière très similaire, une autre intervenante (Gita) soulignait la problématique de la discrimination de caste et comment, parce que la plupart des travailleurs·ses domestiques en Inde appartiennent à une caste inférieure, iels n’étaient pas considéré·e·s comme des travailleurs·ses. Une autre personne (Mirella) a également évoqué les problèmes liés à la montée des mouvements d'extrême droite dans son pays (en Suisse), qui se mobilisent contre la migration et la législation protégeant les travailleurs·ses domestiques migrant·e·s. Une autre intervenante (Francia) a parlé des problèmes systémiques du sexisme et de la transphobie dans son pays (Nicaragua) et du fait que les syndicats étaient dominés par des hommes - ce qui pose de nombreux défis en matière d'articulation d'une perspective de genre. Les droits des personnes trans ne sont pas reconnus, ce qui signifie qu'elles n'ont pas accès aux droits ou aux couvertures de sécurité sociale, et qu'elles subissent une terrible exploitation par le travail.
Ainsi, comme dirait une intervenante (Wendy), il est essentiel de placer l'intersectionnalité au centre de tout travail syndical, non seulement pour lutter pour de meilleurs salaires et droits, mais aussi pour lutter contre toutes les formes de discrimination. Et dans le but de continuer à tisser et à entretenir des alliances en interne et en externe, car « uni·e·s, nous sommes plus fort·e·s » (Francia).