DOSSIER DU VENDREDI: Vingt ans après la première Conférence des Nations Unies sur le développement durable (UNCSD) tenue à Rio de Janeiro en 1992, il apparaît clairement que les gouvernements n'ont pas réussi à appliquer des modèles de développement justes sur le plan social et durables sur le plan de l'environnement. C'est dans ce contexte de révision du cadre du développement durable que doit se tenir le prochain Sommet Rio+20.
Cet article fait partie d’une série de Dossiers du Vendredi portant sur des problèmes et sur des débats liés au thème du Forum 2012 de l’AWID et établissant les liens entre les questions des droits des femmes et le pouvoir économique. Pour en savoir plus sur la santé de la planète et de l'environnement, veuillez cliquer ici.
Par Diana Aguiar
En 1983, devant l'accumulation de preuves indiquant l’émergence d’une crise écologique, l'Assemblée générale des Nations Unies (NU) a créé la Commission mondiale sur l'environnement et le développement chargée d'analyser la situation de l'environnement et son rapport avec le développement. En 1987, cette Commission a présenté des recommandations d'action dans un rapport intitulé “Notre avenir à tous”, mieux connu sous le nom de Rapport Brundtland. Ce rapport a ensuite servi de base aux négociations de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (UNCSD), tenue à Rio en 1992. L’UNCSD, aussi connue sous le nom de Sommet de la Terre, fut une conférence historique des Nations Unies dans les années 90 et un processus clé dans l'aménagement de l'ordre international de l'après-guerre froide. Le document issu du sommet de la Terre, appelé Action 21, est devenu une référence dans le débat sur le développement durable.
Du développement durable à l'économie verte
L'un des principaux enjeux actuels (tout comme à l'époque du sommet) est sans doute la question de la compatibilité ou plutôt l'incompatibilité de modèle de développement fondé sur la croissance et l'objectif de la pérennité de l'environnement. Pendant plus de 50 ans de coopération internationale aux fins du développement, l'idée de développement, avec celle des droits humains, est devenue l'une des valeurs majeures de notre époque. Cette idée constitue l'assise des politiques et de programmes politiques et a servi d'argument pour justifier à la fois des révolutions et le conservatisme du marché.
Néanmoins, la fréquence de plus en plus grande des catastrophes écologiques, comme celles qui sont associées aux changements climatiques, ainsi que la pénurie de plus en plus grave de ressources ont fait apparaître (à l'époque comme aujourd’hui) les limites de la planète pour soutenir un modèle de développement fondé sur la croissance.
Le Rapport Brundtland a établi le « développement durable » comme l'une des notions clés en termes de redynamisation de l'idée de développement. Le développement durable a été défini comme «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » et basé sur des piliers qui doivent se renforcer l'un l'autre, à savoir le développement économique, le développement social et la protection de l'environnement.
Certains reprochent toutefois au rapport de ne pas avoir reconnu la nécessité de repenser la logique de l'accumulation de capitaux inhérente à un modèle de développement axé sur la croissance. Ce modèle de développement est fondé sur l'hypothèse du ruissellement naturel de la croissance qui finit par réduire la pauvreté. L’expérience accumulée nous a néanmoins démontré que la croissance, uniquement dirigée par le marché, ne se traduit pas par une plus grande égalité du point de vue social, des genres ou des races. En outre, la croissance économique a souvent été basée sur la surconsommation d'une minorité et la sous-consommation de la majorité. Plutôt que de penser à la redistribution, ce principal modèle de développement considère le niveau de consommation des élites comme un objectif commun, alors que nous savons que cet objectif est insoutenable étant donné les ressources illimitées de notre planète.
Dans ce contexte, la croissance économique est toujours l'objectif à atteindre, même si la surproduction ne suffit pas à réduire les inégalités, n'a pas conduit à une redistribution, a aggravé l'épuisement des ressources naturelles et a favorisé l'accroissement de la pollution, des déchets, etc. et du réchauffement global, menant ainsi notre planète à une impasse.
Vingt ans plus tard, et dans un contexte de lacunes évidentes de la nature « durable » du modèle, le processus de Rio +20 n'a pas non plus reconnu les limites de la foi aveugle dans la croissance économique comme moyen de développement. En fait, un nouveau concept est actuellement proposé comme réponse au dilemme qui oppose environnement/développement et croissance: l'économie verte.
Qu'est-ce que l'économie verte ?
Le concept d'économie verte a fait beaucoup de bruit ; cependant, certains affirment qu'il est encore « en cours de construction ». Selon ses défenseurs, tels que l’UE, les États-Unis et les institutions des Nations unies, le concept ne remplace pas celui de développement durable mais constitue au contraire un moyen d'y parvenir.
Le programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) s'est efforcé d'apporter une définition à l'économie verte dans un rapport de 600 pages intitulé« L’économie verte dans le contexte du développement durable et de l’éradication de la pauvreté ». Ce rapport définit « l’économie verte [comme] une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources. Sous sa forme la plus simple, elle se caractérise par un faible taux d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale. »[1]
Une analyse du Transnational Institute signale que selon le PNUE, une transition vers l'économie verte permettrait de relancer l'économie mondiale à des taux de croissance bien supérieurs à ceux du modèle actuel. Elle permettrait aussi de créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité, de réduire la pauvreté, d'améliorer les niveaux d'égalité, de réaliser les objectifs du Millénaire, le tout de manière durable en reconnaissant la valeur de la nature et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. La pression sur l'environnement naturel serait ainsi réduite, permettant ainsi une récupération de celui-ci et dans le même temps la création de nouveaux domaines rentables d'investissement qui aideraient les capitaux mondiaux à sortir de la crise et à accroître leurs bénéfices.[2] Si ça semble trop beau pour être vrai, c'est parce que ça l’est. Le rapport du PNUE sur l'économie verte est basé sur la négation de ce qui est appelé un mythe de la soi-disant « alternative » entre le progrès économique et la durabilité environnementale. Les causes des multiples crises actuelles (financière, alimentaire, de l'eau, de l'énergie, de l'environnement et la récession économique résident dans une « mauvaise allocation » des capitaux dans des activités à forte teneur en carbone, mais relativement faible dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, les transports publics, l’agriculture durable, la protection des écosystèmes et de la biodiversité et la préservation des sols et de l'eau[3]. Cette mauvaise allocation des capitaux est considérée comme une « défaillance du marché » résultant de « l’imperfection de l'information » et de politiques publiques inadéquates incapables d'incorporer les coûts environnementaux des activités économiques. La réponse proposée est la mise en œuvre de politiques « adéquates » pour accroître l'accès à l'information des marchés de manière à créer davantage d'incitations pour la réaffectation des « investissements « bruns » aux « innovations et investissements verts »[4]. Le rapport insiste ce sur le fait qu'une économie verte conduirait effectivement à des taux de croissance supérieurs, pour autant que les marchés perçoivent les « investissements verts, comme rentables, la durabilité environnementale étant ainsi considérée selon la valeur néolibérale de maximisation des bénéfices. Telle est donc la logique sous-jacente de l'un des principaux instruments (très critiqué par ailleurs) du nouveau « Green Deal » ou nouveau contrat social vert, à savoir les marchés du carbone et le Programme sur la Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts (REDD+), axé sur le marché. Toutefois, ces arguments ne reconnaissent pas le fait que les décisions adoptées par les sociétés transnationales sont souvent basées sur la maximisation des bénéfices à court terme et non pas sur une information imparfaite en matière « d'investissement verts ». Sur la route de Rio+20, et dans le contexte de cette définition du cadre de l'économie verte, il est probable que le document final ne serve qu'à renforcer les contradictions du modèle actuellement prédominant de développement basé sur la foi aveugle dans la croissance comme moyen de parvenir à l'égalité sociale et de genre et à la durabilité environnementale.
L'engagement des mouvements sociaux et de femmes à Rio+20
Etant donné l'enjeu actuel, Rio +20 s'est transformé en un événement majeur pour les mouvements sociaux en 2012. Le Grand Groupe des Femmes (WMG) s’est constitué comme la plate-forme formelle des femmes pour suivre le processus officiel de négociations. Durant la dernière réunion de l'intersession de Rio +20, Anita Nayar du DAWN est intervenue au nom du WMG et a appelé l’attention sur l'absence de références aux femmes dans le processus intergouvernemental actuel, contrairement à ce qui fut le cas avec Action 21 de l’UNCSD en 1992 où il est signalé que la question de genre doit être transversale. La présentation du WMG souligne également qu'il est indispensable de réaliser que la croissance économique effrénée n'est pas synonyme de bien-être ou de durabilité et que, par conséquent, il faut mettre en place des indicateurs permettant de reconnaître le fardeau inégal et injuste qui pèse sur les femmes dans le maintien du bien-être collectif, et admettre de façon consensuelle que la principale cause de la dégradation de l'environnement mondial réside dans les modèles insoutenables de consommation et de production, en particulier dans les pays industrialisés, qui sont particulièrement préoccupants et aggravent la pauvreté et les déséquilibres. Le WMG revendique également l'application d'un « plancher universel de protection sociale » ainsi que le suivi, la régulation et la reddition de comptes des sociétés pour leurs pratiques insoutenables sur le plan écologique et social.
Le comité local qui organise le Sommet des Peuples Rio+20 est à la tête de vastes mobilisations des mouvements sociaux. Le Forum social thématique tenu à Porto Alegre du 24 au 29 janvier 2012 a été un moment fort qui a permis de réunir les différents combats de résistance au modèle de développement néolibéral basé sur le marché dans le monde entier, du Printemps Arabe aux mouvements des Indignados, Occupy Wall Street, les mobilisations contre les accords de libre-échange, contre les accords du G20 et la résistance généralisée aux fausses solutions du marché (de REDD+ aux biocarburants et aux OMG, etc.) proposées pour affronter les crises écologiques.
En janvier 2012, l’avant-projet du document de négociation a été publié. Il reflète les craintes des mouvements sociaux quant à sa faible contribution à la résolution des défaillances du modèle de développement. Les négociations sont en cours jusqu'à la tenue de la Conférence, en juin, et la société civile doit intensifier son plaidoyer sur l'éventuel document final.
Pour en savoir plus
Let’s reinvent the world Group of Reflection and Support to the WSF Process (GRAPFSM).
Forum Social Thématique: Crise capitaliste, justice sociale et environnementale. Document stratégique du Grand Groupe des Femmes sur la route de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable 2012 « Rio+20 ».
A Gender Perspective on the "Green Economy": Equitable, healthy and decent jobs and livelihoods.
[1] PNUE, 2011, Towards a Green Economy: Pathways to Sustainable Development and Poverty Eradication, p16
[2] Edgardo Lander, “The Green Economy: the Wolf in Sheep’s clothing”. Transnational Institute (TNI), 2011, p4
[3] Ibid p5
[4] Ibid p6
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.