DOSSIERS DU VENDREDI : La 58e session de la Commission de la condition de la femme (CSW58) a pris fin vendredi dernier. Pour de nombreuses défenseures, organisations et mouvements de femmes et de droits humains, l’événement présentait une occasion importante d’encourager les États membres à véritablement placer les droits humains des femmes et l’égalité des genres au cœur du développement. Cette semaine, le Dossier du vendredi met en vedette certaines jeunes féministes qui ont participé à la CSW58 et qui partagent ici leurs attentes, savoirs ainsi que leurs expériences.
Par Susan Tolmay[1]
La Commission de cette année était importante pour plusieurs raisons : 1) l’imminente réunion du Groupe de travail ouvert (GTO) et les négociations sur les Objectifs de développement durable (ODD) ; 2) l’imminente Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) 20 ans après Le Caire et les façons dont ces processus sont directement liés aux négociations relatives au cadre de développement qui remplacera les Objectifs du Millénaire pour le développement lorsque ceux-ci arriveront à échéance à la fin de 2015.
Pour les jeunes femmes qui s’engageant dans ces processus, c’est la santé et les droits sexuels et reproductifs (SRHR, depuis son sigle anglais) qui est le plus grand sujet de préoccupation. On pourrait penser qu’il s’agirait en 2014 d’un objectif commun incontesté, mais il est loin d’en être ainsi. En effet, les acteurs conservateurs emploient la CSW pour tenter de démanteler les droits déjà établis, en ce qu’ils contestent systématiquement tout langage visant à avancer les SRHR pour les jeunes femmes dans toutes leurs diversités. Cette compilation d’articles de blogue au sujet de la CSW58 produits par la Plateforme des jeunes féministes montre que les jeunes féministes ne ménagent aucun effort pour que les gouvernements comprennent leur message qu’elles savent mieux ce qu’elles veulent et ce qu’elles ont besoin.
Ani Colekessian de la Youth Coalition déboulonne certains aspects du jargon de la CSW dans Déchiffrer les acronymes de l’ONU : CSW, OMD, ODD… qu’ont-ils à voir avec les jeunes femmes ? et réussit très bien à illuminer les liens importants entre le thème de la CSW de cette année : « Les défis et les réalisations dans la mise en œuvre des Objectifs du Millénaire pour le développement pour les femmes et les filles » - et les façons dont celui-ci est lié à la définition du Programme de développement pour l’après-2015 et à la 20e édition du processus d’examen du programme d’action de la CIPD (soit la CIPD+20).
Dans Un nouveau modèle de développement permettra-t-il d’améliorer la situation des jeunes femmes ? Oriana López Uribe du Balance, le Fonds MARIA, et RESURJ exprime très clairement pourquoi les gouvernements doivent lier le développement durable aux droits humains. Elle explique que,
«[p]our pouvoir être un développement véritablement durable, le développement des pays doit aller de pair avec la garantie des droits. Le grand défi est de savoir comment éliminer les inégalités, entre les pays et au sein des pays eux-mêmes, alors que le modèle économique les reproduit sans cesse.»
López Uribe fait remarquer que « [p]our tout le monde, et tout spécialement pour les jeunes femmes, il est crucial de compter sur une information et une éducation complète à la sexualité, ainsi que sur une offre élargie de services de santé, particulièrement en matière de santé sexuelle et reproductive, incluant le VIH, non seulement pour survivre mais aussi pour avoir une bonne qualité de vie. » L’auteure exprime finalement son mécontentement à l’égard du manque d’engagement de la part de certains des gouvernements, en ce qu’il est pour elle incompréhensible que « le centre des conversations n’est pas axé sur les droits, la santé et l’éducation ; ni sur l’éradication de la discrimination entre les genres qui, depuis CEDAW, fait partie du cadre international des droits humains. Et enfin, pourquoi la discussion ne porte pas sur la manière d’éliminer la discrimination, la stigmatisation et les inégalités sociales. »
Anna Nikoghosyan de l’organisation ASTRA Youth parle dans son article Les voix des femmes de la base au premier plan, ou le point de vue d’une féministe arménienne pour la CSW58 des problèmes que posent les groupes extrémistes religieux et néonationalistes de sa région à la réalisation des droits humains des femmes et des filles. Elle souligne l’importance de veiller à ce que des programmes relatifs aux SRHR fassent partie de l’après-2015. Elle parle des multiples défis auxquels les femmes font face dans la réalisation de leurs droits humains et mentionne certaines des oppositions à ces droits. Elle demande aux gouvernements de faire en sorte que «la santé et les droits sexuels et reproductifs (SRHR) et la prévention de la violence fondée sur le genre bénéficient d’une position au cœur des Objectifs de développement durable (ODD) et des cadres de l’Après-2015 à titre de priorité et de pilier capitaux ».
Nikoghosyan écrit espérer voir la construction d’un mouvement dans lequel les féministes et les activistes travaillent ensemble pour faire pression sur les gouvernements afin qu’ils prennent les bonnes décisions et entreprennent les mesures nécessaires à l’éradication de toutes les formes de violence basée sur le genre et de violence familiale, qu’ils criminalisent la violence sexuelle et qu’ils reconnaissent les droits sexuels et reproductifs de toutes et de tous, tenant compte de la pleine diversité de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre et de l’expression du genre. Selon elle, la CSW donne l’occasion aux femmes, aux filles et aux défenseur-e-s des droits des femmes de prendre parole et de se faire entendre.
Dans Comment je suis arrivée à l’après-2015 dans le sillage de la SRHR (Santé et droits en matière de sexualité et de reproduction), Zoe Nussy de CHOICE réfléchit à son expérience relativement au travail à l’appui des SRHR. Elle évoque les perceptions négatives envers les SRHR, fondées sur la religion, ainsi que la nécessité de repenser son autonomie corporelle, sa sexualité, ses expériences sexuelles et les possibilités dont elle bénéficie en tant que jeune femme aux Pays-Bas. Elle parle du contexte actuel, marqué par l’arrivée à échéance des OMD et par les négociations entourant le Programme de développement pour l’après-2015. L’auteure se dit inspirée par les jeunes femmes du monde entier qui se battent contre les stéréotypes et les structures traditionnelles, et qui ont déjà commencé à bâtir notre monde idéal en commençant par bâtir leur confiance en elles, une confiance qui les permet d’influencer le programme pour qu’il réponde aux besoins de toutes et de tous.
Patrice M. Daniel de CatchaFyah présente d’importants arguments à l’appui de l’éducation complète à la sexualité (ÉCS) et des services de santé reproductive intégrés, si importants pour les jeunes femmes, en plus de déboulonner certains des mythes perpétués par les groupes de l’opposition relativement à leurs raisons d’être contre ces questions dans Dites-leur. Elles doivent savoir. C’est en ces mots qu’elle présente la question : « Le refus de l’accès aux droits et à la santé sexuels et génésiques constitue toujours un obstacle à l’établissement d’une justice de genre où l’égalité et l’équité sont respectées. Il est temps que les décideurs politiques non seulement s’expriment, mais agissent également. Leurs actions et leur inaction continuent de coûter leur vie aux jeunes personnes, en particulier aux filles. Une éducation sexuelle complète dans les écoles n’est pas une ennemie. Par contre l’ignorance en est une. »
Et finalement, dans ‘Comme une vierge’ : ma ‘Toute première fois’ à la CSW, Clara Fok de la Youth Coalition parle de sa première expérience à la CSW. Elle évoque la cohésion et le dynamisme des mouvements de femmes et de droits humains et discute de sa participation à cette arène importante, à cette heure importante pour les droits humains des femmes:
«l’équipe des droits des femmes, qui a créé un espace sécurisant pour que les féministes et les défenseur-e-s des droits des femmes puissent participer pleinement. J’ai le sentiment d’avoir la capacité et le pouvoir de défendre les SRHR des jeunes femmes et des adolescentes, parce que j’ai eu la possibilité de participer sur pied d’égalité avec d’autres. Tout le monde a fait preuve de soutien et d’inclusion, personne ne m’a jugée en fonction de mon expérience ni ne m’a donné des tâches “plus faciles” en raison de mon âge (c’est mon impression en tout cas).»
Présentes ou pas dans les couloirs de l'ONU, ces jeunes militantes féministes se sont engagées avec les nombreux processus en cours et sont attentifs à ce qui est en jeu pour leur santé et leurs droits sexuels et reproductifs. Elles ont les savoirs, les expériences personnelles, la compréhension politique et l'engagement profond qui nous encourage à marcher de l'avant et de continuer à faire pression sur nos gouvernements de ne pas reculer sur les droits humains des femmes et des filles.
Le Dossier du vendredi de la semaine prochaine offrira une analyse des Conclusions concertées et de leur impact sur certains des processus imminents susmentionnés : Cairo+20, GTOM10 et d’autres processus liés à l’après-2015.
[1] Ce Dossier du vendredi est issu d’une compilation d’articles de blogue sur la CSW58 produits dans le cadre de la Plateforme des jeunes féministes.