DOSSIER DU VENDREDI : La 58e Commission sur la condition de la femme (CSW58) qui évaluera les difficultés et les réalisations en matière de mise en œuvre des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) pour les femmes et les filles a commencé cette semaine et se poursuivra jusqu’au 21 mars à New York. L’AWID a rencontré Cynthia Rothschild militante des questions de genre, de sexualité et de droits humains au sujet des questions qui concernent les négociations de cette année.
Par Susan Tolmay
AWID : la CSW bat son plein alors que se déroulent les négociations sur les Conclusions concertées. Après avoir lu plusieurs versions des Conclusions concertées, quels sont selon vous les enjeux les plus importants des négociations de cette année, au vu du thème et du contexte actuel ?
Cynthia Rothschild (CR) : Cette année, il s’agit de savoir si les gouvernements soutiendront les droits humains des femmes et de toutes les personnes, de façon à répondre aux exigences et aux déclarations des nombreux mouvements sociaux actifs dans le monde. Sommes-nous encore dans les années 90 avec les résultats de ces conférences[1], qui étaient novatrices à l’époque, mais que les activistes actuels trouvent dépassées. Il semblerait que les gouvernements en raison de leurs engagements et de leurs priorités géopolitiques campent sur leurs positions et nous poussent à continuer les mêmes batailles que nous avons livrées pendant les vingt dernières années.
Les défenseur-e-s des droits des femmes auront pour tâche d’influencer les gouvernements et de les appeler à soutenir leurs engagements précédemment convenus et à en prendre d’autres. Les gouvernements doivent tenir compte des réalités des vies des femmes – discrimination, violence, pauvreté, manque d’accès aux ressources, injustices environnementales, etc.
Les termes qui sont négociés dans le document final de la CSW – Conclusions concertées négociées par les gouvernements (CC) – sont particulièrement importants pour la CSW de cette année, car les discussions tournent autour du Programme de développement de l’après-2015. Comme nous nous acheminons rapidement au-delà des OMD, il est essentiel que le nouveau paradigme du développement tienne compte des réalités des vies des femmes ; il ne doit pas s’enliser dans des questions de géopolitique qui dictent les décisions des gouvernements ou dans une rhétorique qui date de plus de vingt ans. Ces négociations de la CSW sont particulièrement importantes, car elles constitueront l’un des seuls outils spécifiquement destinés aux questions de genre qui seront utilisés durant les négociations actuelles sur le développement concernant l’après-2015. Cela signifie que les termes dont les gouvernements conviendront dans les CC seront utilisés pour les processus de développement de l’après-2015 qui culmineront lors des discussions de l’Assemblée générale qui auront lieu en partie cette année et en partie l’année prochaine. Le prochain paradigme accepté par les gouvernements sera forgé par ce processus.
En ce qui concerne les intérêts des femmes, un des ensembles de questions que je surveille attentivement concerne les droits sexuels en général, et il s’agit de savoir si les gouvernements soutiennent les prises de décisions autonomes des femmes, leurs droits à contrôler leur propre corps, leurs droits à vivre sans violence, sans contrainte et sans discrimination – tous ces droits sont remis en cause dans les discussions sur les CC, ainsi que l’ensemble du cadre relatif aux droits humains, qui suscitent des discussions acharnées et auxquels certains gouvernements font obstruction. Les défenseur-e-s sont très préoccupé-e-s par les menacent qui pèsent sur les références aux droits humains et à l’ensemble du cadre qui les soutient. Les références à la sexualité font l’objet d’attaques – l’orientation sexuelle et l’identité de genre (SOGI) constituent un sujet brûlant selon la région géopolitique – les gouvernements manipulent les concepts de culture, de religion et de souveraineté, tandis que la pensée sous-jacente du programme est très anti-homosexuelle, anti-avortement, anti-droits génésiques et anti-égalité des genres.
AWID : comment la société civile peut-elle influencer les Conclusions concertées et quels sont selon vous les défis qui vont se présenter ?
CR : Le principal défi est constitué par le fait que lorsque nous parlons des droits des femmes, les discussions ne se limitent jamais à une seule chose. On pourrait donc penser que nous parlons de l’égalité de genre, des droits des femmes, de la sexualité et des questions concernant l’autonomie des femmes, mais en fait nous sommes prises dans un réseau de discussions géopolitiques touchant à de nombreux autres domaines tels que le pétrole, l’aide, l’espace militaire aérien, le commerce et les accords économiques, etc., car ce sont toujours ces problèmes qui influencent la position qu’adoptent les gouvernements dans ces espaces. Nous ne savons jamais exactement ce à quoi nous avons affaire, car par exemple, nous pouvons parler d’éducation sexuelle complète et penser que les gouvernements soutiennent ces concepts, mais ce sera la conjoncture géopolitique entre des pays spécifiques à un moment précis qui orientera les négociations. Nous devons donc fonctionner dans le cadre d’un contexte géopolitique plus étendu qui est plus difficile à définir.
En ce qui concerne la société civile et l’influence que nous pouvons exercer sur ces processus – les gouvernements seraient perdus sans nous. Nous agissons en tant qu’activistes, nous fournissons des services, nous effectuons des analyses à l’échelle mondiale, que les diplomates, eux ne fournissent pas. C’est à nous qu’incombe la responsabilité d’effectuer les analyses, de comprendre, de nuancer et de transmettre ces informations aux gouvernements alliés et de confronter les gouvernements qui sont opposés à ce que nous savons être vrai.
Les gouvernements jouent leur propre jeu géopolitique et c’est à nous de nous assurer qu’ils possèdent les meilleurs outils ; et ces outils sont souvent les vérités que nous connaissons et que nous présentons dans ces espaces. À un niveau très pratique, nous aidons constamment les délégations nationales à comprendre les questions au sujet desquels elles négocient, car sans nous, dans bien des cas elles ne sauraient discuter de ces problèmes sans les détails que nous leur fournissons, et qui constituent la contribution cruciale des défenseur-e-s, des organisations et des mouvements des droits des femmes. Nous offrons également un soutien éthique et moral aux délégations qui sont nos alliées, ce point est important, car les organisations de droite/conservatrices prennent cet espace très au sérieux, espace que nous ne pouvons leur céder, car nous sommes dans notre droit, tout en étant obligées de lutter pour le rappeler à tout le monde.
Un autre facteur qui ne facilite pas les choses est le fait que les OSC ne peuvent observer directement les négociations, et au fur et à mesure que les deux semaines de la CSW se déroulent, le processus manque de transparence en raison de son manque d’ouverture à la société civile.
AWID : quel est le rôle du Saint-Siège dans la CSW et comment influence-t-il les négociations ?
CR : le Saint-Siège est fortement impliqué dans le processus de la CSW. Il fonctionne essentiellement comme un État dans cet espace et son influence est grande. Les gens ne doivent pas être dupés par le fait que le nouveau Pape a la réputation d’avoir une position plus modérée. Les opinions formulées par le Saint-Siège sont parmi les plus conservatrices et rétrogrades et les plus antiféministes. Cela a toujours été le cas, et rien ne nous fait croire que cela pourrait changer. Il travaille très spécifiquement avec plusieurs états, ce qui ne veut pas dire que ces États sans son intervention n’auraient pas une position conservatrice, mais ces accords et cet ensemble d’idéologies partagées sont très axés sur la protection de l’Église et des relations, notamment des relations économiques entre les États et le Vatican. Cela signifie également que les organisations de droite, dont une partie est basée en Amérique du Nord, sont très présentes ici, qu’elles sont les porte-parole du Saint-Siège et qu’elles utilisent des stratégies qui ressemblent à celles des défenseur-e-s des droits des femmes.
Il faut mettre en évidence les positions conservatrices adoptées par le Saint-Siège qui agit parfois sous le couvert d’autres États qui s’expriment à sa place, contribuant ainsi à la très forte influence religieuse conservatrice au sein de la CSW. Il existe par ailleurs certaines organisations confessionnelles qui sont plus progressistes et qui sont beaucoup plus favorables aux droits humains des femmes, mais leur tâche est très ardue.
[1] Notamment la Conférence de Vienne sur les droits de l’homme en 1993, la Conférence internationale sur la population et le développement au Caire en 1994 et la Quatrième conférence mondiale sur les femmes.