DOSSIER DU VENDREDI – Dans la dernière entrevue réalisée dans le cadre de la commémoration de l’AWID du 20
Par Susan Tolmay
AWID: Quels sont, à votre avis, les progrès accomplis au cours des vingt dernières années dans la réalisation des droits humains universels pour les femmes? Quelles sont été les avancées obtenues durant les deux dernières décennies, en particulier pour les femmes d’Asie, et plus précisément du Pakistan ?
Hina Jilani (HJ): La Conférence mondiale sur les droits de l'homme tenue à Vienne a été le point de départ d’un processus de reconnaissance du concept selon lequel « les droits des femmes sont des droits humains » qui a servi de cadre au plaidoyer en faveur des droits des femmes et à l'action stratégique aux échelons national, régional et mondial.
C’est avec une certaine satisfaction que je peux affirmer que tous les doutes relatifs à l’affirmation selon laquelle « Les Droits des Femmes et de la jeune fille sont une partie inaliénable, intégrante et indissociable des Droits universels de l'Homme. », sont aujourd'hui écartés. Les questions liées aux droits des femmes sont de plus en plus présentes dans le discours politique, social et économique, ainsi que dans les programmes et les agendas des droits humains qui ont atteint un certain niveau de crédibilité.
La participation politique des femmes est aujourd'hui un indicateur du développement démocratique et des mesures ont été mises en place dans de nombreuses parties du monde pour accroître les possibilités de participation directe ou indirecte des femmes à la gouvernance. Par rapport à la situation qui existait en 1993, il existe à présent une réelle perspective que les problèmes liés aux femmes soient abordés dans les programmes de développement et dans les politiques économiques adoptés par les états ou par les organisations internationales. Les réseaux dynamiques de femmes qui sont nés dans la foulée de la conférence de Vienne peuvent s'attribuer le mérite de ces réalisations et constituent l'un des résultats les plus positifs de la Conférence.
AWID: Malgré l’adoption de la Déclaration et du Programme d'action de Vienne, ainsi que de beaucoup d'autres déclarations, conventions, programmes d'action et instruments, les droits humains des femmes sont encore bafoués, souvent dans la plus totale impunité. Quelles sont les nouvelles violations ou les violations croissantes des droits humains des femmes dans le monde entier ?
HJ: Dans le monde entier, les mouvements de femmes continuent d'affronter de graves difficultés dans l’application du cadre normatif international régissant les droits humains des femmes et cette mise en œuvre doit commencer aujourd'hui. Les femmes pakistanaises s'investissent déjà beaucoup plus pour garantir l'existence d'une capacité institutionnelle susceptible d'appliquer la législation relative aux droits civils et politiques ainsi qu'aux droits sociaux et économiques. Elles ont commencé à chercher à mettre en place sur le terrain des mécanismes qui leur permettent d'accéder au recours juridique et à la justice sociale et économique.
La lutte contre la violence à l'égard des femmes sous toutes ses formes est un enjeu constant qui est aggravé par la lenteur des réformes sociales et qui s'explique par le fait que i) les procédures internes du suivi et le contrôle effectif des institutions publiques sur le respect de ces engagements sont inexistants ; ii) les institutions publiques sont de plus en plus souvent utilisées pour perpétuer et pour renforcer des intérêts et des secteurs spécifiques ; iii) les institutions responsables du maintien de l'ordre et des poursuites judiciaires sont inefficaces et corrompues ; et iv) l'indépendance du pouvoir judiciaire est sévèrement limitée par le défi de protections qui sont normalement disponibles dans un contexte constitutionnel.
Au Pakistan, le militantisme et le terrorisme perpétré au nom de l'islam ont encore compromis davantage les possibilités d'action de l'État pour garantir « la participation des femmes dans tous les secteurs de la vie nationale », telle qu'elle est prévue dans la Constitution. La longue période de militantisme a favorisé l'accroissement de la militarisation dans plusieurs régions du pays. Cette tendance a eu un impact négatif sur les droits humains en général, mais a rendu les femmes particulièrement vulnérables à la marginalisation et l'insécurité. La situation est particulièrement risquée pour les femmes défenseures des droits humains qui œuvrent à la promotion et à la protection des droits des femmes. Les droits sociaux des femmes ont subi de nouvelles restrictions comme concession à l'extrémisme islamique qui sévit dans le pays. Ces restrictions imposées à leur liberté de mouvement, d'expression et de réunion compromettent leur capacité de mener leur action de manière sûre.
AWID: Quel a été le rôle des mouvements de femmes dans la défense des questions que vous venez de mentionner ?
HJ: Les femmes asiatiques, y compris les femmes du Pakistan, ont renforcé leurs activités de plaidoyer et formé des mouvements de promotion des droits humains et des droits des femmes.
Elles font preuve d'une profonde compréhension de l'essence des liens qui existent avec d'autres mouvements politiques et sociaux pour promouvoir les droits humains et éviter l'isolement du programme des droits des femmes. Elles s'efforcent également d'obtenir des changements législatifs pour renforcer le cadre juridique de l'égalité, de la participation politique et de la protection sociale et ont obtenu des résultats significatifs dans ce domaine. Au Pakistan, plusieurs lois visant à protéger les femmes contre la violence ont été adoptées au cours de la dernière décennie et certaines lois nettement contraires aux femmes ont été amendées de façon à atténuer, mais sans l'éliminer complètement, le préjudice causé par ces lois à la dignité et à l'égalité des femmes. Il faut toutefois reconnaître que plusieurs pratiques néfastes restent en vigueur et que les comportements sociaux n'évoluent que très lentement, ce qui freine le rythme des avancées.
AWID: Face à l'échéance prochaine des OMD en 2015 et aux négociations sur un nouveau programme de développement, quelles sont, à votre avis, certaines des opportunités et menaces en matière de promotion des droits humains des femmes, dans les domaines mentionnés plus haut ?
HJ: Bien qu'il soit difficile, à l'heure actuelle, de dresser un bilan des OMD dans le contexte de la promotion économique et sociale des femmes, il faut bien reconnaître que celui-ci n'a pas été le domaine où les OMD ont le plus progressé. Si le nouveau programme de développement souhaite avancer plus loin dans la réalisation et combler les lacunes passées, il doit, en tout premier lieu, être construit avec la participation et la contribution effectives des femmes. Les éléments susceptibles d'assurer la réalisation des droits socio-économiques et de conduire à la création de mécanismes de responsabilisation internationale en cas de violation de ces droits doivent faire partie intégrante de ce nouveau programme. Le progrès social et la promotion des femmes sur le plan économique sont inextricablement liés à des changements comportementaux. Il est donc impérieux d'apporter des ressources et un soutien politique aux initiatives locales destinées à garantir la liberté d'expression en tant que mouvements et associations, de façon à ce que les organisations des droits humains puissent entreprendre des réformes sociales et promouvoir la visibilité des femmes dans l'activité sociale, économique et politique.