DOSSIER DU VENDREDI: Comment vont les femmes dans la nation méditerranéenne prospère de Chypre?
Par Kathambi Kinoti
Le riche passé culturel de Chypre s’étend sur de nombreux siècles, mais son histoire moderne est dominée par le conflit territorial qui oppose la Turquie et la Grèce. C’est une nation unique, prospère dans certains domaines et en difficulté dans d’autres.
Les garçons et les filles ont un accès égal à l’éducation et, dans les institutions d’enseignement supérieur, les jeunes femmes surpassent les hommes en nombre et par les résultats.
En tant que membre de l’Union européenne, Chypre a accès à un cadre réglementaire progressiste en matière d’égalité de genre. En vertu des normes européennes, Chypre a le cadre pour, mais aussi l’obligation de réaliser l’égalité de genre et, en raison de son appartenance à l’UE, elle a un cadre législatif habilitant.
Chypre a adopté plusieurs plans d’action nationaux pour remédier à la violence domestique (‘familiale’), à la traite des êtres humains, à la pauvreté et à l’exclusion sociale. Mais ils ne s’accompagnent généralement pas de la volonté politique ni des ressources nécessaires pour leur mise en œuvre et restent des vœux pieux
La tradition, la culture et la religion jouent un rôle important dans le maintien de la structure patriarcale de la société chypriote. «De l’éducation à la représentation politique, de la violence contre les femmes aux droits sexuels et reproductifs – les valeurs traditionnelles et les rôles de genre rigides sont omniprésents», dit Susana Pavlou, directrice de l’Institut méditerranéen des études de genre (MIGS). La violence domestique, la sexualité, les droits sexuels et reproductifs restent des sujets tabous et les stéréotypes de genre entretenus par les médias persistent. La puissante Église orthodoxe grecque contribue à perpétuer les coutumes et les rôles de genre stéréotypés, notamment en matière de droits sexuels et reproductifs. Elle s’oppose à l’avortement pour quelque raison que ce soit et la législation chypriote reflète cette philosophie.
Participation politique
Sur le front politique, les femmes chypriotes progressent lentement. Elles sont nettement sous-représentées dans les structures de gouvernance nationales. Trois pour cent seulement des maires sont des femmes et les femmes composent seulement un cinquième des hauts fonctionnaires et des membres des conseils municipaux. Aux élections législatives de 2001, six candidates ont été élues sur quatre-vingt-cinq. Aux élections de 2005, le nombre de sièges emportés par des femmes est passé à huit seulement malgré une campagne de sensibilisation intensive menée par l’Organisation nationale pour les droits de la femme. Lors de ce scrutin, 128 femmes se sont portées candidates. Deux femmes ont été élues au Parlement européen en 2009 et, même si c’est un point positif, cela réduit le nombre de femmes à l’Assemblée nationale chypriote.
Dans l’ensemble, le nombre de femmes qui s’impliquent activement en politique progresse, mais le rythme du changement ne se reflète pas dans les résultats des scrutins. De l’avis de Susana Pavlou, ce fait démontre que la société chypriote doit encore se faire pleinement à l’idée des femmes aux postes de dirigeants politiques et les médias n’aident pas la cause. Ils n’accordent pas une couverture équitable aux femmes candidates politiques ou aux questions d’égalité entre les hommes et les femmes, et perpétuent les stéréotypes de genre. Vu le manque de représentation des femmes au pouvoir, il y a pénurie de modèles pour les jeunes filles et les femmes qui ont des ambitions politiques. Non seulement, les femmes sont sous-représentées, mais l’image des rôles que les femmes peuvent jouer et jouent est mauvaise.
Par ailleurs, il semble y avoir une volonté politique plus grande de désigner plus de femmes à des positions clés. Ces dernières années, des femmes ont été désignées aux postes de commissaire aux lois, médiateur, auditeur général, comptable général adjoint et commissaire à la protection des données à caractère personnel.
Les femmes portent toujours une responsabilité disproportionnée en matière d’éducation des enfants et l’absence de structures d’accueil de qualité à un prix abordable empêche beaucoup de femmes de participer plus activement à la vie publique et politique.
Pavlou suggère que «la structure patriarcale inexorable des partis politiques à Chypre et les aspects conservateurs persistants de la société chypriote, qui ne fait toujours pas confiance aux femmes pour occuper des postes importants» interviennent pour beaucoup dans le manque de confiance et de réseaux de soutien aux femmes désirant entrer dans la vie politique. Elle souligne que Chypre est très réticente à recourir à l’action affirmative, même temporairement, comme prescrit par la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) que l’État a ratifiée en 1985.
Les femmes et le travail
De plus en plus de femmes chypriotes entrent sur le marché du travail. En 2007, 62 pour cent des femmes au moins travaillaient en dehors de chez elles. Il y a toutefois un écart salarial considérable entre les hommes et les femmes: les femmes occupent essentiellement des postes à bas salaires, elles travaillent généralement dans le secteur de la santé, de l’éducation et des travaux ménagers.
Beaucoup de femmes interrompent leur carrière pour élever leurs enfants et le retour sur le marché du travail s’avère difficile pour elles. Ces questions défavorisent les femmes à longue échéance: plus tard, elles ont droit à une pension de retraite inférieure en raison de leur salaire initial moins élevé et de l’interruption de leur carrière. De ce fait, elles dépendent plus largement des prestations sociales et, selon Pavlou, «à Chypre, les femmes âgées courent le risque de pauvreté le plus grand d’Europe, à hauteur de 52 pour cent».
En raison de ses liens avec l’Europe continentale, Chypre est de plus en plus souvent un point de passage pour les migrants. C’est une destination pour les Asiatiques et les Africains qui recherchent une meilleure vie. Les migrants sont sensibles à l’exploitation et aux abus, et les lois et politiques de la nation n’offrent pas une protection adéquate.
Violence contre les femmes
Ces dix dernières années, le nombre de plaintes pour violence domestique, viols et autres formes de violence sexuelle est en forte hausse, dit Pavlou. L’augmentation du nombre de cas signalés peut être attribuée à une sensibilisation accrue aux droits des femmes et à un statut relativement bon en matière de violence familiale. Néanmoins, dit-elle, l’absence d’études dans ce domaine masque la sous-dénonciation de ces délits.
Une des principales difficultés de la lutte contre la violence à l’égard des femmes à Chypre est l’expression ‘violence familiale’. Les lois et les politiques interdisent la violence familiale, mais ne font pas spécifiquement référence à la violence contre les femmes. La neutralité de genre dans la langue ne reconnaît pas les femmes comme les premières victimes de ces violences même si 80 pour cent des victimes de ‘violence familiale’ sont des femmes et que ce type de violence est manifestement sexiste. Dans la mesure où les services gouvernementaux et non gouvernementaux travaillent dans le cadre de la ‘violence familiale’, une perspective critique de genre se perd. D’après Pavlou, malgré une augmentation alarmante des cas signalés d’agression sexuelle, Chypre n’a pas de services spécifiques pour les survivantes et compte parmi les taux de condamnation les plus bas d’Europe pour les délits sexuels.
La traite des femmes aux fins d’exploitation sexuelle pose un énorme problème à Chypre. Pavlou dit que malgré plusieurs mesures politiques prises pour y remédier, la traite continue à prospérer. Le MIGS plaide pour des mesures politiques en vue de s’attaquer aux causes profondes de la traite des femmes.
Situation du mouvement des femmes
L’activisme pour les droits humains progresse à Chypre et est centré principalement sur la migration, les droits sexuels et reproductifs et le trafic. Le Lobby des femmes chypriotes (CWL) a été créé en 2008 pour relayer la voix des défenseurs des droits des femmes et de l’égalité de genre. Le CWL est membre du Lobby européen des femmes, la plus grande organisation de coordination des associations de femmes en Europe.
Chypre n’a pas un long passé d’organisation de la société civile. Pavlou dit: «À Chypre, la société civile est traditionnellement faible et souffre d’un manque de financement et d’expertise». Elle attribue ces difficultés au fait que le conflit ethnique domine l’agenda national et crée un environnement peu propice à l’activisme pour les droits humains. Dans ce contexte, les vecteurs primaires des défenseurs des droits des femmes sont les partis politiques et les syndicats. Tout en ouvrant des opportunités aux femmes, ils limitent la portée de l’activisme pour les droits des femmes. Néanmoins, l’arène de l’activisme pour les droits des femmes continue de s’étendre et s’accompagne de plus grandes libertés pour les femmes.
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’anglais par Agnes De Crits.