DOSSIER DU VENDREDI: La CGT* du Honduras et Nike ont signé un accord qui constitue un précédent pour la reconnaissance des droits des ouvriers et ouvrières après la fermeture imprévue de deux usines sous-traitées.
Par Gabriela De Cicco
La municipalité de Choloma, située dans le nord-est du Honduras, compte 152 172 000 habitants, selon le dernier recensement réalisé en 2001. Lorsque Vision Tex et Hugger, deux sous-traitants de Nike, ferment sans préavis leurs portes en janvier 2009, près de 1600 habitants de la région se retrouvent au chômage. Ils laissent en outre une dette de 2 millions de dollars en matière de salaires et de droits de licenciement.
Pendant toute une année, Nike fait fi des réclamations et tente de décliner toute responsabilité, refusant d’assumer sa dette. Au lieu de cela, elle annonce qu’elle propose des projets de formation pour son personnel licencié.
Les ouvriers-ères déposent leur réponse dans une lettre en date du 1er février 2010, dans laquelle ils font bien comprendre que, s’ils ont en effet “le ventre vide et beaucoup de dettes” ils n’ont pas besoin d’être formés, étant des ouvriers-ères dotés d’une longue expérience dans la confection de produits d’excellente qualité. “Mais nous avons besoin d’être payés pour le travail que nous avons fourni, cela étant une obligation admise par le code de conduite même de Nike. Nous avons besoin de travail, d’emplois…”.
Lorsque l’organisation United Students Against Sweatshops demande à Nike de respecter son code de conduite et verser aux ouvriers-ères leurs indemnités, la compagnie nie avoir fait fabriquer des T-shirts aux logos d’Universités nord-américaines par ses sous-traitants.
C’est là qu’entre en action le Worker Rights Consortium. Le WRC, aux côtés de ses 150 universités affiliées, se charge de contrôler les usines productrices de vêtements ou autres biens porteurs de logos d’universités. Bien que le WRC ne représente pas directement les ouvriers-ères, il fait des interventions importantes dans les moments de négociation et/ou médiation.
Le WRC réalise une enquête exhaustive qui documente les violations de droits dont ont été victimes les ouvriers-ères, et prouve que Vision Tex et Hugger fabriquaient des produits pour certaines universités nord-américaines.
L’Université de Wisconsin à Madison, l’une des universités très concernées par cette affaire, rompt son contrat avec Nike au mois d’avril dernier.
Son recteur, Biddy Martin, explique son acte par le fait que l’entreprise “a violé son code de conduite, lequel exige que les compagnies fabriquant des produits destinés aux universités soient responsables de leurs sous-traitants.”
D’après Gina Cano, ouvrière chez Hugger, c’est à la fois l’enquête menée par le WRC, le soutien dont a fait preuve l’organisation United Students Against Sweatshops ainsi que le passage à l’action des universités qui ont permis d’ouvrir une brèche pour que Nike accepte finalement de négocier avec la CGT du Honduras.
La fermeté de l’organisation ouvrière et l’expérience de l’une de ses coordinatrices, Evangelina Argueta, “laquelle maîtrise amplement le sujet des campagnes et plaintes relatives à la violation de droits”, souligne Gina, “ont aidé les ouvriers et ouvrières de Hugger et Vision Tex à camper ferme sur leurs positions.”.
Pleines d’espoir, mais craignant de revenir les mains vides, Gina et Evangelina partent pour Los Angeles en juin 2010 afin de prendre part à la négociation. Gina se souvient de la position difficile et dure qu’adopte l’entreprise pendant les 45 premières minutes de la réunion, même si cette dernière se solde finalement par un accord: Nike paiera la somme de 1,5 millions de dollars et couvrira les frais d’inscription des ouvrières et leurs familles au système de sécurité sociale du Honduras pour la période d’un an. D’autre part, la compagnie s’engage à faire en sorte que les ouvriers-ères soient embauchés par d’autres usines.
“Nous en arrivons à la phase la plus délicate, qui est celle du respect des engagements”, dit Gina avant de continuer, pleine d’espoir: “Pour nous autres ouvriers, bénéficier économiquement de cet accord c’est important ; mais ce qui nous semble encore plus important, c’est la garantie de récupérer un emploi ainsi que l’assurance santé, très chère dans notre pays.”
L’accord signé entre Nike et la CGT du Honduras revêt une extrême importance, car elle constitue un grand précédent: c’est en effet la première fois qu’une marque de vêtements mondialement reconnue assume la responsabilité des obligations auxquelles ses fournisseurs ont failli en fermant leurs usines de façon injuste et imprévue.
Gina nous confirme que les effets de ce succès se font d’ores et déjà sentir dans certains médias nationaux. Dans un article publié par le quotidien “El Heraldo” le 17 août 2010, un représentant de l’Association Hondurienne de Maquiladoras explique les obligations que les entreprises sous-traitées doivent avoir envers leurs employé(e)s.
Lorsque nous demandons aux ouvrières de nous parler des conditions de travail dans les maquilas au Honduras, Evangelina nous répond que dans son pays, “il y a un taux élevé de chômage ; les travailleurs des maquilas pensent qu’ils doivent se soumettre aux abus et violations s’ils ne veulent pas perdre leur travail. Pour la CGT, ce point de vue est inacceptable. Dans tous les centres, les conditions de travail doivent être dignes et les salaires, justes.”
L’emploi dans ce milieu est de plus en plus précaire, et les violations du droit du travail ont encore augmenté depuis le Coup d’Etat de juin 2009.
Evangelina nous explique qu’ils ont été “victimes d’un coup d’état de la part des grands groupes économiques, parmi lesquels figurent les plus gros investisseurs de la maquila. Ces entrepreneurs ont un tel pouvoir sur les institutions de l’état que le Congrès National, soutenu par les industriels, soumet actuellement une loi dite “Loi Anti-crise de l’Emploi”, connue aussi sous le nom de Loi du travail temporaire, laquelle privera dans une entreprise 35% des employés des droits qui leur sont aujourd’hui garantis par le Code du Travail, tels que les congés, les primes de Noël, l’affiliation à la Sécurité Sociale, le congé maternité, les jours fériés, les préavis ou les indemnités de licenciement. Sous cette loi, leur seul droit sera celui de travailler 4 heures par jour et d’être payé pour ces 4 heures. Comble de l’abus, la proposition de loi stipule que l’employeur pourra verser 30% de ce salaire en nature: autrement dit, le travailleur pourra être payé en t-shirts. Malheureusement, nous savons que cette loi est déjà mise en pratique dans le milieu alors que le projet de loi n’a pas encore été approuvé.
Malgré la situation on ne peut plus misérable des ouvriers-ères, le triomphe des travailleurs de Choloma nous permet d’espérer. Tout comme l’énergie qui émane de Gina et Evangelina lorsqu’elles nous confient que l’union et l’organisation peuvent être source de grands changements: “Nous pensons que cette réussite est très importante et qu’elle offre l’opportunité aux ouvriers-ères de réaliser à quel point il est important d’être organisé. Car ce n’est qu’en étant unis et internationalement solidaires que nous parviendrons au respect des droits de l’homme et du travail, la meilleure façon de procéder étant de s’organiser en Syndicat.”
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*Central General de Trabajadores de Honduras (Centrale Générale des travailleurs du Honduras)
Nous souhaitons remercier Lynda Yanz de Maquila Solidarity Network/Red de Solidaridad de la Maquila (RSM) de nous avoir fourni des informations concernant cette lutte ouvrière, ainsi qu’Evangelina de la CGT et Gina, coordinatrice des ouvriers-ères, d’avoir partagé avec AWID leur expérience de cette grande réussite.
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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
*Cet article a été traduit de l’espagnol par Camille Dufour.