DOSSIER DU VENDREDI: Il y a 20 mois, le Chili a été ébranlé par la pire des catastrophes ayant frappé le pays au cours des 50 dernières années. Pour beaucoup de personnes touchées par le séisme, cette reconstruction qui peine à démarrer représente une dette supplémentaire du gouvernement de Sebastián Piñera, fortement remis en question.
L’AWID s’est entretenue avec Natalia Flores González, secrétaire de direction à l’Observatoire de la Parité entre les Genres (Observatorio Género y Equidad) afin d’examiner les répercussions de la catastrophe sur les droits des femmes et le rôle que jouent ces dernières dans la reconstruction du pays.
Par Gabriela De Cicco
Le contexte actuel chilien révèle un mécontentement croissant face à l’absence de politiques d’Etat en matière d’éducation, de santé, d’emploi comme de sécurité sociale, lequel a donné lieu à des manifestations dans tout le pays. Exprimant à l’origine des revendications sectorielles, il s’est aujourd’hui converti en un large mouvement national mettant au défi le modèle économique et social qui avait donné naissance au « miracle » chilien. Mais les protestations des débiteurs hypothécaires et des familles touchées par le séisme de 2010, qui vivent par ailleurs toujours dans des tentes, ne constituent qu’un exemple des nombreuses initiatives déployées dans le pays, dont l’opposition des travailleurs du cuivre à la privatisation des ressources minérales, ou les revendications des élèves de secondaire et des étudiants qui exigent une éducation publique de qualité[1].
AWID : Quels dégâts le séisme de l’an dernier a-t-il occasionnés? Quelles sont les zones géographiques et les personnes qui ont été les plus touchées ?
NFG: Les droits humains des femmes et des hommes ont été fragilisés par les mesures d’intervention d’urgence. Les militaires ont investi les zones touchées par le séisme. Il suffit de parler avec les habitants et habitantes de la région de Concepción ou du Maule pour constater que les patrouilles militaires traversant le quartier un fusil à l’épaule pour « rétablir l’ordre public », les arrestations illégales, les mauvais traitements infligés par les autorités, et les retards dans la distribution de nourriture, voire d’eau, restent bien ancrés dans les mémoires. Prenons le cas particulier des femmes : la prise en charge en matière de santé reproductive a pratiquement disparu, et les autorités du Gouvernement n’ont pas manifesté la moindre inquiétude quant au surpeuplement ni à la réinstallation des femmes qui étaient victimes de violence conjugale.
NFG: Le processus de reconstruction pris en charge par le Gouvernement est loin d’être terminé. Plus d’un an et demi après le séisme, il n’existe toujours pas de « Loi Spéciale sur la Reconstruction » au Chili. Les budgets attribués à cet effet se sont révélés insuffisants et les autorités désignées pour exécuter ces tâches n’ont pas occupé leur poste plus de trois ou quatre mois. Par ailleurs, la réponse immédiate à l’urgence a été remise entre les mains des grandes entreprises de vente de matériel de construction, lesquelles n’ont pas été capables de fournir ce type d’intrants.
Tout ce processus s’est déroulé à partir de directives émanant directement du Gouvernement National ; il n’y a pas eu d’espaces locaux de discussion créés dans les régions affectées, aucune participation de citoyens, pas de prise en considération des besoins locaux, comme la récupération du patrimoine architectural et culturel des villes.
Pourtant –et c’est regrettable– si le séisme et le raz de marée ont entraîné une réorganisation des habitantes et habitants des localités touchées permettant la création de cabildos[2] locaux et d’assemblées par régions, ainsi que l’apparition de propositions citoyennes de reconstruction sociale et territoriale etc., le Gouvernement du Président Piñera n’a cherché à instaurer de dialogue avec aucune de ces instances au cours de ces 20 mois.
AWID: Les efforts relatifs à la prise en charge des besoins spécifiques aux femmes ont-ils été fructueux ?
NFG: L’approche genre a été totalement absente des politiques d’intervention d’urgence comme des mesures insuffisantes prises au cours de la phase de reconstruction. Les besoins des femmes chiliennes n’ont pas été pris en compte, que ce soit dans la prise en charge de l’urgence ou l’organisation de la reconstruction. Ni les actions menées par le gouvernement du Président Piñera, ni même celles auxquelles incitait le Service National de la Femme (Servicio Nacional de la Mujer, SERNAM) n’ont considéré ni traité leurs besoins spécifiques.
Le gouvernement a proposé une série de mesures, intitulée « Mujer, levantemos Chile » (Femme, redressons le Chili !), la plupart entrant dans le cadre des actions générales. Il a mis en œuvre un cycle de discussions dans des centres communautaires conduit par la psychologue Pilar Sordo et distribué 100 copies d’une vidéo de prise en charge émotionnelle proposée par cette même psychologue. Il n’a été donné aucune information concernant les ressources et aides versées aux femmes, ni sur les conséquences des actions déployées en faveur des femmes.
L’évaluation réalisée par certaines organisations membres de la Red de Mujeres del Maule (Réseau des Femmes de la région du Maule) est négative : il n’y a eu ni distribution de serviettes hygiéniques, ni accès aux différentes méthodes de contraception, d’où des grossesses non désirées ; les cabinets médicaux n’ont proposé aucun soutien pharmacologique à la population face à l’angoisse, la peur et l’anxiété... C’est dans le domaine de la santé que l’insuffisance des réseaux publics s’est le plus fait sentir.
AWID: Quel rôle les femmes ont-elles joué au cours de ce processus ?
En juin 2010, l’Observatoire a organisé le Séminaire « Femmes et Séisme : reconstruction citadine/citoyenne » («Mujeres y Terremoto: Construyendo ciudad/anías ») en collaboration avec la Fundación Dialoga, SUR Corporación de Estudios Sociales y Educación (Association pour les Etudes Sociales et l’Education) et le soutien de l’Université Academia de Humanismo Cristiano (Académie humaniste chrétienne). Elles étaient environ 100, toutes à la tête d’organisations de femmes provenant des régions touchées par le séisme, à y être conviées pour débattre de leur situation et participer à différents ateliers avec le concours d’Analucy Bengoechea, une hondurienne qui s’est spécialisée dans la résilience communautaire suite à l’ouragan Mitch.
NFG: Il y a deux problèmes de taille. D’une part, la « reconstruction » en est toujours à un stade initial. Les bâtiments qui ne sont plus habitables n’ont toujours pas été démolis, tandis que les personnes qui y vivaient attendent encore d’être réinstallées dans des logements de qualité. Les campements de mediaguas[3] ont déjà affronté deux hivers et les aides au logement n’ont toujours pas été attribuées.
NFG: Le gouvernement n’a envisagé aucun modèle de prévention des catastrophes naturelles d’un point de vue des droits des femmes, ni avant, ni pendant, ni après le séisme. En regardant de plus près les tendances politiques idéologiques du gouvernement, nous voyons que les politiques de genre ont été réduites et remplacées par des visions centrées sur le rôle traditionnel joué par les femmes au sein de la famille.
Ce seront donc les organisations de femmes elles-mêmes qui, après avoir analysé leurs expériences d’interventions d’urgence post-séisme et raz de marée, relèveront le défi de les systématiser et d’asseoir les apprentissages hérités de la catastrophe.
Les réponses des gouvernements face aux catastrophes naturelles vous semblent-elles efficaces du point de vue des droits des femmes ? Selon vous, comment pourrait-on améliorer ces réponses ? Faites-nous part de vos opinions/idées dans la case à commentaires ci-dessous.
[1] http://alainet.org/active/50089
[2] Entités administratives autonomes
[3] Logements d’urgence de 18m2 subventionnés par l’Etat
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Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.
Cet article a été traduit de l’espagnol par Camille Dufour