DOSSIER DU VENDREDI – Les élections générales organisées au Zimbabwe le 31 juillet dernier se sont déroulées dans le calme, mais la crédibilité du scrutin et la victoire écrasante remportée par la Zanu PF, le parti au pouvoir, ont été fortement remises en cause. L’AWID s’est entretenue avec Netsai Mushonga–Mazvidza, coordinatrice nationale de la Coalition des femmes du Zimbabwe (WCoZ) sur leurs stratégies de promotion de la démocratie dans le pays.
Par Susan Tolmay
Le Président Robert Mugabe et l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF) sont au pouvoir au Zimbabwe depuis l’indépendance du Royaume-Uni en 1980. Ce pays d’Afrique australe a connu au cours de la période 2006-2009 une forte crise socioéconomique, politique et humanitaire, déclenchée par la mise en place d’un gouvernement de coalition ayant dirigé le pays de 2009 à 2013, auquel les élections du 31 juillet ont mis fin. Bien que les élections réalisées en 2013 se soient déroulées dans le calme, le principal parti d'opposition, à savoir le Mouvement pour le changement démocratique (MDC-T), a qualifié le scrutin de farce et affirmé que « la crédibilité de cette élection a été entachée par des violations administratives et juridiques qui ont porté atteinte à la légitimité de ses résultats». S'il est vrai que certains observateurs internationaux ont salué le déroulement de l'élection, il n'en demeure pas moins que le groupe le plus important d'observateurs nationaux, le Réseau d'appui au processus électoral au Zimbabwe (ZESN), a affirmé que le scrutin avait été compromis.
Élections et démocratie
D'après Netsai Mushonga–Mazvidza, les résultats de l'élection ont provoqué un choc car « les gens s'attendaient à un résultat très serré entre la ZANU PF et le MDC-T, alors la victoire écrasante de la ZANU-PF a surpris tout le monde ». Le mouvement des femmes a plaidé en faveur d'élections pacifiques, auxquelles les personnes seraient libres de participer et de voter. Interrogée sur leurs observations et sur la crédibilité de l'élection, Mushonga–Mazvidza signale : « Un grand nombre des observateurs que nous avons envoyé aux quatre coins du pays ont constaté beaucoup de vote assisté dans certains bureaux de vote, principalement dans les zones rurales, y compris au profit de professeur-e-s et de chefs d'établissements scolaires, c'est à dire des personnes instruites. Il s’agit d’incidents ayant porté atteinte au secret du scrutin. Nous avons également constaté des pratiques intimidatrices dans certains bureaux de vote, telles que la prise de notes détaillées sur les personnes se rendant dans les bureaux de vote et l'exigence faite à certaines personnes de venir voter à une heure déterminée. Certaines activités se sont également déroulées à l'extérieur des bureaux de vote, ce qui a rendu plus difficile leur observation et leur suivi ».
Des difficultés se sont également présentées dans le processus d'inscription des femmes électeurs. Mushonga–Mazvidza signale : « Il a été assez difficile de s'inscrire pour voter, notamment dans les zones urbaines car il y avait peu de bureaux de vote. J'ai su que des femmes se sont retrouvées à faire la queue pendant quatre ou cinq heures pour pouvoir s'inscrire sur les listes électorales». D'autre part, l'une des exigences pour pouvoir s'inscrire était de présenter un justificatif de domicile. Mushonga–Mazvidza précise à ce sujet : « Nous savons que de nombreuses femmes au Zimbabwe ne sont pas propriétaires ou bien pas sous leur nom, du coup elles ont dû se battre pour pouvoir s'inscrire. Le jour de l'élection, il y a des femmes qui n'ont pas trouvé leur nom sur les listes électorales. Cette élection a donc été pacifique, mais elle a aussi supposé de nombreuses difficultés pour les personnes souhaitant voter, notamment les femmes ».
Ce fut la première fois que les femmes se réunissaient autour d'une coalition pour travailler sur les élections. Une « salle de veille des femmes » a été établie (un dispositif mis en place pour la première fois au Liberia, au Sénégal et au Sierra Leone), ayant pour but de permettre aux femmes de se réunir afin d'aborder des questions liées aux femmes et aux élections et élaborer des plans et des stratégies de femmes. Mushonga–Mazvidza raconte : « Nous avons lancé une campagne pour la paix, qui nous a permis de rencontrer des femmes chefs de file et de les impliquer dans la campagne de plaidoyer, qui appelait les femmes à sortir et voter, et leur demandait de partager leur expérience de l'élection car on entend rarement des femmes s'exprimer sur un scrutin. L'un des objectifs de la salle de veille était de mobiliser les femmes afin qu'elles sortent et observent les élections. Malgré le peu de ressources dont nous disposions, nous sommes parvenues à avoir 150 observatrices. Cela peut sembler réduit, mais ce n'est que le début : pour les prochaines élections, nous ferons mieux et disposerons d'un nombre bien plus important de femmes dans les circonscriptions qui parleront de leur expérience, et nous nous assurerons qu'il y ait un nombre suffisant de femmes candidates. Nous avions également un centre d'information permettant aux personnes d'accéder à l'information, notamment sur les femmes et les élections dans les divers bureaux de vote, et nous avons mis en place des personnes chargées d'intervenir en cas de difficulté. Ce fut donc vraiment passionnant de réaliser ce travail pour la première fois ».
Mushonga–Mazvidza signale : « Après les élections, nous avons commencé à réfléchir à ce que nous devions faire pour avancer. Nous devons nous engager de manière très active auprès de la Commission électorale du Zimbabwe (ZEC) et nous assurer que celle-ci accorde une plus grande importance à la dimension de genre et qu'elle gagne en termes de transparence, notamment en ce qui concerne l'inscription des électeurs. Toutefois, l'élection a déjà eu lieu et a été approuvée, avec quelques réserves, par la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) et l'Union africaine (UA), et nous sommes de l'avis que protester à ce stade est inutile. Nous devons être constructives et réfléchir à ce que nous devons faire maintenant pour accroître la participation des femmes à la prochaine élection, afin que nous puissions sentir que cette élection nous appartient et accroître sa crédibilité ».
Les femmes dans les processus de prise de décisions, les quotas et les revers
Ces élections ont donné lieu, pour la première fois, à la mise en œuvre d'un système de quotas. Ce système de quotas, qui a fait l'objet d'un lobby considérable dans le cadre de la nouvelle Constitution (mai 2013), établit que 60 sièges sont réservés à des femmes. Toutefois, bien que cette mesure ait suscité une forte hausse de la représentation des femmes au Parlement, qui sont passées de 19% en 2008 à 34% (32% à l'Assemblée nationale et 48% au Sénat), ce qui ressort finalement c'est que le nombre réel de femmes élues au scrutin majoritaire uninominal (SMU) - ou système électoral où « le vainqueur rafle toute la mise » - a chuté de 34 à 26.
Mushonga–Mazvidza signale : « Ce fut un véritable choc car nous pensions que les partis politiques, à ce jour, comprenaient la nécessité de promouvoir un équilibre entre les genres au sein de toutes les structures de gouvernance. Pourtant, une poignée de femmes puissantes ont perdu leurs circonscriptions, telles que l'ancienne Vice Première ministre et l'ancienne Ministre des affaires de la femme (des stratèges politiques reconnues) ». Mushonga–Mazvidza estime que ce résultat est la preuve d'un patriarcat profondément ancré et représente un dur revers. « Il s'agit d'un retour de bâton des hommes et des partis politiques, qui estiment que maintenant que les femmes disposent de 60 sièges, il n'y a pas de raison pour qu'elles en aient davantage ». Au bilan, 86 femmes font leur entrée, 60 élues grâce aux quotas et 26 au scrutin majoritaire uninominal, sur un total de 270 sièges au Parlement. Mushonga–Mazvidza signale : « Les femmes du Zimbabwe ont été très déçues car nous voulions autre chose, nous avions travaillé à l'ébauche d'une nouvelle constitution et à la sensibilisation sur la nécessité d'accroître le nombre de femmes au Parlement, et pourtant très peu de femmes ont été élues ».
Faire face au patriarcat sans détour
Le patriarcat est bien vivant et jouit d’une excellente santé au Zimbabwe : pour preuves, le revers subi lors des élections évoqué précédemment, ainsi que, par exemple, les propos désobligeants tenus par le Président Mugabe sur la Conseillère pour les relations internationales de l’Afrique du Sud, Lindiwe Zulu, qu’il a qualifiée de « stupide et idiote » parce qu’elle avait osé s’exprimer contre la date de réalisation des élections au Zimbabwe, estimant que le pays n’était pas prêt. À une autre occasion, Mugabe est même allé jusqu’à la traiter de « fille de la rue ». Une telle situation amène à s’interroger sur la dimension suivante : si une femme dans une telle position de pouvoir peut faire l’objet d’une attaque aussi virulente et misogyne, quelle est la réalité des électrices des communautés de base et des femmes politiques ?
Mushonga–Mazvidza signale toutefois que les comportements traditionnels commencent à changer avec la nouvelle génération qui rentre dans l’arène politique. Loin de se sentir découragée par les propos tenus publiquement par le Président et d’autres dirigeants, elle affirme : « Nous menons une réflexion visant à déterminer quelle est notre position en tant que femmes d’un point de vue stratégique et qui sont nos allié-e-s, des femmes et des hommes puissants en mesure de nous appuyer dans notre mission. L’un des succès que nous avons remporté fut de parvenir à faire venir Mary Robinson, ancienne Haut-Commissaire aux droits de l’homme et ancienne Présidente de l’Irlande. Mme Robinson s’est déplacée accompagnée de sept femmes de la région africaine et cette délégation est parvenue à s’entretenir avec le Président puis avec le Premier ministre afin de les encourager à garantir de manière explicite les droits des femmes dans la nouvelle constitution. Au départ de Mme Robinson, le Président Mugabe a déclaré que le pays avait besoin d’un plus grand nombre de femmes à des postes de direction et dans le processus d’élaboration de la constitution. Maintenant, nous évaluons donc qui sont nos allié-e-s, comment nous pouvons tirer profit de ces 86 femmes parlementaires et de la Vice-présidente, travailler et établir des alliances stratégiques avec elles, et atteindre des consensus sur ce qui doit être entrepris pour que le pays puisse avancer ».
Faire des élections un processus et non plus un évènement
La coalition a déjà tenu plusieurs réunions stratégiques en raison du contexte politique en pleine mutation. Le consensus atteint suite à la récente conférence nationale de la Coalition est que le travail sur le genre et la gouvernance ne doit pas être réalisé à l’occasion d’évènements sinon au contraire devenir un processus permanent. « Le travail pour les élections qui se tiendront en 2018 doit commencer dès maintenant et être continu. Notre stratégie en ce qui concerne les partis politiques est de nous adresser à chacun d’entre eux afin de leur demander d’appliquer les principes de la démocratie au sein de leurs partis et de respecter leurs manifestes. Nous voulons être en mesure de garantir le caractère démocratique et sensible au genre des partis politiques, ainsi que la réalisation des exigences en matière de genre que ces partis se sont fixés. Par ailleurs, le travail mené en matière d’éducation civique doit être continu, et non pas une activité commençant un an ou quelques mois avant les élections. Toutes les organisations au sein de la coalition sont convenues de la nécessité de développer les capacités de toutes les organisations afin que celles-ci soient en mesure d’éduquer les femmes en matière de vote, de mobiliser les femmes pour qu’elles s’intègrent aux partis politiques et d’appuyer les femmes pour qu’elles deviennent chefs de file au sein de leurs partis politiques ».
Traduit par Monique Zachary