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Les femmes à la tête de la lutte pour défendre leurs terres, leurs vies et leurs communautés aux Philippines

Les Philippines – et en particulier Mindanao, la deuxième des plus grandes îles méridionales riche en ressources naturelles et en minéraux – sont pillées par les compagnies transnationales, qui réalisent des extractions minières en toute impunité des violations des droits humains qu’elles commettent.1 Le gouvernement des Philippines fournit les forces militaires visant à éliminer les membres des communautés lumades2 de Mindanao si elles s’opposent au programme néolibéral du gouvernement et aux compagnies transnationales.

Le peuple lumad habite Mindanao depuis des siècles, où il a développé des coutumes et des pratiques uniques et nécessaires à sa survie. Refusant d’abandonner ses terres, il s’est engagé dans la lutte pour protéger ses terres et ressources ancestrales.

Les femmes des communautés lumads ont pris en charge l’organisation de la résistance et la défense de leurs communautés. Dans ce combat qu’elles mènent pour les droits humains, elles se heurtent à la complicité entre les sociétés privées et les intérêts gouvernementaux, et affrontent de nombreuses difficultés spécifiques au genre.

L’AWID s’est entretenue avec Cristina Palabay, une défenseuse des droits humains de l’alliance Karapatan, pour tenter de comprendre pourquoi les luttes en faveur des droits humains aux Philippines sont aujourd’hui plus féroces que jamais alors qu’elles font face à des défis considérables.


AWID: Quel est l’état actuel de la lutte pour les droits humains aux Philippines du point de vue d’une défenseuse des droits humains ?

Cristina Palabay (CP): La situation des droits humains aux Philippines ne fait qu’empirer. Karapatan a référencé de nombreuses attaques abominables perpétrées à l’encontre des défenseur-e-s des droits humains sous le mandat de l’administration actuelle de Benigno Aquino III.

Les assassinats extrajudiciaires en lien avec des motifs politiques se sont multipliés à Mindanao, surtout au sein de la population autochtone. Entre juillet 2010 et le 30 septembre 2015, Karapatan a ainsi fait état de 294 assassinats extrajudiciaires et 27 disparitions forcées. De plus, 172 individus ont été torturé-e-s et 911 arrêté-e-s arbitrairement, pour la plupart sur la base de fausses accusations. Karapatan a également rapporté l’éviction forcée de plus de 65 000 individus et 15 massacres en rapport avec la défense des autochtones de leurs propres vies et communautés. En analysant ces schémas d’assassinats, nous nous sommes rendu-e-s compte que bon nombre des incidents avaient été perpétrés par les forces paramilitaires, sous le contrôle des Forces armées des Philippines et des « Forces de défense de l’investissement » en défense des entreprises extractives.

La criminalisation du travail de défense et de l’activisme politique en faveur des droits humains est une tendance inquiétante supplémentaire. Ce sont pourtant des droits fondamentaux que les Philippin-e-s ont de par la constitution de notre pays et les traités internationaux dont notre gouvernement est signataire. La plus grande menace qui pèse sur notre travail en faveur des droits humains est le programme anti-insurrectionnel mis en œuvre par le gouvernement – Oplan Bayanihan – qui a donné lieu à d’innombrables atrocités commises par les paramilitaires et les Forces armées des Philippines. Le programme Oplan Bayanihan a été conçu pour éliminer toute personne représentant une menace pour l’agenda néolibéral des Philippines et pour les activités extractives extrêmement rentables des sociétés transnationales. Dans le cadre de ce plan stratégique, tout individu s’opposant aux politiques non-démocratiques, néolibérales et misogynes est considéré comme « ennemi de l’État ».

AWID: Quel rôle ont joué les forces paramilitaires dans les assassinats de Lumads ?

CP: Les forces paramilitaires sont des pions des forces de sécurité de l’État dont la finalité est de diviser et gouverner les communautés lumades, et de les déposséder de leur pouvoir par le biais d’une répression brutale exercée par l’État. Certains membres des forces paramilitaires sont recrutés parmi les communautés autochtones afin de tenter de briser les liens, pourtant solides, qui unissent les communautés autochtones de Mindanao.

Les forces paramilitaires semblent avoir le pouvoir indiscutable d’expulser et d’attaquer les Lumads de Mindanao dès lors que cela est dans l’intérêt des gouvernements et des grandes sociétés transnationales. Nous avons été choqué-e-s et horrifié-e-s par le massacre de trois de nos frères, Emerito Samarca, Dionel Campos et Bello Sinzo, survenu le 1er septembre 2015. Nous croyons qu’ils ont été pris pour cibles en raison du rôle prédominant qu’ils jouaient dans la lutte visant à soutenir les droits et la dignité des communautés autochtones.

Pas une seule fois, les membres des forces paramilitaires n’ont été condamnés ni tenus entièrement responsables pour le harcèlement, les actes d’intimidation ou les meurtres sur les Lumads.

AWID: Comment se répercutent ces assassinats de Lumads dans le combat pour la paix, la justice et les droits humains aux Philippines ?

CP: Nous pleurons chaque fois que nous recevons le rapport d’un massacre. Mais notre chagrin génère aussi de la colère, de la détermination et un courage tenace qui nous permettent de continuer de défendre ce pour quoi ces défenseur-e-s des droits humains se sont battu-e-s. Nos communautés sont plus décidées que jamais à demander justice et obtenir une paix réelle et durable. Les Lumads sont toujours déterminés à défendre leur histoire, leurs terres et leurs moyens de subsistance envers et contre les massacres et les menaces. Nous devrions nous incliner devant leur courage et leur engagement, et nous en inspirer.

Le massacre de nos collègues défenseur-e-s des droits humains Emerito Samarca, Dionel Campos et Juvello Sinzo a clairement montré que ces assassinats étaient ciblés. Ils étaient des membres actifs du mouvement des peuples de Mindanao.

AWID: Quels sont les considérations de genre de cette lutte philippine en faveur des droits humains ?

CP: Les forces de sécurité de l’État exercent des formes spécifiques de violence basée sur le genre, notamment le harcèlement et le viol, pour réduire au silence le mouvement de la base, élargi et endurant des peuples, où les femmes sont à la tête de la résistance.

Bai Josephine Pagalan, par exemple, est une dirigeante lumade et une défenseuse des droits humains engagée dans la mobilisation de la résistance dans la région de Caraga à Mindanao. Ses collègues dirigeants lumads Dionel Campos et Juvello Sinzo ont été impitoyablement assassinés devant chez elle sous les yeux de tous les membres de la communauté, parmi lesquels des enfants.

Après avoir abattu Campos, Sinzo et Samarca, les forces paramilitaires ont sommé les habitant-e-s d’abandonner leurs terres, menaçant de les tuer s’ils désobéissaient. Bai Josephine, sa fille et son nouveau-né, ainsi que le reste de la communauté ont été évacué-e-s de force au matin du 1er septembre. Privé-e-s du temps et de l’espace pour pouvoir pleurer leurs morts, les Lumads ont marché pendant plus de huit heures avant d’arriver à Tandag City, où ils et elles se trouvent encore aujourd’hui.

Les membres de la communauté lumade et les activistes parlent de cas explicites de harcèlement sexuel et de violence basée sur le genre, y compris de viols commis par les forces paramilitaires et les forces de sécurité de l’État. Il est préoccupant de voir que ces cas ne font pas l’objet d’enquêtes approfondies. Au lieu de cela, les communautés lumades sont non seulement les victimes d’attaques contre leur pays, leur territoire et leur histoire, mais elles subissent en plus des couches supplémentaires de discrimination et de violence basées sur le genre.

AWID: Quel rôle jouent les défenseuses des droits humains de Mindanao dans le travail de plaidoyer en faveur des droits humains des Lumads ? Pouvez-vous nous nommer quelques-unes des stratégies mises en œuvre pour défendre leur pays, leur territoire et leurs vies ?

CP: Nous nous inclinons devant le courage, le leadership et la persévérance des défenseuses des droits humains de Mindanao, en particulier des femmes lumades, et nous en inspirons. Ce sont elles qui se trouvent en première ligne des combats et qui plaident en faveur de leurs communautés. Les défenseuses sont à la tête d’organisations, elles travaillent comme enseignantes bénévoles dans les écoles alternatives pour Lumads, organisent et mobilisent les femmes et d’autres membres de la communauté pour défendre leur pays et leurs vies.

Les défenseuses de Mindanao reçoivent une éducation politique au sein de leurs propres communautés et s’autonomisent à travers leur engagement dans les combats politiques. Elles dirigent désormais de nombreuses organisations visant à défendre leur pays, leur vie et leurs communautés. Elles assument des responsabilités et sont reconnues au même titre que leurs collègues hommes. Certaines défenseuses sont aussi devenues cheffes de file à la mort de leur mari ou d’un être aimé.

AWID: De quelle manière la communauté internationale en faveur des droits humains peut-elle soutenir et appuyer votre campagne #StopLumadKillings (Stop aux meurtres des Lumads)?

CP: La communauté internationale peut soutenir notre lutte aux Philippines de plusieurs façons concrètes. Actuellement, la Rapporteuse spéciale sur les droits des peuples autochtones et le Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme ont formulé des demandes d’autorisation de visite aux Philippines, auxquelles le gouvernement du pays n’a pas répondu. Les rapporteurs spéciaux ont le mandat pour mener des enquêtes et des analyses indépendantes sur la sévérité des violations des droits humains aux Philippines. Les organisations, les individus, les institutions et les membres de la communauté internationale peuvent formuler des appels par écrit pour amplifier cette requête à un niveau international, et appeler le gouvernement des Philippines à respecter ses obligations internationales.

Nous exhortons la communauté internationale à maintenir la pression et insister pour que le gouvernement des Philippines assume sa responsabilité dans les assassinats extrajudiciaires, le harcèlement, la criminalisation, les arrestations illégales d’activistes des droits humains et politiques, et qu’il soit tenu responsable de priver le peuple lumad d’accès à sa terre ainsi qu’à ses moyens de subsistance. En ces temps difficiles, montrons une fois de plus combien la solidarité internationale permet de soutenir la résistance et le combat des peuples lumad et philippin.

Nous appelons aussi à l’aide humanitaire pour les près de 5 000 Lumads de Mindanao qui se trouvent dans des centres d’évacuation parce que la poursuite des opérations militaires les empêche de regagner leurs communautés.


2 Lumad est le terme collectif employé pour les communautés autochtones de Mindanao
Category
Analyses
Region
Pacifique
Source
AWID