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Les femmes en quête de refuge en Afrique – Enjeux et solutions

DOSSIER DU VENDREDI: Les conflits, la violence, la famine et les catastrophes naturelles ne sont que quelques-unes des raisons pour lesquelles les femmes sont obligées d’abandonner leurs maisons et deviennent des personnes déplacées. Pour mieux comprendre la situation des femmes réfugiées et déplacées internes en Afrique, l’AWID s’est entretenue avec Yifat Susskind, Directrice exécutive de MADRE.

Les options pour les femmes déplacées pour cause de famine ou de guerre sont très limitées: certaines peuvent rejoindre des membres de leur famille ou des amis, mais la plupart cherchent refuge dans les camps, comme l’affirme Caroline Toe, Point focal des questions liées au genre, Fondation pour les droits humains et la démocratie (FOHRD). Elles sont confrontées à une multitude de problèmes, dont la marginalisation, la pénurie d’aliments, le manque d’eau potable, les mauvaises conditions d’assainissement et de soins de santé, et le manque de sécurité.

Par Massan d’ALMEIDA

AWID: Quelle est la différence entre les femmes réfugiées et les femmes déplacées internes ?

Yifat Susskind (Y.S.): Les femmes réfugiées sont des femmes qui doivent abandonner leurs maisons et franchissent des frontières internationales. En franchissant des frontières internationales, elles ont le droit à recevoir une protection de la part des états dans lesquels elles s'établissent, ainsi que de la part des Nations Unies (NU) et de ses organismes. Les femmes déplacées internes sont des femmes qui abandonnent leurs maisons pour s’établir dans une autre région à l’intérieur de leur propre pays.

Toutefois, malgré ces différences en termes de définition et de protection internationale, les femmes réfugiées et les femmes déplacées internes sont confrontées aux mêmes enjeux. Dans la plupart des cas, elles sont obligées de parcourir de longues distances en quête de sécurité. En chemin, beaucoup d’entre elles connaissent la violence et les abus sexuels ou sont attaquées par des voleurs qui les dépouillent de leurs maigres possessions. Les femmes arrivent souvent dans les camps de réfugiés traumatisées par un long voyage et par la désintégration des relations communautaires.

Sur le long terme, les femmes réfugiées, tout comme les femmes déplacées internes, sont confrontées à des défis permanents. Dans des communautés où les ressources sont poussées à leurs limites, beaucoup n'ont aucun accès aux services de santé ni aucune possibilité de subsistance. Sans argent, il est souvent impossible que les enfants puissent fréquenter l’école et que les femmes et leurs familles puissent retourner chez elles.

AWID: Y a-t-il des statistiques sur le nombre de femmes réfugiées et des femmes déplacées internes en Afrique ?

Y.S.: Le nombre de femmes déplacées dans tout le continent est difficile à évaluer, car beaucoup de crises, y compris la famine qui sévit dans la Corne de l’Afrique, sont encore en cours. De plus, les données non ventilées par sexe ou qui regroupent les statistiques relatives aux femmes et aux enfants ne permettent pas d’apprécier l’impact différencié des crises et des catastrophes selon le genre. Sans ce type de données, rares sont les politiques qui reconnaissent que les femmes sont souvent les plus fortement touchées en temps de crise.

Nous savons qu’il existe actuellement environ 1,5 million de Somaliens déplacés en raison de la famine. Selon les estimations des NU, environ 80% des réfugiés qui ont été accueillis au camp de Dadaab dans le nord-est du Kenya sont des femmes et des enfants; en effet, les hommes restent souvent sur place pour s’occuper du bétail ou assumer d’autres responsabilités.

AWID: Où vont les femmes lorsqu’elles ont été déplacées et quels sont certains des défis auxquels elles sont confrontées ?

Y.S.: Beaucoup de femmes et leurs familles se réfugient dans des camps de déplacés qui sont souvent gérés par des organismes internationaux et constituent un des rares endroits où les femmes peuvent trouver des ressources leur permettant de subsister, ainsi qu’une certaine sécurité.

Lors de mon voyage au Kenya le mois dernier, j’ai rencontré Hubbie Hussein Al-Haji, membre de notre organisation sœur Womankind Kenya. Elle m’a raconté que son organisation, qui travaille avec les communautés du nord-est du Kenya, s’est mobilisée pour fournir une aide d’urgence en aliments et eau pour les femmes somaliennes et leurs familles qui quittent leur pays pour fuir la famine. Les besoins sont immenses, car des milliers de nouveaux réfugiés arrivent chaque jour. C’est pourquoi nous avons travaillé dur afin de nous assurer que Womankind Kenya a les ressources nécessaires.

Hubbie m’a raconté l’histoire d’Amina qui a quitté la Somalie pour se rendre à pied au Kenya, sachant que le voyage serait long et dangereux. Amina a dû prendre la douloureuse décision de laisser derrière elle un enfant si mal nourri qu’il n’aurait pas supporté la semaine de marche pour parvenir à la relative sécurité du camp de réfugiés. Cette option était, pour Amina, la seule possibilité d’obtenir de l’eau et des aliments pour ses autres enfants. Comme elle, nombreuses sont les mères de famille qui tentent d’échapper à la famine qui frappe la Somalie et connaissent ce genre de malheurs. Les familles comme celles d’Amina arrivent dans les camps au Kenya littéralement affamées et profondément traumatisées par le fait d’avoir du enterrer leurs enfants.

AWID: Quelle est la situation des femmes réfugiées et des femmes déplacées internes dans les camps de réfugiés en Afrique ?

Y.S.: Ces camps de déplacés sont surpeuplés et bondés d’installations temporaires. En temps de crise aigüe, lorsque le nombre de déplacés explose, ces camps peinent à fournir les ressources nécessaires pour répondre à des besoins toujours croissants. De nombreuses femmes et leurs familles sont obligées de s’installer à la périphérie des camps où elles sont privées de l’accès aux aliments, à l’eau, aux abris et à l’aide humanitaire qui leur font si cruellement défaut.

C’est ici que le soutien des organisations de type communautaire devient essentiel pour les femmes et les familles qui restent en marge des ressources fournies dans les camps. Nos partenaires veillent à ce que ces familles ne glissent pas entre les mailles et leur apportent une aide vitale en eau et aliments.

AWID: Quels sont certains des facteurs qui affectent la sécurité, l'intégrité physique et la santé des femmes dans les camps de réfugiés?

Y.S.: En raison de la surpopulation et du manque de sécurité et d’éclairage, les camps de réfugiés et de déplacés sont extrêmement dangereux pour les femmes et les jeunes filles. Les tentes et les abris précaires ne constituent qu’une barrière fragile pour protéger les femmes et les jeunes filles des violeurs et des bandits. Faute d’éclairage dans les camps, les déplacements des femmes et des jeunes filles pour se rendre le soir aux toilettes les rendent particulièrement vulnérables aux attaques. Dans ce contexte de déracinement, les relations communautaires qui servent de protection aux femmes et aux jeunes filles dans ces circonstances dangereuses sont pratiquement inexistantes. L’eau est polluée par manque d’une infrastructure inadéquate en matière d'assainissement, ce qui, dans les endroits surpeuplés, favorise la propagation rapide de maladies d’origine hydrique. L’absence de services de santé pour les femmes implique également que les femmes enceintes et qui allaitent ne reçoivent pas les soins dont elles ont besoin.

Pour protéger les femmes de la violence qui sévit dans les camps, il est indispensable de modifier l’aménagement de ces derniers de façon à prendre en considération les besoins spécifiques des femmes. Construire les toilettes plus près des abris ou prévoir des douches privées pour les femmes pourrait contribuer à combattre la violence sexuelle. Les femmes vivant dans des camps de réfugiés ont également besoin de services de conseils qui leur permettraient de surmonter leurs expériences traumatisantes, de même que des soins médicaux spécialisés pour femmes, en particulier pour les femmes enceintes ou qui allaitent.

La distribution de l’aide ignore souvent la présence des femmes et se concentre sur les ménages dirigés par des hommes ou ne tient pas compte de l’existence de construits culturels qui empêchent les femmes de quitter leur maison pour aller obtenir de l’aide. Nous avons pu en faire la constatation à la suite des inondations qui ont frappé le Pakistan en 2010. Les femmes sont les seules personnes les mieux à même de détecter les défis particuliers liés à des cultures spécifiques auxquels sont confrontées les femmes dans les pays où elles vivent. C’est pourquoi le travail des organisations de base des femmes est si important. Leurs relations locales et les réseaux communautaires leur permettent de répondre aux besoins négligés par les organismes d'aide plus importants.

AWID: Est-il vrai que les femmes réfugiées et les femmes déplacées internes font l’objet d’un traitement biaisé dans les pays d’accueil ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

Y.S.: La discrimination est certainement un défi très réel pour les femmes réfugiées et déplacées internes. Elle peut être associée à la crainte que le pays d’accueil ne soit pas en mesure de subvenir aux besoins d’une si grande quantité de réfugiés ou que leur arrivée ne déclenche une concurrence pour les ressources.

Mais il y a un autre volet à cette histoire. Hubbie m’a raconté que les communautés locales du nord-est du Kenya travaillent dur pour offrir des aliments et de l’eau aux réfugiés somaliens. Ces communautés ont également été touchées par la sécheresse, mais s’arrangent pour que les réfugiés reçoivent les ressources nécessaires pour survivre. Womankind Kenya est issue de ces communautés et a été à la tête de ces gestes de générosité.

AWID: Comment les organisations humanitaires et de secours appliquent-elles les résolutions 1325, 1888 et 1889 du Conseil de sécurité des Nations Unies?

Y.S.: Ces résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies soulignaient la nécessité d’incorporer les voix des femmes et la perspective de genre à la reconstruction et à la réinstallation. Elles ont pour but de protéger les femmes et jeunes filles de la violence sexuelle durant et après les conflits et cherchent à faire une plus large place aux femmes dans les décisions relatives aux politiques qui ont une incidence sur leur vie.

Depuis l’adoption de ces résolutions, il y une plus grande prise de conscience, qui reste néanmoins insuffisante, quant aux besoins spécifiques des femmes réfugiées et déplacées internes. Dans le monde entier, les femmes restent largement exclues de la prise de décision et de la reconstruction après les conflits.

Les principes contenus dans ces résolutions devraient également être appliqués pour répondre aux besoins des femmes après une catastrophe. En effet, les grandes catastrophes, tout comme les conflits violents, sont à l’origine du déplacement, de la perte de l’accès aux services de base et de la destruction progressive des communautés. Dans les deux cas, il faut que les voix des femmes soient prises en compte dans les décisions de reconstruction de ces communautés. L’application de ces résolutions dans des contextes post catastrophe peut contribuer à promouvoir l’égalité des sexes dans l’étape de reconstruction.

AWID: Existe-t-il des exemples d’interventions durables renforçant la capacité des femmes réfugiées et déplacées internes de subvenir aux besoins de leurs familles ?

Y.S.: MADRE est consciente du fait que la meilleure façon de parvenir à une solution durable aux menaces qui pèsent sur les femmes est d’établir un partenariat avec les femmes réfugiées et déplacées internes pour répondre aux besoins urgents. Les solutions durables naissent au sein des communautés locales. C’est pourquoi nous travaillons avec des groupes de femmes de base qui savent très bien quelles sont les meilleures solutions pour leur communauté et qui peuvent soutenir ces efforts bien après le départ des organisations d’aide internationale.

À court terme, le premier pas dans la reconstruction de communautés saines est de fournir de toute urgence des aliments et de l’eau aux femmes et à leurs familles, ainsi que des soins médicaux et des conseils. La participation des femmes ne doit pas se limiter uniquement à recevoir l’aide ; elles doivent aussi participer de façon intégrale à l'identification des besoins de leurs communautés et à la détermination de la modalité de distribution de l’aide.

À long terme, les femmes doivent être incorporées à l’élaboration de politiques en matière de reconstruction. Cette participation est indispensable pour garantir que les politiques en question répondent aux besoins des plus vulnérables et que les efforts de reconstruction respectent les droits humains des femmes et reflètent leurs priorités.

Faites-nous part de vos opinions/idées :

Que faut-il faire pour apporter aux femmes réfugiées et déplacées internes des solutions durables permettant de reconstruire des communautés saines ?

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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Afrique
Source
AWID